Petit bilan des interventions publiques dans le sauvetage d’entreprises en difficulté à l’occasion de la fermeture d’Heuliez <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Petit bilan des interventions publiques dans le sauvetage d’entreprises en difficulté à l’occasion de la fermeture d’Heuliez
©

Docteur Maboul

Mercredi 9 octobre sur Europe 1, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a demandé à la direction d’Alcatel de revoir son plan de licenciement, qui selon la société devrait entraîner la suppression de 900 postes en France.

Atlantico : Le Premier ministre Jean Marc Ayrault a demandé mercredi 9 octobre sur Europe 1 à la direction d’Alcatel de revoir son plan de licenciement pour sauver le maximum d’emplois. L’entreprise a en effet annoncé son intention de supprimer 900 postes en France. Cette logique de l’État pompier n’est-elle pas obsolète en comparaison des choix stratégiques qui auraient pu être faits en amont pour préserver les entreprises françaises ?

Jacques Sapir : Croire qu’une action stratégique pourrait dispenser l’État d’intervenir « ex post », c’est le créditer d’une omniscience totale. On ne voit pas d’ailleurs, si l’État était à ce point omniscient, pourquoi il ne pourrait pas tout faire et pourquoi des entreprises privées seraient encore nécessaires. Dans un certain nombre de cas, l’État est dans son rôle légitime quand il intervient pour sauver des entreprises. C’est le cas, soit que les productions de ces dernières répondent à une nécessité absolue (ce qui est une extension du principe de défense nationale), soit que ces productions s’avèreront rentables dans le long terme et qu’il faut permettre à ces entreprises de surmonter des difficultés passagères, soit enfin parce que les connaissances et les compétences accumulées dans ces entreprises seront nécessaires pour mener à bien d’autres projets. Cela ne dispense nullement d’avoir une réflexion stratégique. Mais, croire que cette dernière est capable d’englober la totalité des situations possibles est une grave erreur. Certaines productions, qui aujourd’hui ne trouvent pas de marché, seront demain des succès. Rappelons que le succès d’AIRBUS fut construit grâce aux investissements, tant matériels qu’immatériels (en recherche notamment), qui avaient été consentis pour CONCORDE.

Catherine Moal : Je pense que c’est le rôle de l’État que d’essayer de diminuer au maximum les casses sociales qui s’annoncent les unes après les autres. Alcatel, comme d’autres entreprises industrielles, ferme des sites, l’État essaye de sauver un maximum d’emplois. Cet appel à la direction ne me semble pas déplacé, il doit être fait à toutes les autres entreprises qui envisagent de fermer des sites en France, comme Arcelor Mittal.

Le cas d’Heuliez, dont le tribunal de commerce a prononcé lundi 30 septembre la liquidation de l’équipementier après des années de difficultés,  est-il comparable au cas Alcatel ? Pourquoi ? 

Jacques Sapir : La situation d’Heuliez est assez différente de ce que l’on voit avec Alcatel. Heuliez a un vrai problème de débouchés. Peut-être faut-il sauver les capacités d’innovation chez Heuliez (soit le bureau d’études), mais il y a clairement un problème au niveau de l’outil de production. Chez Alcatel, le problème n’est pas la demande mais la concurrence en provenance de groupes chinois adossés à l’État, bénéficiant d’une monnaie ayant un taux de change très favorable et fonctionnant dans un cadre social qui,  s’il est meilleur que celui de bien des usines chinoises, reste très inférieur à ce que le niveau de productivité du travail dans ces groupes pourrait permettre. Un soutien public à Alcatel est,  dans ce cadre, parfaitement justifié.

Catherine Moal : Alcatel et Heuliez ne sont pas comparables. Alcatel est comme les autres grandes entreprises du secteur informatique et télécom : elle doit faire sa transformation numérique. Alcatel annonce des licenciements et des fermetures de sites mais continue d’embaucher. Il y a un vrai problème de profils dans leur entreprise, et ils n’ont plus besoin de certains profils, à l’inverse d’autres. La transformation numérique dont tout le monde parle est ce qu’est en train de faire Alcatel. C’est un peu comme Sony qui arrête de faire des radios cassette et des magnétoscopes, mais qui ouvre des usines pour faire des tablettes. Alcatel ferme des usines d’objets qu’elle considère obsolètes mais embauche de nouveaux profils pour faire de l’innovation collaborative plus ouverte, du matriciel, etc. Je pense que ces choix sont toujours difficiles pour les entreprises, mais il faut mettre en place des plans d’accompagnement, et c’est le rôle des syndicats, des politiques et de l’entreprise. Mais on ne peut pas taper sur une entreprise qui veut prendre le chemin du numérique.

