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Cadres, fonctionnaires ou chefs d'entreprise : peut-on tracer le portrait-robot de l'expatrié français ?
©Reuters

Bonnes feuilles

On compte aujourd'hui plus de deux millions d'expatriés français dans le monde. André Bercoff et Deborah Kulbach ont choisi de leur donner la parole pour mieux saisir leurs motivations. Et l'inventaire est lourd. Extrait de "Je suis venu te dire que je m'en vais" (1/2).

Peut-on tracer un portrait-robot de l’expatrié français ? Selon la Maison des Français de l’étranger, qui les interroge chaque année sur son site Internet, la majorité des expats on line auraient moins de 35 ans. 18 % de cette population travaille pour la filiale d’une entreprise française. Un tiers est cadre, 24,6 % fonctionnaires, 9,4 % en profession libérale, 5,8 % chefs d’entreprise. 3 % seulement s’installeraient à l’étranger pour des raisons fiscales. En revanche, selon l’enquête de Mondissimo portant sur les départs entre 2003 et 2013, parmi les Français travaillant à l’étranger, ils sont 62 % à avoir plus de 40 ans, les deux tiers de cette population sont de sexe masculin.

Ce que l’on constate depuis quelque temps, c’est l’augmentation du nombre de jeunes diplômés qui fuient leur pays, où le chômage deviendrait l’horizon indépassable de notre temps, et l’explosion du nombre d’étudiants qui profitent de deux innovations fortement appréciées : le Volontariat international en entreprise qui permet à des jeunes de moins de 28 ans d’effectuer un travail à l’étranger pour une durée de six à vingt-quatre mois, travail rémunéré de 2 200 à 3 200 euros par mois ; et le Visa Vacances-Travail, qui permet aux 18-30 ans de tenter leur chance pendant un an dans le pays de leur choix. Depuis une dizaine d’années, les candidatures se multiplient et l’on voit des centaines de jeunes qui, une fois finie leur période de travail, disent à papa-maman, à leur village, à son clocher et à ses maisons sages : j’y suis, j’y reste. Ce qui n’est pas, on en conviendra, la meilleure manière de faire triompher le redressement productif.

Mais qu’est-ce qu’ils ont, ces enfants gâtés, choyés par leur famille et par un État toujours providentiel malgré la crise, qui assure chômage et retraite, santé et logement, éducation et allocations, même si tout cela devient de plus en plus problématique eu égard à la dette qui ressemble à s’y méprendre à l’iceberg géant qui attendait le Titanic il y a plus d’un siècle ?Eh bien, justement, ces garçons et ces filles, ainsi que leurs parents, se rendent enfin compte au bout de trente ans que la croissance ne sera jamais plus ce qu’elle était et que les vaches grasses ont définitivement quitté les vertes prairies depuis qu’elles sont devenues folles en regardant passer les TGV. Voilà qui fait que votre fille est muette et votre fils sur le départ.

Du coup, la France a le blues, presque autant que la Louisiane après l’ouragan Katrina. Selon l’agence W&Cie, le pays serait en dépression collective. La cote d’alerte est dépassée, ça va secouer, selon le président de l’agence. Nos compatriotes parlent de désillusion, de lassitude et de fatigue morale et 38 % des personnes interrogées déclarent qu’elles voudraient quitter la France pour vivre dans un autre pays. « Mais contrairement aux idées reçues, on se rend compte que ce sont les gens modestes qui veulent s’expatrier, pas la France du CAC 40 », précise le responsable de W&Cie.

Mais alors, de quoi se plaignent-ils ? Est-on encore dans l’image d’Épinal du Français râleur, insatisfait, qui passe sa vie à geindre et à en vouloir aux politiques, aux riches, aux pauvres, à la gauche, à la droite, sur tous les zincs des cafés du Commerce ?Force est de reconnaître qu’il ne s’agit plus de ces vieux clichés, mais bien d’une pédagogie amère de la crise, qui est devenue, bon gré mal gré, dimension intérieure de tous. On ne sait plus si on prendra sa retraite à 65 ou 70 ans, répètent les uns. Gagner de l’argent est une honte dans ce pays, constatent les autres. Dès que quelqu’un sort du rang, il suscite l’envie et la jalousie de ses voisins qui préfèrent le voir crever plutôt que réussir. Il n’est jusqu’au rappeur vedette de NTM, Joey Starr, de déclarer : « Je comprends qu’on puisse avoir envie de déserter ce pays : on n’y aime ni la réussite ni la richesse. » Et cela va jusqu’à Michel Sardou, à qui de mauvais esprits ont même reproché ses chansons patriotes, et qui déclarait il y a quelques mois au Figaro : « Si j’avais 25 ans, je songerais à quitter la France où tout semble s’être fossilisé. »

