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D'après une théorie développée sur le site de Project Syndicate (voir ici), les relations entre dépenses d'investissements et résultats de ces investissements deviennent de moins en moins directes.
D'après une théorie développée sur le site de Project Syndicate (voir ici), les relations entre dépenses d'investissements et résultats de ces investissements deviennent de moins en moins directes.
©Reuters

Nouvelle donne

Et s'il existait une autre donnée que celle des perspectives économiques moroses ou des politiques budgétaires incertaines pour expliquer le refus des entreprises à investir ? Les relations entre dépenses d'investissements et résultats de ces investissements deviennent en effet de moins en moins directes.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico :  D'après une théorie développée sur le site de Project Syndicate (voir ici), les relations entre dépenses d'investissements et résultats de ces investissements deviennent de moins en moins directes, comment l'expliquer ?

Jean-Pierre Corniou : Après avoir connu une convalescence souvent spectaculaire, dont elles sont ressorties à la fois plus robustes et plus agiles, les entreprises américaines sont nombreuses à afficher un taux record de rétention de liquidités. Elles choisissent soit de les conserver sous forme de cash très faiblement rémunéré aux taux courants du marché, soit de racheter leurs propres actions. Aux États-Unis, les entreprises ont ainsi racheté, en 2013, 600 milliards de leurs propres actions. Le meilleur exemple est Apple qui dispose d’une trésorerie de 158 milliards $ pour une capitalisation de 343 milliards $. Pourquoi des entreprises performantes conservent-elles un niveau de cash si élevé ce qui paraît à la fois improductif et inquiétant sur leur capacité d’usage de leurs résultats ? Il faut souligner que pour des raisons fiscales, pour reprendre l’exemple d’Apple, seuls 34 milliards $ sont détenus aux États-Unis, le reste, 124 milliards $, étant détenu off-shore, ce qui rend l’usage pertinent de ces liquidités moins évident.

Ainsi, l'hésitation des entreprises à investir pourrait s'expliquer non pas seulement par des perspectives économiques moroses, des budgets ou des politiques budgétaires incertaines mais aussi par une autre donnée. Les entreprises préféreraient ainsi l'investissement sur des idées ou des projets très prometteurs, des "gagnants qui raflent tout", à des investissements dans de l'innovation dite "normale" ? Pourquoi ?

La situation économique est le résultat de l’action de forces complexes et désormais mondiales dont l’analyse est éprouvante pour les dirigeants. Aucune certitude durable n’émane des signaux du marché. Le risque de tout investissement s’accroît. Dans un domaine aussi crucial que les carburants pour l’automobile, la valse hésitation entre le solaire, les bio-carburants, le gaz naturel ou l’électricité rend les investissements dans ces techniques trop sensibles à des facteurs exogènes non maîtrisables, comme la réglementation et la fiscalité. Par exemple parmi les pays émergents, les BRIC, n’apparaissent plus comme l’Eldorado encore promis il y a quelques mois. Le ralentissement de leur croissance, la fragilité de leurs systèmes politiques, les tensions internes, sociales ou environnementales, n’épargnent aucun pays émergent et l’investissement y est donc aléatoire. Comme par ailleurs les pays matures connaissent des marchés atones et un vieillissement structurel, les opportunités d’investissement sûr se raréfient. En fait, nous sommes dans une période de transition entre un monde conventionnel, fondé sur la consommation individuelle et l’énergie abondante, et un monde plus frugal fondé sur la créativité, l’imagination, l’usage limité des ressources naturelles. Le "cerveau d’œuvre" devient plus crucial que la "main d’œuvre" dans la compétitivité mais c’est un processus progressif. L’investissement dans les techniques du futur ne peut plus seulement provenir d’entreprises isolées mais de réseaux collaboratifs partageant les risques, les compétences et les gains. C’est un changement majeur dans la logique de l’entreprise que mettent en œuvre sans tabou la plupart des start-up.

Quelles en sont les conséquences sur l'économie globale ?

Cette inquiétude ralentit de façon sensible l’émergence de nouveaux éco-systèmes plus performants et plus novateurs. L’investissement sur des technologies nouvelles, dans tous les secteurs, est par nature risqué. Or le champ des nouvelles technologies de l’information, des bio-technologies, des énergies alternatives, de la recherche de nouveaux matériaux, de nouvelles filières chimiques ou pharmaceutiques est aléatoire, échappe aux classifications traditionnelles, impose de nouvelles combinatoires de techniques et de compétences. Le risque est élevé, les gains difficiles à projeter et à financer dans des plans classiques. Ceci conduit donc à prolonger sans enthousiasme les techniques et les organisations anciennes et à différer le rythme de la transformation.

L'exemple de Microsoft qui peine à concurrencer Apple malgré des dépenses d'investissements supérieures est frappant, peut-on citer d'autres exemples ?

La réussite sur les marchés n’est pas seulement liée aux dépenses de recherche-développement. D’ailleurs le niveau d’investissement nécessaire pour réussir dans les programmes et techniques informatiques est beaucoup moins élevé que dans les activités industrielles fortement capitalistiques. C’est donc bien l’idée qui l’emporte sur les moyens. Le succès de Facebook est un excellent exemple. Les marchés sont sensibles à de multiples facteurs et cette alchimie est rendue complexe par la diffusion immédiate à travers le web de toutes les analyses. Un échec peut se décider en quelques heures si les commentaires pour un produit sont simplement sceptiques. Le droit à l’échec pour une entreprise leader est très limité alors que les start-up osent tout pour se faire repérer. Les conséquences d’une déception sur un produit nouveau sont beaucoup plus graves que le simple effet comptable d’un échec partiel. Il y a donc un avantage considérable pour les petites structures innovantes au détriment des grandes sociétés établies.

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