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De Spartacus à Ben Laden, existe-t-il des traits psychologiques communs à tous les insurgés ?
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Bonnes feuilles

Depuis une décennie, les Etats s'emploient à se réapproprier les principes généraux de la contre-insurrection en se concentrant sur l'expérience de ceux qui ont dû y faire face dans le passé (Français, Britanniques, Américains, Soviétiques) et sur les mécanismes de fonctionnement des insurgés eux-mêmes (IRA, Black Panthers, Oussama Ben Laden etc.). Extrait de "Dans la tête des insurgés" (2/2).

Hugues Esquerre

Hugues Esquerre

Saint-Cyrien, breveté de l'Ecole de guerre, Hugues Esquerre appartient à une génération d'officiers qui a été confrontée à des problématiques insurrectionnelles partout où la France est intervenue militairement depuis une quinzaine d'années. Il a notamment pris part à la mission militaire française d'étude des combats qui ont opposé l'armée libanaise au Fatah al-Islam dans le camp de Nahr el-Bared en 2007 et planifié des opérations de contre-insurrection dans le sud de l'Afghanistan en 2008 et 2009.

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Souffrant de sa position dans la société dans laquelle il vit, l’insurgé potentiel trouvera dans l’activisme une raison de vivre et sera conforté dans son ressenti. Dès lors, la destruction de la société qui l’a rejeté sera, consciemment ou inconsciemment, son unique but. Pour constituer les premières forces d’un mouvement insurrectionnel, il faut pour ces raisons se tourner vers des populations dont l’intégration sociale est fragile ou a échoué. Plutôt que de se tourner vers des organisations politiques installées comme les syndicats, dont les membres auront tendance à avoir un comportement frileux (« petit bourgeois » diraient les marxistes) pour préserver leurs places et leurs avantages, il est plus utile d’infiltrer les campus universitaires et les lycées qui sont de bien meilleurs foyers potentiels de recrutement car les jeunes sont moins intégrés dans l’ordre existant que les adultes, y compris ceux des classes sociales les plus modestes. Les étudiants sont par nature pour beaucoup d’entre eux en rupture avec leurs aînés et inquiets pour leur avenir social et professionnel, particulièrement en période de crise. De plus, leur formation intellectuelle leur donne un niveau de conscience politique assez élevé et leur concentration constitue un facteur de développement et de croissance non négligeable. Il suffit d’observer la place des étudiants à l’avantgarde de l’insurrection hongroise de 1956, des mouvements contestataires de l’année 1968 ou, plus près de notre époque, des mouvements « indignés » en Europe pour constater le potentiel qu’ils représentent. Ce sont également des jeunes qui constituent le coeur des mouvements altermondialistes, des black blocks libertaro-anarchistes ou du Parti pirate dont l’objectif est de défendre les droits et libertés fondamentaux, de libérer l’accès à la culture et au savoir, et de lutter contre les monopoles privés et le système des brevets.

Malgré des objectifs, des modes d’action et des revendications très disparates, voire opposées, puisque certains groupes sont pacifistes là ou d’autres sont violents et que tous ont des relations relativement divergentes à l’autorité, à la hiérarchie et à la discipline, leur existence montre à quel point la jeunesse étudiante est prompte à s’engager activement pour une cause. Pour une insurrection qui se constitue, c’est un paramètre à exploiter. Les classes défavorisées, même si elles sont ex abrupto moins ouvertes intellectuellement au principe insurrectionnel, représentent aussi un vivier de recrutement pour diverses raisons. En premier lieu, ces personnes ont moins à perdre que les classes sociales plus aisées : emploi, patrimoine, situation sociale. En second lieu, elles seront plus réceptives au dénigrement du régime en place, d’autant plus qu’il est très humain de faire porter la responsabilité d’un échec à un tiers ou à un système plutôt que d’en assumer sa part. Avec un travail de propagande et d’éducation adapté qui saura jouer sur ces points précis, les « pauvres » pourront voir dans une insurrection le moyen d’abattre une société qui les a exclus tout en se construisant un avenir meilleur. Ils seront en particulier très sensibles aux attentions qu’ils recevront dès leur adhésion et aux responsabilités qui pourront leur être confiées et qui marqueront tangiblement la rupture entre leur présent et leur passé.

Pour obtenir leur adhésion, il ne faut pas hésiter à personnifier la haine et à désigner comme ennemis de la cause à supprimer des personnes contre lesquelles ils ont un grief : chefs directs au travail, huissiers, banquiers, agents des services de l’emploi, etc. Tout le monde n’aspire pas à gouverner, mais tout le monde déteste quelqu’un. Là encore, il faut exploiter ce trait de caractère universel. Enfin, une insurrection pourra se tourner pour son recrutement vers les personnes en rupture consommée avec la société. Outre les parias et autres marginaux dont l’approche relèvera des mêmes principes que les classes sociales modestes, c’est essentiellement vers la population carcérale que cet effort devra être porté. Les prisonniers, jeunes, mis au ban de la communauté, ayant déjà enfreint la loi, offrent un potentiel unique à exploiter. Ils pourront être approchés à leur sortie d’incarcération en leur fournissant notamment de quoi subsister le temps d’évaluer leur potentiel et leur réceptivité à la cause défendue par le mouvement insurgé : un logement, de la nourriture, des vêtements. En retour, ils pourront rendre de menus services avant d’être impliqués plus largement. Dans le même temps, les insurgés eux aussi incarcérés devront devenir les agents de détection et de recrutement à l’intérieur même des prisons. Leur prosélytisme devra être total et offensif. Ils feront valoir la justesse de leur cause, de ses objectifs ; ils insisteront par contraste sur l’injustice et les inégalités qui règnent dans le système en place. L’instruction politique devra être permanente.Afin d’appuyer leur démarche, leur comportement devra être exemplaire et, s’ils sont plusieurs, ils devront montrer une solidarité sans faille et être accueillants pour leurs codétenus souhaitant se rapprocher d’eux. Les nouvelles recrues libérées seront alors attendues à leur sortie pour poursuivre leur intégration.

Extrait de "Dans la tête des insurgés", Hugues Esquerre (Editions du Rocher), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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