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Révoltes et insurrections : les éléments déclencheurs
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Bonnes feuilles

Depuis une décennie, les Etats s'emploient à se réapproprier les principes généraux de la contre-insurrection en se concentrant sur l'expérience de ceux qui ont dû y faire face dans le passé (Français, Britanniques, Américains, Soviétiques) et sur les mécanismes de fonctionnement des insurgés eux-mêmes (IRA, Black Panthers, Oussama Ben Laden etc.). Extrait de "Dans la tête des insurgés" (1/2).

Hugues Esquerre

Hugues Esquerre

Saint-Cyrien, breveté de l'Ecole de guerre, Hugues Esquerre appartient à une génération d'officiers qui a été confrontée à des problématiques insurrectionnelles partout où la France est intervenue militairement depuis une quinzaine d'années. Il a notamment pris part à la mission militaire française d'étude des combats qui ont opposé l'armée libanaise au Fatah al-Islam dans le camp de Nahr el-Bared en 2007 et planifié des opérations de contre-insurrection dans le sud de l'Afghanistan en 2008 et 2009.

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La première de ces causes est politique. Toute société oscille en permanence entre deux démarches antagonistes : l’autorité et la liberté. Un régime privilégiant l’autorité se fonde généralement sur la force pour exister. Les règles sociales y sont nombreuses, les forces de l’ordre sont puissantes et le droit leur est favorable. Toute infraction ou déviance est lourdement sanctionnée. Tôt ou tard, il sombre dans l’arbitraire, humilie des hommes et bafoue la liberté, même inconsciemment. Mais il ne contrôle jamais la pensée et ne peut limiter l’esprit. En privilégiant l’autorité sur la liberté, il pose les bases du despotisme et, par réaction, donne naissance aux hommes qui se battront contre lui. Le reste n’est plus que question de temps et d’occasion. Les philosophes des Lumières, Montesquieu, Rousseau, Voltaire, ont tenté sans succès de faire évoluer la noblesse en dénonçant ses excès qui écartaient de toute vie publique une majorité de Français. La noblesse ne voulant rien entendre, la Révolution de 1789 vint comme une conséquence logique. À l’opposé du spectre, un régime qui privilégie la liberté peut très facilement arriver à briser tout lien social et toute contrainte. C’est alors l’anarchie et la loi du plus fort qui risquent de s’installer. Incapable de répartir les charges publiques et d’imposer la notion de mérite, un tel régime renforce par sa faiblesse les égoïsmes et les intérêts partisans. La corruption s’installe et l’atomisation du corps social est alors inévitable. Sans cohésion, sans notion d’intérêt général, la légitimité des institutions est ébranlée et le pouvoir peut sembler facile d’accès pour qui s’organise. C’est ainsi que la dynastie carolingienne s’installa sur le trône franc. Alors que la dynastie mérovingienne est en pleine décadence, le pouvoir est exercé par le maire du palais, Pépin le Bref, premier sujet du royaume après le roi. En 750, Pépin dépose Childéric III, le dernier roi mérovingien, en se faisant reconnaître par le pape Zacharie qui déclare que « celui qui exerce véritablement le pouvoir porte le titre de roi ». L’anarchie consacre souvent le plus fort. Même si un régime équilibre harmonieusement autorité (ordre public, respect de la loi, impôt…) et liberté (expression, mouvement, association…), il n’est pas pour autant à l’abri des troubles qui viennent d’être décrits. Ceux-ci trouvent simplement leur source ailleurs, tout en profitant des latitudes offertes par la liberté et en amplifiant les contraintes imposées par l’autorité.