Extrait d’un article du journaliste Michael Wright, paru dans le Daily Telegraph de Londres et republié dans Courrier international

« Quand j’appelle mon ami Clément Bresard- Billet, jeune consultant en management qui travaille à Paris, il me surprend en m’annonçant qu’il compte s’installer en Australie l’an prochain. “Notre modèle a vécu, m’explique-t-il. J’ai du mal à imaginer quej’ai un avenir ici. La France est comme un patient en soins intensifs. La famille rêve qu’il y a encore un peu de vie dans ce corps usé, mais secrètement, ils savent tous que c’est la fin.” Beaucoup de ses amis parisiens envisagent eux aussi de partir, ajoute-t-il.

Au dernier recensement, 300 000 Français vivaient en Grande-Bretagne et, au bout de quelques années passées en France, où la plupart des enfants veulent devenir fonctionnaires quand ils seront grands – et où j’ai rencontré un nombre impressionnant de gens tout à fait brillants coincés à des postes incroyablement banals –, on comprend facilement pourquoi. “En Grande-Bretagne, vous avez la possibilité de changer, dit Bresard-Billet. En France, une fois que vous avez choisi une paire de chaussures, vous devez les porter toute votre vie.”

Et puis, qu’est-ce que c’est que cette France où vous entrez dans un établissement avec des amis pour commander trois cafés et entendez le tenancier vous rétorquer : « Pas possible. Je ferme dans vingt minutes » ? Ici, hommage appuyé aux 35 heures qu’aucun gouvernement de droite comme de gauche n’a osé abroger. Quel est ce pays où les banques ne prêtent plus, les fabricants ne fabriquent plus, les grossistes ne stockent plus, et les clients ne payent plus ? Caricature peut-être, mais exemplaire »du climat de ras-le-bol de milliers de petits entrepreneurs qui se battent pour boucler leurs fins de mois tout en contemplant les collectivités locales embaucher chaque année un nombre accru de fonctionnaires : le double de l’Allemagne pour le même nombre d’habitants ! Ils sont des dizaines de milliers à faire leurs comptes, et à regarder le bulletin de santé du grand corps malade : dépense publique qui atteint 56 % du PIB ; déficit à près de 4 % du PIB ; prélèvements obligatoires à 46,3 % alors qu’ils étaient à 30 % en 1960 ; chômage à plus de 10 % de la population active. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que les créateurs d’entreprise hors de France aient doublé en dix ans ; que, d’après le ministère des Affaires étrangères, depuis 2005, les Français expatriés ont de moins en moins envie de rentrer en France, le « jamais » étant désormais prononcé par près de 40 % d’entre eux. Quand on demande à ceux-ci : quel changement majeur en France pourrait motiver votre retour ? la majorité répond : un changement de mentalité. Ce qui, évidemment, prendra au moins quelque temps…

Où sont-ils, d’ailleurs, nos chers expatriés ? 32 % restent en Europe occidentale, 25 % en Asie, et 21 % aux USA et au Canada. Le reste étant disséminé sur les autres continents, notamment l’Australie et l’Amérique du Sud. Quand on les interroge, dans leurs pays d’adoption respectifs, sur ce qui va mieux qu’en France, ils répondent quasi unanimement : niveau de vie et pouvoir d’achat, suivis par une fiscalité plus attrayante et une convivialité plus ouverte. Quant à ce qui va moins bien, ils citent les soins, la vie culturelle et les transports, ce qui ne les empêche pas, en grande majorité, de ne pas regretter une minute leur changement d’horizon, ne fût-ce que par la découverte d’autres mentalités, d’autres cultures et d’autres paysages.

Extrait de "Je suis venu te dire que je m’en vais",  André Bercoff et Deborah Kulbach, (Michalon Editions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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