Vu des Etats-Unis : la France, homme malade de l'Europe <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
"Même les traditionnelles tractations pour pourvoir les postes dans les institutions internationales sont affectées par cette perte de crédibilité de la France."
"Même les traditionnelles tractations pour pourvoir les postes dans les institutions internationales sont affectées par cette perte de crédibilité de la France."
©Reuters

Observations

Les assemblées générales du FMI et de la Banque mondiale ont été l'occasion pour des économistes, hommes politiques et observateurs d'échanger sur la France, la crise de la dette en Europe, la politique monétaire ou encore le recul de l'influence occidentale dans les pays arabes.

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

Voir la bio »

Article publié initialement sur le site du think-tank Génération Libre

GenerationLibre était le seul think-tank français représenté aux Assemblées Générales du FMI et de la Banque Mondiale, un événement qui réunit traditionnellement de nombreux économistes, hommes politiques et observateurs. Gaspard a profité de ce séjour à Washingto, DC pour établir des relations avec les organisations libérales outre-Atlantique (“libérales” au sens classique / continental du terme, qui se décline aux Etats-Unis en “pro-market” ou “libertarien”).

La plupart des meetings s’étant déroulé sous la “Chatham House rule”, ce compte-rendu ne cite pas toujours ses sources et s’efforce de dégager, de manière assez neutre, les grandes lignes des discussions et des “bruits de couloir”.

Le point essentiel, hormis le bavardage autour du blocage politique américain, est que la crise actuelle est vue par beaucoup comme “la grande crise des économies avancées”. Même si les déclarations de Mario Draghi du 26 juillet (“whatever it takes”) ont accordé un répit à l’Europe, l’issue de cette crise dépendra fondamentalement de la capacité des pays occidentaux à mener à bien leurs réformes structurelles (notamment en libéralisant le marché des services). La combinaison de la “austerity fatigue” au Sud et de la “bail-out fatigue” au Nord s’avère de ce point de vue assez toxique.

La France, homme malade de l’Europe

Ce n’est pas s’adonner au French-bashing que de constater le degré de préoccupation de l’intelligentisa mondiale au sujet de la France. Le niveau d’endettement, la socialisation de l’économie ainsi que la montée du Front national reviennent dans toutes les discussions. Stanley Fischer, ancien gouverneur de la banque centrale d’Israël, a pointé le “bruit autour des difficultés de la France” – un bruit de fond persistant, qui rend d’autant plus surprenantes les déclarations de Pierre Moscovici sur la “reprise” et la “confiance” juste à son retour de Washington. Même les traditionnelles tractations pour pourvoir les postes dans les institutions internationales sont affectées par cette perte de crédibilité de la France, en particulier vis-à-vis de l’Allemagne.

Pour mémoire, dans son “Article IV” publié en juillet, qui analyse en détails l’état de la France, le FMI souligne les effets négatifs sur la consommation et l’investissement privé de “l’incertitude politique” qui caractérise le gouvernement depuis mi 2012.

Dans cette perspective, le Fonds s’inquiète de ce que la France cesse de bénéficier de son statut spécial ("safe haven”) vis-à-vis des créanciers. Dans l’hypothèse d’une hausse de 200 points de base sur les taux d’intérêt et d’une continuation de la hausse de la dépense publique, le FMI estime ainsi que le seuil de 100% de dette/PIB pourrait être atteint dès 2015, sans aucune perspective sérieuse de désendettement.


S’agissant des réformes structurelles, le FMI redoute qu’elles ne soient repoussées, en particulier s’agissant de la libéralisation du marché des services.

Enfin, le choix politique de privilégier la rémunération du travail sur celle du capital conduit à des taux de profitabilité anormalement bas, qui contraignent sur le long terme la capacité des entreprises à innover et à rester compétitives à l’international. Une situation d’autant plus frustrante que la France bénéfice d’atouts incomparables dans la mondialisation : fort taux d’épargne des ménages, démographie dynamique, capacité de R&D, infrastructures de qualité…

Autant le langage utilisé dans l’Article IV reste nuancé, autant celui d’un rapport ultérieur, le “Mutual Assessment process” du G20 (paru en septembre), est plus explicite en exigeant une “accélération résolue des réformes structurelles”. Et le FMI, tout en reconnaissant que le Gouvernement réalise l’étendue des problèmes, déplore son absence de stratégie et de vision. Augmenter les impôts reste la “voie facile”… tandis que les têtes bien faites qui conseillent le pouvoir, telles qu’Emmanuel Macron ou Jean Pisani-Ferry, semblent avoir peu d’influence sur le fond de la politique menée.