La religion est la deuxième des trois causes évoquées. Le fanatisme est porteur de désordres et de crimes presque sans limites. Combiné à l’ignorance, il engendre la haine. Chacun se croit porteur d’une vérité absolue et perçoit l’autre tel un ennemi de dieu et de la vertu. La diffusion de sa vision devient alors un absolu qui est vu comme un bienfait à imposer à ceux qui le refusent. Inversement, tout acte contraire à la foi est vécu comme une attaque. Si c’est une loi, elle devient brimade. Si c’est une déclaration, elle devient insulte. Si c’est une politique, elle devient discriminatoire. La religion est certainement le facteur d’insurrection le plus simple et le plus facile à manier et le plus difficile à combattre. Les exemples d’insurrections religieuses ne manquent pas et rares sont les religions qui n’ont pas été concernées. L’histoire de l’Europe est jalonnée par ces poussées de violence : croisade contre les Albigeois au XIIIe siècle, révolte des Rustauds et révolte iconoclaste au XVIe, Camisards au XVIIIe, etc. Au XXe siècle ce sont les Cristeros mexicains qui se sont battus au nom de la chrétienté, tandis que l’insurrection sikh a été vaincue en Inde dans le courant des années quatre-vingtdix. Aujourd’hui, les insurrections contemporaines touchent essentiellement l’islam : Boko Haram au Nigéria, Abu Sayyaf aux Philippines, Al-Shabbaab en Somalie, Jemaah Islamiyah en Indonésie, talibans en Afghanistan et bien d’autres. Dans tous ces exemples historiques, la religion ne joue bien entendu pas le même rôle : des fidèles s’insurgent pour défendre leur liberté de culte quand celle-ci est attaquée, d’autres veulent imposer à tous leur seule pratique religieuse, d’autres encore veulent abolir les lois civiles et les remplacer par une loi religieuse. Pour certains enfin, elle n’est qu’un facteur de solidarité parmi d’autres au sein d’un groupe combattant pour d’autres motifs. Ainsi en est-il des Karens de Birmanie qui, majoritairement chrétiens, luttent depuis plus de soixante ans contre le pouvoir central essentiellement pour leur reconnaissance et leur survie. Quelle que soit sa position et son influence dans l’idéologie d’une insurrection, la religion n’en demeure pas moins un facteur extrêmement utile de cohésion et d’identification. Pour cette raison, savoir l’utiliser à son profit lorsqu’elle est compatible avec ses positions philosophiques est essentiel. Elle permettra de fédérer ses alliés et surtout de désigner ses ennemis en ajoutant une condamnation spirituelle à un désaccord politique.

La dernière cause de trouble est économique. Les crises économiques, la spéculation, l’inflation et les hausses de prix, le chômage et les taxes constituent un danger social important. La cohésion de la société peut facilement être détruite, notamment lorsqu’une minorité étale ouvertement une richesse excessive face à une masse économiquement en difficulté. Ceci est encore accru en période de crise lorsque les perspectives se détériorent, que le pouvoir d’achat baisse et que le chômage bondit. Si le contraste devient indécent, il porte les germes de l’explosion sociale. Naturellement exaspérant, ce mécanisme peut devenir profondément déstabilisant s’il est correctement instrumentalisé. Souvent, même si une insurrection a une cause politique ou religieuse, son ampleur sera démultipliée si elle se conjugue à une situation économique qui lui offre le soutien des classes populaires les plus pauvres. Un insurgé cherchera à tirer profit d’une situation économique dégradée. Il lui faudra attiser la haine des « riches » en dénonçant leur mépris des classes populaires et leur mode de vie corrompu. Il poursuivra en dénonçant la collusion du pouvoir et de l’argent : les politiques ne cherchent qu’à s’enrichir et légifèrent au profit des puissances de l’argent qui constituent une caste protégée ne prenant aucune part à la solidarité nationale. La déclinaison de cet argument est sans fin, des impôts inégaux pénalisant les plus modestes aux mécanismes complexes permettant l’évasion fiscale des plus gros revenus. « La domination sans partage du capital financier sur le monde » pour reprendre les termes employés par le Front de gauche2 aux élections présidentielles françaises de 2012 peut alors être accusée de tout, et surtout d’aliéner les citoyens. Parallèlement, comme le fit Mao pour la redistribution des terres, le mouvement insurgé veillera à intégrer dans son manifeste des propositions pour rétablir une situation jugée économiquement équitable : confiscations, redistributions, nationalisations, etc. Maurice Duverger, éditorialiste au journal Le Monde, écrivait dans ce journal le 12 juillet 1968 que avant mai 1968, on jugeait une révolution impossible dans les pays industrialisés. On disait que l’élévation générale du niveau de vie y avait embourgeoisé les travailleurs et atténué la violence de la lutte des classes. On estimait que les masses populaires refuseraient de sacrifier leur bien-être présent, même médiocre, à la perspective aléatoire d’un mieux-être futur obtenu au prix d’une longue période de difficultés.

De fait, aucune société n’étant épargnée par les inégalités économiques, les troubles qui leur sont liés constituent un levier systématique de pourrissement.

Extrait de "Dans la tête des insurgés", Hugues Esquerre (Editions du Rocher), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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