Heuliez est un sous-traitant. Cela fait bien dix ans que cette usine souffre. Il faut se rendre à l’évidence que si les partenaires la lâchent, il y a un problème de fond, soit dans l’innovation, soit dans la qualité du travail fourni, soit dans le management. Mais ce problème est récurrent malgré les tentatives de sauvetage.

A partir du moment où une entreprise n’est pas assez novatrice, elle souffre. Une entreprise qui n’investit pas régulièrement sur son site de production est une entreprise condamnée. On voit que toutes les entreprises qui arrêtent d’investir dans leurs usines sont condamnées dans les cinq ans. Aujourd’hui le collaboratif et l’innovation priment.

Cas Florange, pépinière Delbard, Doux… Les drames industriels se sont multipliés dans l’univers médiatique depuis trois ans. Quelles conclusions tirer de la gestion publique des entreprises françaises ?

Jacques Sapir : Il n’y a pas de gestion publique des entreprises en France, parce qu’il n’y a pas - il n’y a plus - de politique industrielle. On agit au jour le jour, et bien entendu on gaspille en partie l’argent du contribuable. L’application des règles de gestion du secteur privé à des entreprises de service public  comme la SNCF et RFF, aboutit à des catastrophes. Nous en avons eu un exemple avec le drame de Brétigny en juillet dernier.

Il y a un véritable problème de compétitivité de l’industrie française,  et cela alors que la productivité du travail est en France l’une des plus élevées d’Europe. En fait, elle est supérieure d’environ 5% à l’Allemagne et de 15% à l’Italie.  La désindustrialisation que nous connaissons depuis une dizaine d’années,  et qui a des conséquences sociales dramatiques – car pour un emploi industriel détruit c’est entre 1,5 et 2,5 emplois qui disparaissent dans les services - a des causes qui sont bien connues.

Tout d’abord, le taux de change qui nous est imposé par l’Euro est trop élevé. Une dévaluation de 25% par rapport au Dollar et de 40% par rapport au Deutsch Mark inverserait la tendance. On a montré qu’une telle dévaluation aurait des conséquences extrêmement bénéfiques pour l’industrie et l’économie française, et serait capable de créer entre 1 et 2,5 millions d’emplois en trois ans.

Ensuite, il faut se protéger d’une concurrence qui joue sur le dumping soit social, soit écologique, soit enfin fiscal. La règle devrait être l’égalité des dépenses salariales (directes et indirectes) et des dépenses de protection de l’environnement avec le niveau de productivité du travail, et ceci dans chaque industrie. Que les salaires chinois soient plus faibles qu’en France n’est pas un problème en soi. La productivité du travail est, dans la construction mécanique par exemple, à la moitié de son niveau français en Chine. Les salaires (directs et indirects) devraient être dans la même proportion. On sait qu’il n’en est rien et que ces salaires sont à 25% des salaires français équivalents. Il faut donc compenser l’écart entre la productivité et les salaires (ou les dépenses d’environnement) par des taxes aux frontières, quitte à négocier avec les pays concernés pour un retour de ces taxes leur permettant d’abonder des fonds soit sociaux, soit environnementaux.

Enfin, il y a effectivement un problème de stratégie. L’État a abandonné le principe des instruments d’une réelle planification stratégique pour l’industrie. C’est l’équivalent d’un crime de haute trahison.

Catherine Moal : L’État ne peut pas interférer dans les plans industriels des grands groupes. Ils peuvent se battre pour que socialement les choses soient faites, pour qu’il y ait des programmes de réindustrialisation. Le rôle de l’État se situe dans la surveillance de l’écosystème qu’il y a autour et doit veiller à ce que les salariés ne soient pas laissés pour compte. Des cadres législatifs doivent être mis en place.

Y a-t-il des cas d'entreprises étrangères dont la France pourrait s’inspirer ? 

Jacques Sapir : Nous pourrions nous inspirer de plusieurs exemples : de la manière dont le gouvernement chinois soutient certaines entreprises, ou de celle dont le gouvernement japonais a soutenu le développement du secteur électronique. Mais, fondamentalement, il faut comprendre qu’une industrie viable nécessite que l’on articule trois choses : la maîtrise du taux de change, la maîtrise des conditions de concurrence internationale et la stratégie. Les élites politiques françaises n’ont pas voulu faire cela et, en réalité, ont abandonné l’industrie. Si d’autres forces revendiquent un projet industriel, et grâce à cela progressent dans notre pays, il ne faut pas s’en étonner.

Catherine Moal : L’exemple de Ford aux Etats-Unis est intéressant. Cette entreprise est sur une activité traditionnelle d’automobile. Toyota marche très bien aujourd’hui, PSA Renault doit trouver sur quel créneau se relancer en termes d’innovation, de produits ou d’usages. Ce sont surtout des choix d’innovation qui feront la différence.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !