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Donald Trump invité au défilé du 14 juillet : le nouveau coup de maître du président Macron
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Depuis plusieurs jours, toute la presse parle de l’invitation - pour beaucoup choquante - adressée par le président français Emmanuel Macron à son homologue américain Donald Trump, qui a accepté de participer au défilé du 14 juillet prochain à Paris, avec son épouse.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Rappelons tout d’abord que cette invitation lancée officiellement par M. Macron lors du sommet de l’Otan en mai 2017, s’inscrit dans une logique qui dépasse la seule personne d’Emmanuel Macron puisqu’il en avait déjà été question sous la présidence de François Hollande dès 2016.

Face à l’indignation des moralisateurs et nouveaux Torquemada du « géopolitiquement correct » - qui trouvent scandaleux de recevoir Trump ou Poutine mais dont l’indignation (sélective) est inexistante lorsqu’il s’agit de dictateurs anti-occidentaux rouges ou verts (de Cuba, du Vénézuela ou de pays islamiques) – c’est en réalité le fait même de se poser la question de savoir si l’on « devait » recevoir Poutine ou Trump qui choquante en soi. Car la diplomatie n’a jamais été réservée aux amis et complices avec lesquels on part en vacances. Elle sert avant tout à trouver des terrains d’entente et à éviter des conflits entre puissances différentes ou adverses. On a vu depuis la fin officielle de la guerre froide - avec les dossiers irakien, yougoslave, libyen et syrien - à quel point la diplomatie de l’indignation et de la diabolisation à outrance des « méchants » a souvent abouti à des situations pires encore que celles dénoncées. L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on. Le vieux dicton est confirmé chaque jour par les cuistres géopolitiques qui masquent leurs calculs cyniques et bellicistes derrière les belles professions de foi droitdelhommistes et « tolérantes ». Et l’on sait depuis le début de la guerre civile syrienne que ceux-là même qui ont voulu au départ exclure des pourparlers syriens les Russes, les Iraniens, le régime de Damas et ceux qui refusaient de les exclure ont plus contribué à accentuer les drames humains qu’à rétablir la paix. En effet, lorsque l’on refuse de dialoguer et que l’on encourage le refus de tout dialogue avec l’Autre diabolisé (mais incontournable), on contribue de facto à empêcher les cessez-le-feu nécessaires aux ONG humanitaires pour secourir les civils ; on bloque toute issue réaliste, et ce sont toujours les masses d’innocents qui en paient le prix fort, comme on le voit depuis 5 ans en Syrie où la position moralisatrice des Occidentaux (France en tête) et des puissances sunnites du Golfe puis de la Turquie – qui posent comme précondition non-négociable à tout dialogue le départ de Assad - n’a fait que donner un prétexte au blocage général meurtrier. Les moralisateurs-interventionnistes et ostracistes orientés - indignés par la position de l’Elysée visant à ne plus faire du départ de Bachar al-Assad une condition au dialogue faute d’alternative et qui ont diabolisé le camp Trump - qui disait grosso modo la même chose en préconisait même une entente russo-occidentale face à l’ennemi commun jihadiste-islamiste - n’oeuvrent ni pour une paix réaliste ni contre l’ennemi principal. Leur erreur est en fait une double faute, morale et stratégique.

Recevoir n’est pas cautionner, et embrasser est plus redoutable que rejeter

Pour revenir à l’invitation de Trump au défilé du 14 juillet à Paris, ceux qui affirment que le fait de convier un leader politique - fut-il controversé - revient en soi à adopter ses visions, font preuve d’une manichéisme inquiétant et intellectuellement pauvre. Ceci est d’autant plus vrai que Macron a déjà prouvé qu’il est maître dans l’art de résister courtoisement à ses adversaires ; qu’il excelle dans celui de séduire simultanément des publics opposés et qu’il se distingue dans l’art de « critiquer en incluant », en bon adepte non de Ricoeur mais plutôt de Lao Tseu et du Ying/Yang.

