Guerre de la famille Peugeot sur le contrôle de PSA : ce que les salariés perdent (et gagnent) quand une entreprise sort du capitalisme familial<!-- --> | Atlantico.fr
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PSA Peugeot Citroën va être renfloué à hauteur de 3 milliards d'euros par l’État et la société chinoise Dongfeng
PSA Peugeot Citroën va être renfloué à hauteur de 3 milliards d'euros par l’État et la société chinoise Dongfeng
©Reuters

Remus et Romulus

PSA Peugeot Citroën va être renfloué à hauteur de 3 milliards d'euros par l’État et la société chinoise Dongfeng, qui entrent de fait au capital du groupe familial. Ce choix ne s'est pas fait dans dissensions eu sein même de la famille Peugeot.

Atlantico : Le conseil de surveillance de PSA Peugeot Citroën a validé dimanche soir le principe d'un renflouement par l'État français et le chinois Dongfeng, à hauteur de 3 milliards d'euros, contre l'avis de son président Thierry Peugeot. C'est la position de son cousin et directeur de FFP, holding qui gère la participation familiale dans PSA, qui a prévalu. Ce cas est-il révélateur des problèmes posés par les questions d'héritage et de transmission des responsabilités dans les entreprises dites familiales ?

Pierre-Yves Gomez : Ce cas n'est pas révélateur, mais il contribue à écrire un chapitre de la longue saga du capitalisme familial. Celui-ci peut être fait comme partout ailleurs de désaccords entre les membres d'une même famille sur la stratégie de l’entreprise, mais aussi entre les personnes pour des raisons parfois beaucoup plus obscures. Avec des conséquences dramatiques, comme on l'a vu récemment chez Lacoste lorsque parents et enfants étaient en désaccord, ce qui a conduit finalement à la vente de l’entreprise. Mais dans le cas de Peugeot, la situation est assez différente, même s’il y a aussi une vieille rivalité personnelle entre Thierry et Robert Peugeot. La famille n’est plus actionnaire que de 25 % du capital, mais garde la majorité avec 38 % de droit de vote, donc elle demeure encore l’actionnaire de référence. Or l’enjeu est de savoir jusqu'à quel point elle peut garder le contrôle d'une entreprise d'une telle taille qui nécessite une recapitalisation de 3 milliards d'euros. Il faudrait soit qu’elle remette elle-même beaucoup d’argent dans l’entreprise, ce dont elle n’est pas financièrement capable, soit qu’elle limite l’entrée de nouveaux associés à ceux avec lesquels elle croit pouvoir conserver un pouvoir d’influence important. C’est pour cela que Thierry Peugeot était opposé à l’entrée de l’État au capital . Son cousin Robert considère, lui, que la fortune de la famille n’a pas vocation à rester éternellement dans l’automobile et qu’elle doit se diversifier.

Augustin Landier : Les analyses sérieuses sur ce sujet de la performance des entreprises familiales trouvent des résultats assez ambigus. Sur des données américaines d’entreprises cotées, plusieurs papiers montrent que lorsqu’un fondateur passe les rennes de l’entreprise à un membre de sa famille plutôt qu’à un manager professionnel, l’entreprise détruit environ 10 % de sa valeur financière. Une étude sur le Danemark trouve les mêmes résultats. Pour la France,  Sraer et Thesmar montrent que les entreprises familiales performent plutôt mieux que les autres, même lorsqu’elles sont managées par un descendant (voir ici).

A quelles conditions le modèle de l'entreprise familiale est-il optimal, tant en interne que sur un plan macroéconomique?

Augustin Landier : Un argument en faveur du capitalisme familial peut porter sur le thème des bienfaits d’un actionnaire de référence :  un actionnaire de référence, qui est très exposé à la valeur de l’entreprise, est incité à surveiller ce qui se passe, et s’il a le contrôle, il peut décider vite. La famille peut parfois jouer ce rôle. C’est un argument qui est valable surtout dans des pays où les institutions légales et financières font que la gouvernance des entreprises est déficiente, que la démocratie actionnariale fonctionne mal, ou que le private equity ne peut pas se développer normalement. En bref, plus le système financier est sous-développé, mal régulé ou fiscalement contraint, plus le capitalisme familial est un substitut important pour le développement de l’économie.

