Vieillissement : pourquoi les hommes attendent encore que ce soit leurs sœurs qui s'occupent de leurs parents âgés<!-- --> | Atlantico.fr
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Environ 3,5 millions de personnes âgées sont accompagnées par des aidants bénévoles.
Environ 3,5 millions de personnes âgées sont accompagnées par des aidants bénévoles.
©Reuters

Vieillesse ennemie

La ministre de la Santé, Marisol Touraine, et la ministre déléguée chargée des Personnes âgées, Michèle Delaunay, multiplient les concertations autour du projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement. Sur le terrain, le coût de la prise en charge repose bien plus sur les particuliers bénévoles que sur l'Etat, et encore plus sur les filles que sur les fils, pour des raisons culturelles mais aussi économiques.

Serge Guérin

Serge Guérin

Serge Guérin est professeur au Groupe INSEEC, où il dirige le MSc Directeur des établissements de santé. Il est l’auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont La nouvelle société des seniors (Michalon 2011), La solidarité ça existe... et en plus ça rapporte ! (Michalon, 2013) et Silver Génération. 10 idées fausses à combattre sur les seniors (Michalon, 2015). Il vient de publier La guerre des générations aura-t-elle lieu? (Calmann-Levy, 2017).

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Atlantico : Dans quelles proportions les Français s'occupent-ils de leurs parents vieillissants (solidarité familiale vs solidarité nationale) ? Le vieillissement de la population a-t-il accru le phénomène ? A quel point ?

Serge Guérin : En tout, environ 3,5 millions de personnes âgées sont accompagnées par des aidants bénévoles, à savoir le/la compagne, les enfants ou parfois un ami. Si l'on payait ces personnes, ce  seraient 60 milliards d'euros qu'il faudrait mettre sur la table. Les collectivités, elles, dépensent environ 20 milliards. La dépense des familles est trois fois supérieure, donc. On se rend compte que l'accompagnement des personnes âgées est largement tributaire de l'engagement des familles et des proches. Quant aux dépenses effectuées pour payer les maisons de retraite, une fois les aides touchées, le reste à charge pour les familles s'élève à 1 000 euros par mois. A raison de 450 000 personnes âgées dans les maisons de retraite françaises, le calcul est vite fait… Il est essentiel de soutenir ces aidants, qui jusqu'ici étaient les "invisibles". La loi à venir va pour la première fois leur accorder des droits

On associe souvent le déficit de la sécurité sociale au vieillissement de la population, et on a aussi tendance à associer vieillesse et maladie. La réalité est différente, car aujourd'hui l'explosion de la perte d'autonomie est liée à la hausse importante des maladies chroniques (environ 15 millions de personnes en France), qui représentent plus de 80 % des dépenses de santé globales. Et celles-ci ne touchent pas que les personnes âgées, loin de là.

Existe-t-il des différences dans la prise en charge de la vieillesse selon les catégories sociales ?

En ce qui concerne l'accompagnement, la répartition des aidants bénévoles (famille, amis) est exactement la même dans toutes les catégories sociales. Les moyens, en revanche, ne sont pas les mêmes. Les classes aisées bénéficient de moyens et de réseaux plus vastes, qui leur permettent de trouver et de bénéficier des systèmes d'aide plus facilement. Les personnes qui sont plus démunies socialement et culturellement rencontrent plus de difficultés pour trouver des relais. Et que ce soit en termes de niveau de pension ou de patrimoine, les classes aisées ont plus facilement accès à des maisons de retraite de qualité. Le coût moyen d'une maison de retraite en France est de 1 500 euros, tandis que la pension moyenne versée est de 1 300 euros… Même si le tissu associatif propose des places en maisons de retraite à des tarifs relativement accessibles, et l'Etat, des aides, les classes aisées se trouvent dans une position plus confortable à ce niveau.

Le désir social de rester chez soi est très fort, et d'ailleurs le projet de loi, via les foyers logements (maisons de retraite non médicalisées), prend ce besoin en compte. Et le coût d'accès est relativement modéré. Mais il reste vrai qu'un certain nombre de personnes âgées ne vont pas en maison de retraite parce qu'elles n'en ont pas les moyens.

J'ajouterai que plus on est issu de milieux favorisés, plus la survenue de graves déficits en termes de santé est éloignée dans le temps. Dans les milieux populaires la perte d'autonomie arrive beaucoup plus tôt. On estime qu'entre les personnes ayant des activités privilégiées et intellectuelles et celles dont les activités sont plus manuelles et difficiles, la maladie d'Alzheimer survient avec dix ans d'écart en moyenne. Il en va de même avec l'espérance de vie : l'écart est estimé à sept ans entre un cadre supérieur et un ouvrier spécialisé.

Existe-t-il une différence entre les frères et les sœurs ? Quelles sont les données chiffrées sur cette différence ?

Culturellement, la norme sociale veut que ce soit la fille aînée qui prenne soin du ou des parents en perte d'autonomie. Aujourd'hui la responsabilité est un peu mieux répartie, ce ne sont pas systématiquement les filles qui prendront les choses en main. Ce qui commande surtout, c'est la proximité géographique, sociale, émotive, et la disponibilité. Donc même si majoritairement les filles s'occupent plus des parents que les fils, c'est souvent le fruit d'une concertation au sein de la fratrie, moins schématique qu'il y a 20 ans.

Qu'est-ce qui explique l'écart entre les frères et les sœurs ? Cette différence est-elle uniquement sociologique ? A-t-elle une explication économique ?

 Le premier facteur est culturel, on se dit sans vraiment y réfléchir que c'est le rôle de la fille. Deuxièmement, ce sera la personne dont les revenus seront le moins impactés par le fait de s'occuper d'un parent. Or les femmes organisant en moyenne leur travail de telle sorte qu'elles partent à la retraite plus tôt, elles sont plus disponibles. Les conditions économiques viennent donc renforcer une habitude culturelle.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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