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Générosité européenne à double tranchant : ouvrir les frontières aux travailleurs bulgares et roumains est-il le meilleur service que l’on puisse rendre à leurs pays ?
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Qui perd gagne

Pour David Cameron, Premier ministre britannique, la réponse est non. C'est l'idée qu'il développe dans une tribune publiée par le Financial Times.

Jacques Barou

Jacques Barou

Jacques Barou est Docteur en anthropologie et chargé de recherche CNRS. Il enseigne à l’université de Grenoble les politiques d’immigration et d’intégration en Europe. Son dernier ouvrage est La Planète des migrants : Circulations migratoires et constitution de diasporas à l’aube du XXIe siècle (éditions PUG).

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Atlantico : Dans une récente tribune publiée dans le Financial Times (voir ici), David Cameron développe à l'occasion de l'accès total au marché européen du travail pour les Bulgares et les Roumains, l'idée selon laquelle "Vast migrations extract talent from countries that need their best people" (Les grandes vagues migratoires extraient le talent des pays qui ont besoin de leurs meilleurs cerveaux). Que penser de ce raisonnement ? Les pays d'origine des migrants sont-ils vraiment les premières victimes des vagues migratoires ? Quels en sont les exemples notamment en Europe ?

Jacques Barou : Quand il y a eu en 2004 l'entrée de dix pays est-européens dans l'UE, le Royaume-Uni s'est empressé d'ouvrir ses frontières et a capté des migrants de tous niveaux attirés par de meilleurs salaires. Cela s'est traduit par des avantages pour le pays d'accueil mais par des difficultés pour certains pays fournisseurs qui ont vu partir nombre de professionnels hautement qualifiés. Dans certains cas, ils ont pu remplacer ceux-ci par des migrants d'autre provenance. La Pologne a ainsi pu remplacer ses travailleurs qualifiés partis en Europe de l'ouest par des Ukrainiens. Dans d'autres cas, il a été difficile de remplacer ceux qui étaient partis. C'est le cas avec les pays Baltes et particulièrement la Lettonie, pays faiblement peuplé qui a vu partir une bonne partie de ses meilleurs professionnels au point où certains secteurs se sont dégradés considérablement, la santé publique en particulier.

Qu'en est-il de la satisfaction des "cerveaux" qui migrent vers les pays les plus développés ? Sont-ils vraiment accueillis et embauchés à la hauteur de leurs qualifications ou sont-ils "victimes" de leurs origines ? Quelles sont les conséquences, positives et/ou négative, du phénomène pour les pays récepteurs ?

Dans les pays récepteurs, les étrangers n'ont pas eu les mêmes opportunités de carrière que les nationaux. La non-reconnaissance de leurs diplômes a permis de les payer moins cher, cela ne les a pas découragés pour autant car la différence de revenus reste intéressante pour eux et leur permet de transférer des fonds chez eux, ce qui profite tout de même à leurs pays. La contestation de ces initiatives est surtout venue des travailleurs nationaux estimant que les collègues d'Europe de l'est leur faisaient une concurrence déloyale, ce qui a contribué à nourrir le sentiment anti-européen.

Avec le système des travailleurs détachés, on est allé encore plus loin dans les arrangements qui ont permis aux entreprises des pays récepteurs de faire des économies considérables sur le coût de la main d'oeuvre en sous-traitant à des entreprises est-européennes qui payaient leurs salariés à un niveau de salaire correspondant à celui des pays d'origine. Cette contestation de l'appel aux migrants est-européens est devenue forte surtout en Grande-Bretagne où la dérégulation du marché du travail a permis d'amplifier les effets bénéfiques pour les entreprises et les effets négatifs pour les travailleurs. C'est sans doute pour cela que Cameron n’envisage pas de faire avec la Roumanie et la Bulgarie la même chose que son pays a fait avec les autres pays est-européens.  

Peut-on conclure que ce type de migration finit par ne satisfaire personne, et surtout aucun pays ? Sinon, qui sont ceux qui se sentent gagnant ?

La formation de professionnels hautement qualifiés est coûteuse. Les pays qui les voient partir après avoir investi dans leur formation subissent un préjudice objectif qui est compensé en partie par les transferts de fonds réalisés par les migrants. Ces pays là sont les plus pauvres de l'U.E et les ponctions effectuées sur leur main d'oeuvre qualifiée contribuent à accroître leur retard et leur dépendance. Dans l'affaire, les vrais gagnants sont les entreprises et les services publics des pays récepteurs, les pays de départ bénéficient de transferts de fonds qui dopent leur croissance mais n'évite pas toujours la dégradation des secteurs les plus touchés par l'exode des cerveaux. Les travailleurs qualifiés d'Europe de l'est parviennent à améliorer leur sort au prix de l'acceptation d'une forme de discrimination salariale qu'ils compensent en faisant des heures supplémentaires. Les principaux perdants sont les travaielleurs qualifiés des pays d'accueil qui sont poussés à des réactions xénophobes.  Ce type de migration est en soi quelque-chose de positif mais gagnerait à être plus encadré avec une supervision des représentants des travailleurs de tous les pays de l'U.E.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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