De même que le jeune président « jupitérien » a déjà reçu en grande pompe à Paris son homologue russe Vladimir Poutine en le flattant avec des symboles nationaux russes tout en critiquant ouvertement sa politique, de même il a insisté pour recevoir à Paris Donald Trump non sans l’avoir défié  ouvertement début juin, après l’annonce par Washington du retrait des États-Unis de l’Accord de Paris : Emmanuel Macron avait alors critiqué en anglais dans une vidéo le lâchage et le climatoscepticisme de Trump, déclarant que la France relèverait le défi et offrirait de remplacer le leadership étatsunien en invitant les chercheurs américains à venir travailler en France. Macron est même allé parodier de façon très ironique, voire arrogante, le slogan de campagne de Trump par l’appel désormais célèbre: « Make our planet great again »(rendez sa grandeur à notre planète)…

N’en déplaise aux moralisateurs manichéens et indignés professionnels dont certains se vantent de rencontrer des dictateurs communistes (Castro, Chavez, Maduro, etc) ou d’autres des islamistes (Saoudiens, Qataris, Turcs, etc), mais qui trouvent horrible de serrer la main à Poutine ou Trump, Macron prouve magistralement que l’on peut dialoguer sans adhérer, recevoir sans se renier et même interpeller et critiquer avec les formes, ce qui n’est pas moins redoutable… Il est vrai que dans les deux cas, Poutine et Trump ont su profiter d’une belle occasion de sortir de leur isolement, chacun trouvant en fin de compte dans la stratégie de l’autre son propre intérêt immédiat, ceci dans une logique de « communication globale et multipolaire». Le président américain ne s’est donc pas trop fait prier, saisissant, comme Vladimir Poutine, la première occasion de redorer son blason en participant à Paris à un évènement hautement symbolique aux côtés d’un des rares dirigeants européens qui ose s’afficher avec les plus détestés et diabolisés des présidents du monde après Bachar al-Assad. C’est là que la diplomatie d’Emmanuel Macron est très habile : elle consiste à rehausser le statut de la France et hisser spectaculairement très haut la stature de sa présidence « jupitérienne » en recevant à un mois d’intervalles les dirigeants certes controversés mais tout de même aux commandes des deux plus grandes puissances militaires et diplomatiques du monde.

Une occasion rêvée pour un « joli coup politico-médiatique »

Intrinsèquement « plurivoque », l’invitation du président-séducteur-stratège Macron - encore plus audacieux que Nicolas Sarkozy dans la poursuite d’un leadership européen et « global » – permet 1/ de faire rentrer sans transition la France dans la cour des super-grands ; 2/ de prendre une sorte de leadership stratégique de l’Union européenne dans une concurrence claire avec l’Allemagne de Merkel (qui tente trop de sortir de son leadership économique) ; 3/ de montrer à la face du monde la puissance armée de la France dans un contexte de lutte contre Da’esh en Syrie et de tractations internationales en vue d’une transition à Damas, 4/ de réactiver le rayonnement international et les valeurs universalistes de la France incarnées par la Révolution française et les Lumières, valeurs qui ont présidé à la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen, véritable de néo-religion de l’Occident contemporain post-chrétien que la France dispute depuis des siècles aux Anglo-saxons. Par le maniement extrêmement habile des symboles historiques, idéologiques et nationaux puis par l’art du Kairos, Macron a déjà déclassé en quelques semaines tous ses prédécesseurs après De Gaulle, non pas parce qu’il est si exceptionnel que cela (il a été chanceux et aidé à l’extrême par un alignement des astres autour de lui) mais d’abord par contraste avec la lâcheté intellectuelle et stratégique des prédécesseurs, tantôt maîtres en nullité et intrigues partisanes tantôt incultes et dénués de toute hauteur de vue…

Fréquenter les Grands permet d’entrer dans leur cour

Nouveau coup de maître : Macron va bénéficier de la visite de Donald Trump venu de facto à Paris lui rendre hommage, comme il y a peu Poutine. Comme lorsqu’il a reçu ce dernier à Versailles devant les médias du monde entier et de France en quasi extase, le nouveau président va profiter médiatiquement et stratégiquement des retombées positives de la venue de Trump dans la capitale et de sa jolie first lady. Celle-ci connaît d’ailleurs fort bien Paris puisqu’elle y a été mannequin dans les années 1980.  Non seulement cela va lui permettre d’entrer un peu plus dans la cour des grands et de ses aînés subjugués par sa jeunesse insolente, mais il va être crédité, comme avec Poutine, d’avoir tenu tête (climat et épisode de la poignée de main) au représentant de la première puissance mondiale tout en le séduisant comme il a fait avec le Tsar russe. Il va donc être cette nouvelle fois le principal bénéficiaire de l’opération de com nationale et planétaire. L’image des deux chefs d’Etat, si différents mais mutuellement valorisés à la tribune lors du défilé militaire, aura une portée politico-médiatique planétaire, d’autant que peu après le désaccord climatique, les deux pays ont déjà annoncé qu’ils allaient « travailler étroitement ensemble à une réponse commune en cas d’attaque chimique en Syrie », en réalité une volonté de ne pas laisser les seuls Iraniens et Russes bénéficier du recul en cours de l’Etat islamique en Syrie et en Irak. Et à la différence d’un Sarkozy qui avait semblé soumis à Poutine puis humilié par Kadhafi, Macron sait rencontrer en résistant voire même en dominant ses interlocuteurs même plus puissants que lui, et c’est là son génie communicationnel et relationnel qui lui permet d’avoir l’aura d’un leader surdoué.

Le seul point sur lequel Macron assure une continuité avec ses prédécesseurs est la starification-people-isation de la fonction présidentielle, avec des first ladies américaine et française omniprésentes - au grand bonheur des masses avides de story-telling et de soap-opera. Les médias et les communicateurs des deux présidences (américaine et française) ont d’ailleurs déjà massivement communiqué  sur « le gout pour la culture française » du couple Trump et surtout de l’ancienne mannequin parisienne Melania Trump que l’on verra défiler en tenue kennedy-sexy sur toutes les chaînes pendant que les féministes du monde entier envieront Brigitte qui a su casser les codes de façon révolutionnaire.

« Une réponse commune" avec Washington en cas « d'attaque chimique » en Syrie

Chacun sait aussi qu’en filigrane des rencontres entre le président français et ses homologues russe et américain on retrouve le spectre de la guerre civile syrienne et la crise en Crimée-Ukraine, deux conflits qui opposent les deux anciens camps de la guerre froide et qui peuvent dégénérer à tout moment, d’où la rencontre entre Macron et son homologue ukrainien Porochenko il y a peu et qui a montré que le président français est loin de s’être aligné sur les positions du maître du Kremlin mais demeure plus proche des visions atlanto-américaines. L'Elysée veut donc se rapprocher de Washington dans ces dossiers, les deux dirigeants ayant tout récemment souligné "la nécessité de travailler à une réponse commune en cas d'attaque chimique en Syrie". Lundi dernier, les Etats-Unis ont justement accusé le régime de Bachar al-Assad de préparer une nouvelle attaque chimique et ont menacé  de riposter comme ils l'ont fait le 4 avril après l’attaque supposée « chimique » de Khan Cheikhoun (Nord-ouest de la Syrie) qui fit 88 morts. En représailles, l’armée américaine avait tiré 2 jours plus tard 59 missiles (assez inefficaces d’ailleurs et plus symboliques que stratégiques) contre la base d’Al-Chayrat près de Homs. De son côté, Emmanuel Macron a repris, dans la continuité de François Hollande, le principe de la "ligne rouge" à ne pas franchir par Damas en cas d'attaque chimique « prouvée » (même les preuves demeurent « secrètes »). Macron l’avait d’ailleurs clairement fait savoir à Vladimir Poutine lorsqu'il l'avait reçu à Versailles fin mai. Le chef de l'Etat français a toutefois fait sensiblement évoluer la position diplomatique de Paris en ne faisant plus du départ de Bachar al-Assad un préalable à toute discussion, faute d'avoir trouvé un "successeur légitime". Encore une façon de ménager la chèvre et le chou : un pas en avant anti-Assad, un pas en arrière de neutralité… C’est la raison pour laquelle tous ceux qui croient que Macron est dans une ligne ou une autre se trompent : il est l’homme adepte de Janus, autant pragmatique que Trump ou Poutine mais en plus séducteur, et s’il a des « créateurs », il est déjà en train de leur échapper par son imprévisibilité et le fait qu’il est déjà transcendé par sa fonction. Ces derniers jours, cette convergence de vue franco-américaine s’est renforcée lorsque Washington et Paris ont accusé Damas de préparer une nouvelle attaque chimique. De son côté, le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, très conscient de cette stratégie mouvante et ambivalente de la présidence française et même du soi-disant « pro-russe » Trump, a accusé Washington, la coalition occidentale en Syrie et indirectement Paris d'éviter sciemment de bombarder les positions du Front al-Nosra dans leur lutte contre le terrorisme limité étonnamment au seul Etat islamique. L’accusation d’incohérence stratégique envers ceux qui prétendent combattre le terrorisme islamiste qui frappe pourtant sur leur propre sol mais épargnent les salafo-terroristes parrainés par les « alliés sunnites du Golfe », n’est certes pas infondée. La priorité occidentale et franco-américaine dans cette dernière phase de la lutte contre Da’esh, qui finira par être vaincu, est en effet essentiellement de stopper la progression de l'armée syrienne et de ses alliés irano-chiites et russes vers l'est, bref, stopper l’avancée du front anti-salafiste et anti-Frères musulmans puis empêcher que le régime de Damas (allié de la Russie honnie et du diable iranien) de bénéficier de la victoire contre Da’ech à, quitte à épargner tous les groupes islamo-salafistes et jihadistes distincts de l’EI, à commencer par Al-Qaïda (Tahrir al-Sham-Al-Nosra) et nombre de milices islamistes « modérées » alliés de cette dernière mais considérées « modérées » par simple contraste avec l’épouvantail Da’esh et parce que protégées par des pays « amis » de l’Occident comme la Turquie membre de l’Otan, le Qatar pro-Frères musulmans ou l’Arabie saoudite envers laquelle Trump a littéralement prêté récemment allégeance alors même que ce pays est le plus grand financier et parrain idéologique du fanatisme islamiste sunnite dans le monde depuis le fameux « Pacte du Quincy » qui unit de façon indéfectible Washington et Riyad depuis 1945… Tout cela permet à l’Occident et à ses étranges alliés sunnites du Golfe de banaliser les autres groupes totalitaires jihadistes..

En guise de conclusion

Enfin, pour rassurer les âmes délicates choquées par la venue de Trump au défilé du 14 juillet, rappelons que ce n’est pas la première fois que l’invitation d’un chef d’Etat étranger aura suscité des indignations et aura permis de légitimer des despotes : avant Trump, des dirigeants bien plus infréquentables que Trump ou Poutine, mais à l’époque bien reçus, ont défilé lors de la fête du 14 juillet à Paris sous la présidence de Nicolas Sarkozy, notamment le Tunisien Zine El-Abidine Ben Ali ; l’Egyptien Hosni Moubarak et le Syrien Bachar-el-Assad… Sans parler de la semaine pendant laquelle Kadhafi avait humilié le président français en guise de remerciement pour son invitation en France… A l’époque, l’idée sarkoziste d’inviter des despotes et autres personnages controversés n’était pas mauvaise, le but étant de dialoguer de façon pragmatique avec tous. Mais Macron a su pratiquer cet exercice délicat sans paraître être le perdant ou le dindon de la farce, et c’est là son génie communicationnel et politique.

Retrouvez aussi une intervention d'Alexandre Del Valle sur le même sujet : https://www.sudradio.fr/le-grand-referendum-1576

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