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État-providence : l’abus de réformettes incohérentes a quasiment tué l’assurance maladie
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Bonnes feuilles

Lourdement déficitaire, obèse, inutilement compliqué, traditionaliste et ingérable, l'État providence est à bout de souffle. Dans "La mort de l'État-providence", Arnaud Robinet et Jacques Bichot démontrent qu'il faut le remplacer de vraies assurances sociales. Extrait (1/2).

Une protection sociale à la dérive est synonyme de langueur économique

D’où vient que la croissance, le plein emploi, les progrès de productivité globale soient aux abonnés absents ? Ce n’est pas la conséquence d’un seul phénomène, que ce soit la mauvaise gestion de la mondialisation, le manque de professionnalisme dans la création de la zone euro, la tendance de nos gouvernants à créer toujours plus de complication, ou l’État providence. Ces différentes causes, et d’autres encore, se combinent et se renforcent. Mais il serait stupide de diluer les responsabilités en disant que tout est dans tout et réciproquement. La façon dont les responsables français et européens ont fait évoluer les systèmes de protection sociale est un facteur important du déclin relatif de l’Occident en général et de la France en particulier.

Ce qui est en cause n’est pas principalement l’augmentation des prestations sociales. Certes, et nous aurons l’occasion d’y revenir, cette augmentation a été excessive. Elle a encouragé le goût pour l’oisiveté, pour l’argent tombé du ciel, faisant oublier que les agréments de la consommation ont un prix : beaucoup travailler. Mais les services de sécurité sociale sont appréciés par la population, et leur production n’est pas en soi moins souhaitable que celle de logements, de moyens de transport, de nourriture, de spectacles, de services de communication, de contrats d’assurance ou de services monétaires et financiers. Si les Français ont une appétence particulière pour les services que leur proposent les organismes sociaux, pourquoi serait-il mauvais que l’offre s’adapte à leur demande ? Non, le problème n’est pas que nous produisions et consommions beaucoup de services de sécurité sociale ; c’est que la production et la distribution de ces services sont organisées en dépit du bon sens, ce qui les rend nocifs pour l’économie et pour l’emploi.

Prenons une comparaison : l’automobile. Contrairement à ce que disent certains idéologues, utiliser massivement ce mode de déplacement n’est pas mauvais en soi ; ce qui est nocif, notamment pour la santé et la sécurité, c’est le maintien en circulation (et a fortiori la production) de véhicules polluants, dotés de freins inefficaces, ayant une mauvaise tenue de route ; c’est aussi l’irresponsabilité de certains conducteurs, les défauts de conception et d’entretien des voies de circulation, les signalisations et les réglementations inadaptées. Il en va de même pour les services de protection sociale : produire et consommer de façon massive des services dont la mauvaise conception et la mauvaise gestion perturbent le reste de nos activités engendre d’énormes problèmes, alors que des services intelligemment conçus et bien gérés, loin d’être nocifs pour l’économie et l’emploi, leur seraient tout à fait bénéfiques.

Y aurait-il donc quelque chose de nocif dans la conception de nos services de sécurité sociale ? Hélas, oui. Ces services sont prodigués, pour une large part, comme s’il s’agissait de droits universels ; chacun y aurait accès du seul fait qu’il est citoyen français, ou même simplement parce qu’il vit en France. Et ces services sont financés par des prélèvements obligatoires sans contrepartie, que ce soient des cotisations sociales, des impôts, ou la CSG (contribution sociale généralisée). Un mur étanche a été construit, notamment, entre le paiement des sommes requises pour que les caisses de sécurité sociale puissent prendre en charge les dépenses de santé, et le droit à bénéficier de cette prise en charge. Nous sommes passés de l’assurance maladie à une organisation bureaucratique de l’accès aux soins et de leur prise en charge, écartelée entre un idéal de gratuité pour tous et la dure nécessité d’avoir à prélever l’argent nécessaire par de rébarbatives méthodes fiscales ou quasi fiscales.