Restructuration des dettes souveraines en Europe : travaux préparatoires…

Le FMI est engagé depuis plusieurs mois dans un travail d’harmonisation des procédures et d’amélioration du cadre légal des restructurations souveraines, qui ne devrait pas porter ses fruits avant l’année prochaine. La question des “hold-out creditors”, ravivée par le procès en cours entre l’Argentine et le “fonds vautour” Elliott Associates, est au coeur des discussions.

Les principaux acteurs semblent d’accord pour juger les dernières restructurations “too little, too late” : reporter une restructuration la rend plus difficile et douloureuse, comme le cas grec l’a illustré.

Chacun a bien sûr en tête la possibilité de restructurations à venir dans les pays européens souffrant de surendettement (“debt overhang”). Nouriel Roubini est, comme on pouvait s’y attendre, convaincu que la soutenabilité de la dette italienne (entre autres) va devenir de plus en plus incertaine. Lee Buchheit, un avocat qui est aussi un des spécialistes mondiaux du sujet (et qui avait apprécié le rapport de GL sur la restructuration de la dette française), ne cache pas son inquiétude sur les pays de la périphérie de la zone euro. Il souligne que le FMI pratique “deux poids, deux mesures” quand il se penche sur les dettes européennes, en assumant une plus forte proportion du financement que d’ordinaire.

Un récent papier publié par le Brookings Institute et signé par les meilleurs spécialistes (“Revisiting Sovereign Bankruptcy” par Lee Buchheit, Mitu Gulati, Jeromin Zettelmeyer…) pose les termes du débat, en proposant un mécanisme de restructuration propre à la zone euro, via le European Stability Mechanism (ESM).

Politique monétaire : attention à la fin du QE

Jean-Claude Trichet a souligné à l’occasion de la prestigieuse “Per Jacobsson lecture” la “convergence conceptuelle” des banques centrales de par le monde à la suite de la crise financière. Cette convergence comprend notamment la stabilité des prix (consensus autour de 2% d’inflation annuelle) ; une meilleure communication (conférences de presse désormais institutionnalisées) ; la surveillance bancaire exercée par les banques centrales ; le contrôle de la masse monétaire ; le rôle accru de prédiction et d’anticipation (“forward guidance”). “Les marchés ont souvent tort, mais ils ont toujours raison à long terme”, a conclu JC Trichet. A la fin de son intervention, Paul Volcker, qui se trouvait dans l’assistance, s’est levé et a pris la parole pour rendre hommage à la gestion de la crise par l’ancien président de la BCE.

Par ailleurs, beaucoup de banquiers centraux et d’économistes s’inquiètent des conséquences qu’entraînera la fin du quantitative easing et insistent sur l’ajustement possiblement douloureux mais nécessaire qui s’en suivra. Avec la reprise, la politique monétaire de la Fed va retourner à la normale, conduisant à une hausse des taux. Sans être “restrictive”, elle deviendra, selon les mots de Stanley Fischer, “moins expansionniste”.

Benoît Coeuré, de son côté, insiste sur l’étape historique que constituerait l’établissement d’un superviseur bancaire unique en Europe – même s’il est clair que l’Allemagne n’acceptera jamais une union bancaire intégrale.

Recul de l’influence occidentale dans le monde arabe

Le régime militaire actuellement au pouvoir en Egypte pose des questions complexes. L’Egypte, qui négocie depuis près de trois ans un prêt de plusieurs milliards avec le FMI, a pratiqué la politique de la chaise vide aux Assemblées Annuelles du FMI, tandis que les Américains ont annoncé des coupes sans précédent dans leur aide bilatérale.

