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(Non) Vaccin Sanofi : autopsie d’un raté industriel majeur
©JOEL SAGET / AFP

Course aux vaccins

Le laboratoire Sanofi avait annoncé en décembre que son vaccin, mis au point avec le laboratoire britannique GSK, avait pris du retard et ne serait prêt que fin 2021. Sanofi a l'intention de supprimer 400 postes dans la recherche et développement dans les trois prochaines années. L’Institut Pasteur a révélé également ce lundi qu’il arrêtait le développement de son principal projet de vaccin contre la Covid-19.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Créée par Pierre Guillaumat Président d’ELF pour diversifier la grande compagnie pétrolière, Sanofi, dirigée par Jean-René Sautier et Jean-François Dehecq puis par ce dernier tout seul Sanofi s’est hissée entre 1972 et 2008 jusqu’aux sommets de la pharmacie mondiale en absorbant un nombre important de laboratoires français et étrangers. C’est plus de 100 000 personnes qui y travaillent désormais sur l’ensemble de la planète, avec 36 milliards de chiffre d’affaires. Sanofi a également concentré l’activité vaccins nationale en intégrant les compétences de Pasteur et Mérieux en y rajoutant des pépites extérieures. Ancien Président D’Elf et auparavant de Rhône-Poulenc, une de ses composantes, les échecs de Sanofi me font mal.

Tout d’abord, aveuglés par les tableaux Excel, les dirigeants ont manqué de vision. Depuis 2010 et le départ du dernier père fondateur, on assiste à une valse des Directeurs Généraux et à des renversements stratégiques qui ont tous la même origine, satisfaire les actionnaires avec une rentabilité exemplaire, le « cost-killing » à la française, celui qui est destiné à nous faire bien voir outre-Atlantique ! Quarante ans de direction homogène et depuis dix ans au moins quatre changements de caps. Le résultat est une catastrophe sur la motivation interne, un sentiment d’abandon de l’excellence dans la recherche et les conséquences apparaissent dans la disparition de la société lors de l’épreuve majeure que traverse le monde entier, celle de la pandémie de la Covid. 

Car l’actualité nous concentre sur les vaccins puisque la généralisation rapide d’un traitement apparait comme la solution au gel des activités humaines de ces deniers mois. Deux sociétés, bientôt trois proposent un vaccin et les campagnes de vaccination sont commencées. Le vaccin Sanofi, annoncé pour Avril 2021, est programmé pour Décembre puis pour 2022 alors que Sanofi-Pasteur était encore hier le leader incontesté de cette activité avec un passé prestigieux qui continuait d’attirer les meilleurs et qui était la référence mondiale ! Pasteur vient d’annoncer l’abandon de son idée considérée hier encore comme prometteuse !

Est-ce une perte de compétence ?

Le désastre a commencé lorsque la Direction de l’entreprise a décidé d’échanger les vaccins pour animaux, l’entreprise Mérial située à Lyon, pour des médicaments et de l’argent de la part de l’entreprise allemande Boehringer. C’est en 2016 et cette décision dénote de la part de ceux qui l’ont prise une méconnaissance totale des relations étroites de la vaccination humaine et de la vaccination animale ( doctrine one Health des années 2000). Une même erreur sera commise au niveau national pour les tests Covid où l’on attendra de nombreux mois avant de faire appel aux laboratoires vétérinaires aptes à traiter tous les tests quelle que soit leur provenance. La biologie cloisonnée et le fonctionnement en silos c’est l’inverse de la réalité comme de l’avenir. C’est aussi d’ailleurs à cette période que les chercheurs de grande qualité vont chercher ailleurs où exercer leurs talents. Ainsi l’entreprise américaine Moderna qui travaille sous la direction du Français Stéphane Bancel va s’adjoindre une sommité dans l’immunologie et l’oncologie, Tal Zachs,(ex Sanofi 2010 /2015 ) qui va devenir le Directeur Médical de l’entreprise. Car depuis une bonne dizaine d’années l’entreprise nationale a du mal à ne pas tomber dans le conformisme, c’est un mal bien connu de toutes les grandes structures de recherche, la difficulté à promouvoir les talents originaux, voire excentriques ou même déjantés, qui changent de perspectives, de visions, mais la France a, pendant cette période où l’on parle beaucoup de « principe de précaution », une propension à ne pas sortir des sentiers battus. Ainsi nous nous félicitons bruyamment du Prix Nobel attribué à la Française Emmanuelle Charpentier pour ses travaux sur les ciseaux moléculaires en oubliant qu’elle n’a pu travailler qu’en allant opérer dans les laboratoires étrangers. Sanofi, comme beaucoup de spécialistes nationaux, a eu un problème avec les approches novatrices, en particulier avec celles concernant les vaccins et a continué à se concentrer à la fois sur le classique et sur les économies à réaliser pour satisfaire les actionnaires. Les start-ups de Biotechnologies ont eu du mal à démarrer en France, et à se développer encore plus comme si le pays tout entier s’était enfoncé dans la peur du neuf !