Dans l’autre cas très important, celui des retraites, il y a certes une sorte d’achat des droits par les travailleurs : chaque euro de cotisation versé aux caisses complémentaires déclenche l’attribution de points, qui le moment venu seront transformés en rente viagère. Malheureusement, un tel achat, parfaitement normal dans les régimes qui fonctionnent en capitalisation, est absurde dans les régimes par répartition. Dans les premiers, les cotisations sont investies, il serait inconcevable qu’elles ne donnent pas accès aux revenus engendrés par ces investissements. Mais en répartition les cotisations sont immédiatement reversées aux retraités, conformément à la formule pay-as-you-go : rien ne justifie qu’elles donnent droit à des pensions futures. Nous reviendrons en détail sur ce point important. Pour l’instant, il suffit de comprendre que la seule « branche » de la sécurité sociale pour laquelle le droit positif stipule un achat de droits par des cotisations a en fait été construite par des gens qui n’avaient pas la moindre idée du fonctionnement réel des retraites par répartition, de l’échange, ni du rôle de l’investissement dans la préparation de ce qui va se passer des décennies plus tard, si bien qu’ils ont fait vraiment n’importe quoi.

Si notre assurance maladie et notre assurance vieillesse étaient de véritables assurances, des organismes fonctionnant selon les règles économiques propres aux assurances dommage pour la première et aux assurances vie pour la seconde, elles seraient excellentes pour l’économie et l’emploi. Ce qui en fait de redoutables fléaux, c’est l’ineptie de leur organisation, en porte-à-faux par rapport au fonctionnement d’une économie efficace. Regardons successivement le cas de l’assurance maladie, puis celui de l’assurance vieillesse. (...) Si notre assurance maladie et notre assurance vieillesse étaient de véritables assurances, des organismes fonctionnant selon les règles économiques propres aux assurances dommage pour la première et aux assurances vie pour la seconde, elles seraient excellentes pour l’économie et l’emploi. Ce qui en fait de redoutables fléaux, c’est l’ineptie de leur organisation, en porte-à-faux par rapport au fonctionnement d’une économie efficace. Regardons successivement le cas de l’assurance maladie, puis celui de l’assurance vieillesse.

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Nos « complémentaires santé », qu’elles soient gérées par des compagnies d’assurance, par des mutuelles ou par des institutions de prévoyance, ne gênent pas l’activité économique. Pourquoi ? Parce que les personnes qui veulent être remboursées de dépenses mal prises en charge par la sécurité sociale savent qu’elles doivent cotiser si elles veulent être couvertes. L’État ne leur pique pas leur argent : elles choisissent de le dépenser pour avoir, en cas de besoin, de meilleures lunettes, des prothèses dentaires plutôt qu’un vide dans la mâchoire, ou des chambres individuelles en cas d’hospitalisation. Leurs cotisations ne sont pas assimilables à des impôts, à des prélèvements obligatoires sans contrepartie, mais à des paiements de services utiles, pour lesquels cela vaut la peine de travailler. L’incitation au travail est excellente si je dois payer pour couvrir correctement les membres de ma famille ; elle est nulle si je sais que, sans bourse délier, moi, mes enfants et mon conjoint ou concubin auront ce qu’il y a de mieux.

Initialement, l’assurance maladie de la sécurité sociale fonctionnait à peu près comme une mutuelle : étaient assurés ceux qui payaient des cotisations. Dans ces conditions, M. Durand et Mme Da Costa nevoyaient aucun inconvénient, bien au contraire, à ce qu’une part de leur gain professionnel parte à la sécurité sociale : ils savaient à quoi cela servait ; ils avaient conscience d’acheter quelque chose de très utile pour eux-mêmes et pour leurs familles ; ils voulaient un emploi pour, entre autres choses, pouvoir s’offrir et offrir aux leurs cette sécurité, cette protection, cette assurance. Certes, il était possible de se faire soigner sans être assuré social, même si l’on était pauvre, mais il fallait aller quémander une aide.

Le passage des assurances sociales à l’État providence a saboté ce système dans lequel chacun prenait conscience de l’utilité pour lui-même de son travail et des cotisations prélevées sur le fruit de ce travail. De bonnes âmes ont voulu que l’assurance maladie soit un droit universel – et cesse par conséquent d’être réellement une assurance. Certaines de ces bonnes âmes étaient des idéalistes, ce genre de personnes qui n’ont pas compris le proverbe populaire : « Qui veut faire l’ange fait la bête. » D’autres étaient tout bonnement des démagogues, désireux de berner les électeurs en leur faisant croire que demain, grâce à eux, ils seraient soignés gratis. Or, comme disait Jean de La Fontaine, « tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute » : pour avoir majoritairement cru aux mirages de la gratuité, le peuple français s’est retrouvé submergé de prélèvements obligatoires en tous genres.

Extrait de  "La mort de l'État-providence : vive les assurances sociales !", Arnaud Robinet et Jacques Bichot (Les Belles Lettres éditions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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