Mais dans les coulisses, on perçoit de part et d’autre un certain soulagement. La brutalité des purges effectuées par les frères musulmans ont laissé un souvenir traumatique, et beaucoup donnent au général Sissi le bénéfice du doute, d’autant qu’il est en voie de “pharaonisation” par une partie de l’opinion publique. De plus, le processus électoral semble bien engagé. Derrière les postures, les Américains maintiennent l’essentiel de leur soutien financier et les organisations internationales continuent leurs prêts. Rien n’aurait changé depuis Moubarak ? Même administration, même élite, même arbitraire d’Etat ? “Si, le peuple a changé, devenu impatient et colérique”.

De manière plus générale, il est clair que l’influence occidentale au Proche-Orient a grandement reculé : les Européens se sont ridiculisés dans le “Partenariat de Deauville”, une structure censée coordonner leur soutien aux pays dits du “printemps arabe”, mais grandement inefficace ; tandis que les Etats-Unis sortent affaiblis de la confrontation avec la Russie sur le dossier syrien. Le hasard veut d’ailleurs que la Russie préside le G8 l’année prochaine, ainsi que toutes les commissions qui y sont attachées (dont le Partenariat de Deauville…), ce qui augure de développements intéressants et imprévisibles.

Scène libérale / libertarienne américaine

La structuration des think-tanks “pro-market” à Washington est impressionnante. On y trouve toute les nuances : libéral-conservateur (Heritage Foundation), pro-entreprise (Competitive Entreprise Institute), anti-taxes (Taxpayers Alliance), anti-keynésien (American Entreprise Institute), libertarien (mon préféré : Cato Institute).

L’influence de ces think-tanks est sans comparaison avec leurs homologues européens. Ils fonctionnent comme des machines de guerre, recrutant les meilleurs universitaires, identifiant des sujets et effectuant ensuite un travail de lobbying professionnel. La logistique de leur fundraising est une leçon, comme l’est également l’implication des Américains dans le financement de la bataille des idées : Heritage reçoit ainsi plus de 50 millions de dollars de donations par an. Des coopérations avec GenerationLibre, sous forme de papiers co-signés par exemple, sont envisagées.

Plus spécifiquement, voici comment est constituée la vibrillonnante scène libertarienne américaine : des think-tanks, des associations d’étudiants (Students for Liberty), un parti libertarien, qui reste marginal (les élections de Novembre pour le Gouverneur de Virginie, où un candidat libertarien tente de briser le bipartisme traditionnel, ne devraient pas faire exception à la règle), des groupes d’activistes dévoués (comme la “Campaign for Liberty” militant pour un audit de la Fed), le Liberty Caucus est, sur le plan politique, une initiative intéressante : des membres du Congrès qui se reconnaissent dans les valeurs libertariennes tâchent de former des liens transpartisans (républicains / démocrates).

Le Sénateur Rand Paul, fils du candidat à la dernière primaire républicaine Ron Paul, est devenu le leader naturel des libertariens, et un candidat crédible à la présidence pour le parti républicain. La défense radicale de la liberté, à la fois sur le plan social et économique, est en train de devenir mainstream aux Etats-Unis. Un bon contact a été établi entre GL et l’équipe de Rand Paul.

Autres

Le traité de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis – Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) – est bien sûr un sujet de discussion, même si les Américains semblent davantage concentrés sur les accords commerciaux avec les pays de l’APEC.

La BEI va utiliser une grande partie de son augmentation de capital (10 Md€) à financer les PMEs européennes. Le scepticisme s’impose : l’Europe n’est pas particulièrement sous-bancarisée, et les contraintes pesant sur les PMEs sont bien davantage liées aux réglementations excessives qu’à l’accès au crédit.

Les journaux français ont fait des gorges chaudes d’une “taxe de 10%” que le FMI voudrait imposer sur les patrimoines privés afin de “rembourser” les dettes européennes. Cette fausse information ne reflète que la paresse de certains journalistes. En fait, dans l’édition 2013 de son “Fiscal Monitor”, le FMI ne fait que présenter cette hypothèse dans un court encart, pour la rejeter très explicitement en raison : 1. de l’inefficacité d’une telle mesure, déjà expérimentée dans le passé (en Europe, après la première guerre mondiale) et 2. des taux de taxation trop élevés que cela impliquerait (afin de réduire les ratios de dette des pays européens aux niveaux pré-crise de 2007, il faudrait instaurer un prélèvement de 10% sur tous les biens détenus par les ménages…).

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !