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« Guantanamo leaks » :
le goulag au soleil des Caraïbes
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Zone franche

Des centaines de documents secrets, publiés lundi par le New York Times et le Guardian, démontrent la vraie nature du camp qu'Obama se révèle incapable de fermer.

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Le « camp Delta », la prison installée par l’armée américaine depuis avril 2002 sur sa base cubaine, est-il à proprement parler un « goulag » ? Et cette analogie est-elle autre chose qu’une grossière exagération pour commentateur énervé du Monde Diplomatique ?

A parcourir les 779 documents secrets que publient le New York Times et le Guardian, force est de constater que le commentateur en question n’est pas totalement à côté de la plaque… Et si les internés en survêtement orange ne trimbalent pas de sacs de charbon dans le blizzard sibérien, rien ne distingue ce qui se passe au-delà des grilles de Guantanamo de ce qui se tramait derrière les palissades du camp où Ivan Denissovitch expiait ses péchés.

Qu’une nation en guerre tente d’obtenir des informations des soldats capturés au cours de combats n’est pas scandaleux en soi. Aussi absurde que ça puisse paraître, les conflits modernes obéissent à des règles assez proches de celles qui régissent les grandes compétitions sportives : dès lors que les différentes conventions de Genève sur la façon de traiter ses prisonniers sont respectées, il n’y a pas grand chose à en dire (du moins pas grand chose qui puisse intéresser un juge. Un philosophe, en revanche...).

Mais qu’une nation en guerre retienne arbitrairement, des années durant et sans procès, des centaines de personnes (des adolescents, des vieillards, des malades mentaux… ) sur la base de vagues soupçons ou de « confessions » obtenues sous la torture et l’on s'éloigne des rives du lac Léman pour s'approcher de celles du lac Baïkal.

Témoins, ces deux dossiers mis en exergue par le Guardian et tragiquement exemplaires de la situation : l'internement d'un villageois afghan de 89 ans atteint de la maladie d’Alzheimer, et celui d'un gosse de 14 ans tombé entre les mains de marines après avoir été kidnappé et battu par des talibans (ce dont l’armée a la preuve).

Casio, la montre préférée des terroristes et des joggeurs

De fait, les documents révélant l’absence d’accusations concrètes se comptent par dizaines, comme ce cas tellement fantaisiste qu'il aurait fait hésiter jusqu'à un dénicheur d’espions chez Renault : l’un des internés possédait une montre Casio, or cette marque a parfois été utilisée dans  les camps d’entraînement talibans pour la programmation de bombes à retardement !

Hum, je possède moi-même une Casio, les montres de cette marque étant également fréquemment utilisées lors de l'entraînement des joggeurs pour lire l’heure…

Amateurs d'horreurs kafkaïennes vous apprécierez d'ailleurs l'histoire de ce journaliste d’Al-Jazeera resté six ans à Guantanamo pour « interrogation sur les moyens d'obtention d’information de la chaîne de télé qatarie », celle de ce chauffeur de taxi  « connaissant bien la région de Kaboul du fait de son métier » (un an), voire de ce mollah « ayant eu la possibilité d’être au courant des activités des talibans » (un an également)…

On ne prétendra pas être totalement surpris par ces révélations, le commentateur du Monde Diplomatique cité plus haut s'énerverait encore davantage (il nous alerte aussi sur le retour aux heures les plus sombres de notre histoire dès qu’un contrôleur de la RATP monte dans un bus, ce qui incite prendre ses indignations avec prudence). On s’étonnera tout de même que ces documents, rendus publics aujourd'hui mais connus d’Obama depuis son arrivée à la Maison Blanche, ne l’aient pas conduit à tenir ses promesses de fermeture immédiate du camp, de libération des prisonniers contre lesquels rien n'est retenu et de retour à un régime juridique normal pour les autres (habeas corpus en tête).

Un goulag à Cuba, on aurait préféré découvrir qu’il était administré par Fidel et Raoul. Enfin, à vrai dire, on aurait préféré qu’il n’y ait pas de goulag du tout à Cuba. Et pour toute la bienveillance que l’on peut avoir à l’égard du président américain, quatre années dans le fauteuil de « l’homme le plus puissant du monde » auraient dû suffire à sortir de ce naufrage humain, légal et démocratique.

C'est ce que doivent se dire les 172 détenus restant sur place, pour la plupart encore incertains sur la perspective d'un procès... Et même au soleil, le goulag, ça use.

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