C’est dans tous les cas une erreur stratégique majeure que d’avoir ignoré les nouvelles orientations de la recherche mondiale.  

L’approche de l’ARN messager, développée par des pionniers, a été rapidement considérée comme une solution possible pour éviter les cancers et immunologistes et oncologues ont travaillé dans cette direction depuis une bonne dizaine d’années avec des résultats tout à fait intéressants et encore marginaux en 2018/2019. Le coronavirus SARS-cov 2 a ainsi fait l’objet de travaux et donc lorsque la séquence covid 19 est connue en Janvier 2020 cette partie de la biologie (« biotech ») se mobilise, il en est ainsi de BioNtech et Curevac en Allemagne, de Moderna aux USA et de plusieurs autres. Ce n’est qu’en Juin 2020 que Sanofi annonce travailler avec une petite compagnie de la région de Boston, Translate BIO, voulant ainsi démontrer qu’ils sont présents  dans toutes les directions. Mais déjà  Pfizer s’est installée avec BioNTech, Bayer avec Curevac, et Moderna considère qu’ils peuvent y aller tout seuls puisque mobilisés depuis au moins dix ans.

Sanofi a, en fait, poursuivi ses travaux antérieurs sur le vaccin dit à protéine recombinante ou sous-unitaire, en utilisant un adjuvant GSK, a passé les phases I et II, et a fait miroiter que la phase III n’était qu’un formalité et que tout était prêt pour Avril 2021. Ce n’était pas si simple, on s’en est aperçu et désormais on court après le temps.

D’autres compagnies, Astra-Zenaca, Johnson and Johnson… se sont orientées vers les vaccins adenovirus ou recombinants, comme les Russes.

Enfin Novavax, société américaine, présente une approche sous-unitaire originale et est aussi en voie d’homologation.

Tandis que l’on avait une confiance aveugle en France dans le « classique », on découvre ainsi la réelle pluralité des approches, la multiplicité des initiatives et surtout l’engagement à la fois des Etats et des industriels pour essayer d’enrayer la pandémie qui met l’économie mondiale en apnée. Les deux sociétés qui ont perdu le sommeil pendant six mois, qui y ont cru et ont surmonté  les obstacles, en particulier celui de la conservation du vaccin à très basse température, sont en train de permettre à la population mondiale d’avoir un espoir de retour à un fonctionnement tout simplement humain de la société. Il y a un prix à la rapidité d’exécution des doses disponibles, il y a un jugement populaire sur la disponibilité des vaccins, nul ne peut y échapper, et il y a une perspective, celle d’un immunité collective. Mais la question de savoir pourquoi la première société mondiale de conception et de production de vaccins n’a pas été au rendez-vous est posée.

La défense impossible

Certains vous diront que ce n’est pas si grave car pour vacciner l’ensemble de la population mondiale il faudra une pluralité de vaccins, chacun ayant ses caractéristiques et adapté à une population, il y aura donc de la place pour tout le monde, y compris pour Sanofi demain et après-demain, lorsque les vaccins devront être robustes, tropicaux, absorbés par voie nasale ou orale… et surtout très bon marché ce qui n’est pas le cas des premiers sortis ! Cependant à un moment où l’on parle de la mutation du virus actuel, les approches ARN messager et adénovirus paraissent clairement les plus appropriées, on peut donc bien parler d’erreur stratégique le fait de ne pas avoir misé sur les Biotechs, puisque notre connaissance des coronavirus c’est que justement ils mutent !

On peut aussi se dire que la première société mondiale de vaccins n’était pas là avec le bon produit au bon moment et que c’est bien dommage ! On a alors le droit de s’interroger sur son fonctionnement et sa faculté d’innover et d’anticiper, et si c’est l’Etat et la Nation qui ont été à l’origine de cette extinction de réactivité il est légitime d’analyser et de suggérer des remèdes, au moins un retour à la nécessité de célébrer l’anticonformisme. Et si les installations de Sanofi sont effectivement disponibles pour la production et la diffusion du vaccin, on pourrait imaginer qu’une licence leur permette de le fabriquer et d’en faire profiter rapidement notre pays car c’est le patriotisme sanitaire qui a, jusqu’ici, prévalu et qu’un laboratoire français soit présent ne serait pas inutile pour accélérer l’immunité collective recherchée, de même qu’il n’était pas forcément opportun en ce moment  d’annoncer des suppressions d’emplois dans la recherche.  

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