7 octobre, Bataclan progressiste ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Une photographie d'un kibboutz en Israël après l'attaque du 7 octobre.
Une photographie d'un kibboutz en Israël après l'attaque du 7 octobre.
©Thomas COEX / AFP

Asymétrie

Israël a le droit de se défendre, OK, mais seulement en “Théorie”, le fameux pays où tout se passe bien.

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

Voir la bio »
Il n’y a pas de touristes dans mon hôtel de Tel Aviv —la saison est finie et Israël n’est pas vraiment un pays à la mode par les temps qui courent—, mais il y a pourtant des hordes de gosses qui cavalent partout en hurlant dans les couloirs, jouent à cache-cache dans les ascenseurs et font du tricycle jusqu’à pas d’heure dans les salles de conférence.
Ils ne sont pas en vacances. Ils sont juste “déplacés temporairement", m’explique le réceptionniste avant d’en engueuler un qui pousse de toutes ses forces sur une colonne de marbre dans le hall pour voir s’il pourrait la faire basculer. Ils peuvent bien se coucher tard, ils n’ont plus d'écoles de toute manière. Elles sont fermées depuis le 7 octobre, le jour où 3000 barbares à moto, en pick-up Toyota à la Mad Max ou en ULM ont décidé de les prendre d’assaut en même temps que le reste de leurs villages et kibbutz des frontières nord et sud, massacrant ou kidnappant allègrement tout ce qui bougeait sur leur passage.
Au total, ces gosses, leurs parents, leurs grands-parents, seraient entre 100 000 et 300 000, même si un décompte officiel est difficile à tenir parce qu’ils sont probablement aussi nombreux à s’être réfugiés dans la famille ou chez des amis que dans les hôtels où ils foutent le balagan. Mais des centaines de milliers de déplacés à l’intérieur d’Israel, ça ne fait curieusement pas autant de barouf médiatique que le déménagement forcé de leurs homologues gazaouis d'un bout à l'autre de la fameuse “bande”. Ce serait une question de “proportionalité” et de "rapport du faible au fort dans les conflits asymétriques”, crois-je comprendre en lisant ce qu’écrivent mes confrères depuis Paris dans leurs canards.
C’est que c’est toujours un peu le problème avec les crises israélo-palestiniennes. Ça se joue généralement en deux temps : Israel est attaqué, le monde (la planète, pas le quotidien du soir) est en empathie 5 minutes 30, puis Tsahal riposte et là le mistral tourne. “Ecoutez, vous avez le droit de vous défendre bien sûr, mais pas comme ça, c’est trop violent. Trouvez un autre moyen !” clament les bonnes âmes.
—OK, lequel ? Dites-moi. Comment réagit-on éthiquement à une attaque terroriste massive appuyée par des milliers de missiles sol-sol autrement qu’en essayant de démolir l’adversaire ? 
—Hum, ça c’est votre problème, démerdez-vous. Et puis vous n’aviez qu’à ne pas venir squatter le coin il y a 75 ans. 
—Il y a 3000 ans, vous voulez dire ?
—...
Moi-même, je suis en balance constante. Pas sur la question du squat : j’ai vu le titre de propriété en pierre de taille sur lequel a été construite la mosquée Al-aqsa même si j’aimerais bien parfois dégager, façon Ariel Sharon, les colons à papillotes de Cisjordanie que l’armée était occupée à protéger pendant que le Hamas égorgeait et décapitait à coups de pelle du côté de Sderot. 
Non, je suis plutôt en balance constante parce que je me dis qu’éradiquer un groupe de terroristes islamistes qui vient tout juste de faire un remake d’Oradour-sur-Glane et n’existe que pour vous exterminer, c’est bien la moindre des choses… Mais je me dis aussi que les "dommages collatéraux", ces civils gazaouis qui se prennent à leur tour des bombes sur la tronche, sont difficiles à avaler — même si les spécialistes du renseignement et de l’histoire militaire que je rencontre ici les uns après les autres m’assurent que tout est conforme au droit de la guerre, à la convention de Genève et que personne, après tout, ne s’était ému de la démolition méthodique de Dresde par les alliés en 45…
Mais bon, on ne se refait pas. Je suis “de gauche”, au moins nominalement à ce stade parce que j’aurais du mal à m’identifier aux saloperies incendiaires qu’éructent les Mélenchon boys & girls sur les réseaux sociaux. Je pleure sur tous les cadavres d’enfants de la même manière. Je pleure sur tous les gens qui souffrent de part et d’autre de la frontière. C’est peut-être de la grandeur d’âme. Ou alors juste de la sensiblerie. Je ne sais plus. Un vrai “bleeding heart liberal” comme ironisent les chroniqueurs sur Fox News.
A Sderot, j’ai vu les maisons aux toits fracassés par les roquettes, les impacts de mitrailleuses sur les murs et le fameux commissariat désormais réduit en cendres où s’étaient planqués les djihadistes à l’arrivée de l’armée. Dans un hôpital de Tel Aviv, j’ai écouté les récits de jeunes fêtards du Nova festival qui auraient pu être mes gosses, ont vécu l’horreur, et se demandent encore comment ils s’en sont tirés avec une simple balle dans la cuisse ou l'épaule quand tant de leurs co-ravers ont été violés, mutilés, kidnappés, carbonisés au lance-flamme… J’ai écouté les témoignages des survivants des kibboutz, racontant comment des crapules enthousiastes étaient passées de maison en maison, plan détaillé du quartier en main, à la recherche de bébés à éventrer et de têtes de vieillards à transformer en trophées de cheminée.
Mais j'ai aussi vu un pays politiquement ultra-polarisé mettre ses querelles de côté pour se concentrer sur sa survie. J’ai entendu les juifs d’ici, mais aussi les juifs de France et du reste du monde, se demander avec angoisse pourquoi leur 11-Septembre, leur Bataclan, finissait par leur retomber sur la gueule dans les opinions publiques étrangères. J’ai vu un pays minuscule entouré de voisins déterminés à le faire disparaître et célébrant la mort de civils sans défense. J’ai vu qu’à Paris, Londres et New York, de jeunes progressistes parfaitement comparables à ceux qui venaient de se faire massacrer défilaient en scandant “Palestine de la mer au Jourdain” et “Allah akbar !”.
J’ai vu tout ça et ça n’est même pas encore fini ; ça sera pire avant d’être mieux d’après les spécialistes. Mais bon, je pense aux gosses de Gaza en regardant ceux de Sderot faire les cons dans le hall de l’hôtel. Il est tard, je vais me coucher. Demain est un autre jour.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !