2020, l’année où le Covid mit en évidence une crise aux racines bien plus anciennes<!-- --> | Atlantico.fr
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coronavirus covid-19 pandémie virus libéralisme politique mondialisation
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©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Bilan de l'année 2020

A l'occasion de la fin de l'année, Atlantico a demandé à ses contributeurs les plus fidèles de dresser un bilan de cette année 2020. Arnaud Benedetti décrypte la crise politique de la mondialisation face à la pandémie de Covid-19.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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2020 a quelque chose du dépôt d’une germination qui vient de loin. Il n’en restera pas moins que cette année constitue un temps de bascule, parce qu’elle exprime l’arrivée à maturation d’une triple crise : politique évidemment, anthropologique aussi, philosophique enfin. Par-delà le flux incessant de commentaires, produits souvent de l’illusion d’une appréhension immédiate de l’événement auquel nous voudrions donner un sens pour nous sentir moins en déshérence, le virus aura servi surtout de révélateur. Il aura révélé d’abord les limites de la mondialisation tout en exprimant la force de cette dernière : les limites parce que l’ouverture de la société est indissociable de sa capacité à maîtriser, justement, cette ouverture.

Ce contrôle ne peut se déléguer ou se dissoudre : nombre des Etats-membres de l’UE à l’épreuve de l’épidémie ont renvoyé l’espace Schengen aux orties pour mieux juguler la pandémie à l’intérieur de leurs frontières. Ils ont ainsi redécouvert l’espace national, comme producteur de protection et de cohésion, et l’instrument transcendant de celui-ci au travers de l’Etat. C’est en France que ce retour s’est manifesté sans doute avec le plus d’acuité, principalement parce qu’il s’est effectué au travers du constat de nos propres carences. La pénurie sanitaire a frappé au cœur même du pays qui a érigé l’Etat comme outil existentiel de la Nation mais où l’efficience de cet outil s’est érodée sous l’impact de politiques exclusivement "managériale" qui ont appauvri et complexifié à souhait la puissance publique. Le moment n’en demeure pas moins paradoxal car tout en soulignant un recul des illusions inhérentes à la mondialisation il en illustre aussi la réalité intrinsèque comme l’a rappelé le politiste bulgare Ivan Krastev qui y voit non sans raisons une expérience commune à l’échelle planétaire et dans une même temporalité qui n’est autre que celle de l’immédiateté.

Cette crise politique de la mondialisation clôt sans doute le cycle de l’idéologie dominante des élites qui depuis la chute du mur de Berlin imaginaient le processus en terme d’irréversibilités, dicté presque par un "pilotage automatique" orchestré par les seules lois du commerce et du droit, mais occultant à dessein la nature conflictuelle des rapports de forces et des systèmes d’intérêts à l’échelle internationale. Si l’irruption de la Covid ne constitue pas la fin des interdépendances, les altérités nationales ont rappelé aux chantres du post-national qu’elles demeuraient face à la menace le réflexe organique des sociétés. La peur, justement, s’impose comme la deuxième leçon de la pandémie. Celle-ci a ramené l’homme à une panique immémoriale. L’enfermement s’est érigée comme la solution instantanée à l’épreuve sanitaire. Cette interruption de la vie sociale dit quelque chose des sociétés techniciennes qui lorsque la technique ne leur permet plus la maîtrise du risque se replient dans un refus d’acceptation de ce dernier. La logique de la survie l’a emportée ainsi sur la logique de la vie, nous ramenant à une anthropologie ancestrale, végétative en quelque sorte où l’individu ne préfère plus "faire société" afin de se protéger en tant qu’individu. Les quelques voix qui ont relevé , parfois pour s’en désoler, cette propension se sont heurtées au scepticisme, voire à l’indignation morale. Une réception qui confirme un infléchissement civilisationnel où la vie à tout prix se paye du prix de la liberté, de la socialité, de la marche normale des sociétés. A proportion que nous refusons l’idée du risque, nous nous rangeons à une existence collective en suspens, ou en distance, avec des dispositifs qui en viennent à réguler "systémiquement" nos comportements et nos modes de vie.

C’est à ce stade qu’intervient le dernier symptôme de cette révélation "covidienne" : tout s’y condense pour participer au détricotage de ce qui est au principe de la philosophie libérale, l’autonomie des individus, les libertés fondamentales indispensables à cette autonomie, la mise à l’index des pensées critiques qui s’interrogent sur la doxa des pouvoirs, la recherche d’une mise en tension des sociétés au travers de dispositifs d’exception que l’on s’efforce de métaboliser par la suite dans le droit commun. La viralité de l’illibéralisme vient de loin, elle s’inscrit dans un processus où le "care" est la valeur ultime, sacrale ; elle ne naît pas avec le coronavirus, mais celui-ci lui fait à coup sûr franchir un cran supplémentaire comme il accélère la confusion des mondialisations et l’utopie régressive d’une société sans risques qui à terme se transformera en société sans autre vie que celle qu’un État, adossé au tout sanitaire aidant à refonder sa légitimité mise à mal, nous autorise à vivre.

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