Pierre-Yves Gomez : Le rôle fondamental des actionnaires est d'assumer la continuité l'entreprise. Or par définition, une famille se poursuit dans le temps. En général, la force du capitalisme familial, c'est de permettre la continuité de l'entreprise. C’est bien ce qu’ont fait les Peugeot depuis plus de 100 ans. Mais, le capitalisme familial a aussi deux faiblesses : d’abord, il oblige la famille à augmenter le capital au fur et à mesure de la croissance de l’entreprise. Lorsque que cela lui et financière difficile, les actionnaires familiaux ont tendance à chercher des stratégies économes en investissements. C’est ce qu’ont dû faire les Peugeot depuis 10 ans, et les a conduit à se limiter au  marché européen, ce qui fut une erreur stratégique. La deuxième faiblesse tient à la façon dont se passent les successions. Il ne va pas de soi de poursuivre l’aventure d’une entreprise de génération en génération. C’est ce que peut faire une famille, mais à condition qu’elle reste unie et qu’elle partage les mêmes valeurs et le même intérêt pour l’entreprise. Cela n’a plus été le cas chez les Peugeot depuis la mort de Pierre Peugeot en 2002. Les divisions familiales deviennent alors contre-productives pour l’entreprise.

Les salariés, dont on dit souvent qu'ils sont attachés à l'entreprise familiale, ont-ils intérêt à ce que le modèle perdure ? En cas de changement, leur emploi est-il fragilisé, et pourquoi ?

Pierre-Yves Gomez : C’est moins une question d’entreprise familiale que de taille. On associe à juste raison l’entreprise familiale à la PME et aux entreprises de taille intermédiaire. C’est pour cela qu’on voit des relations privilégiées entre actionnaires et salariés. Il est évident que plus la taille augmente, plus cette relation devient difficile. La solution est alors plutôt de faire entrer les salariés au capital de l’entreprise, comme l’ont fait les Bouygues, qui possèdent aujourd’hui un peu moins d’actions que leurs employés. Cette solution a l’avantage d’augmenter les moyens de l'entreprise en parallèle avec sa taille et donc avec le nombre de ses salariés. Elle peut pérenniser davantage les emplois et conduit à une sorte de capitalisme familial de masse…

Augustin Landier : Il y a deux effets. Le premier est contre-intuitif : contrairement à ce qu’on dit souvent, les salaires dans les entreprises familiales en France sont plutôt plus faibles. Il n’y a donc pas de confort particulier à être salarié d’une entreprise familiale. C’est un des résultats de l’étude de Sraer&Thesmar. Un autre effet, c’est que comme la famille est très exposée au risque de faillite, elle aura tendance à prendre moins de risques que ce que choisirait un actionnaire diversifié. Cela est peut-être rassurant pour un employé, mais pas nécessairement efficace économiquement.

Le nombre d'héritiers grandissant au fil des années, au bout de combien de générations est-il préférable de passer du modèle familial à une logique plus financière ? La famille a-t-elle intérêt à abandonner le décisionnel à des personnes extérieures ?

Pierre-Yves Gomez : Il ne faut pas opposer le modèle familial à la logique financière, car il y a des familles qui considèrent leur patrimoine de manière très financière. C’est d’ailleurs le cas de Robert Peugeot, qui voudrait que la holding familiale se diversifie. Mais il est vrai que mécaniquement, le nombre d’héritiers augmente dans le temps et que des divisions apparaissent. En général la famille abandonne la gestion à des managers extérieurs à partir de la troisième génération et ne conserve que des postes de surveillance. En effet, lorsque l’entreprise grossit, elle a besoin de compétences qui ne se sont pas nécessairement dans la famille. De plus, déléguer la gestion courante à une personne externe évite les tensions entre les différents clans de la famille, et permet d'avoir un fusible en cas de désaccord.

Augustin Landier : On peut surement trouver des exceptions notables, mais oui, en moyenne les études trouvent qu’utiliser un manager externe plutôt que passer le bâton à un descendant est générateur de valeur actionnariale. Il y a aussi un argument évident de diversification : garder tous ses œufs dans le même panier est dangereux ; la famille peut avoir intérêt à vendre une fraction de ses parts, ce qui implique de renoncer au contrôle… Cependant, cela n’est pas forcément économiquement efficace si la famille tire de forts bénéfices non-financiers (c’est-à-dire psychologiques/subjectifs/affectifs) à rester aux commandes : le plaisir que les gens tirent du fait de contrôler directement un outil productif doit être prise en compte dans le calcul de l’intérêt familial : la seule chose qu’on peut dire est qu’en pur termes financiers, ce n’est pas une bonne affaire en général de ne pas déléguer la gestion à un manager externe.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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