Le gouvernement englué dans la fiscalité du diesel : comment serait-il possible de sortir proprement de cette exception française ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Cela fait quarante ans qu’on incite les consommateurs à acheter des véhicules diesels via cette fiscalité avantageuse."
"Cela fait quarante ans qu’on incite les consommateurs à acheter des véhicules diesels via cette fiscalité avantageuse."
©Reuters

Dépatouillage

Le ministre de l'Ecologie Philippe Martin a déclaré hier mercredi selon l'AFP que le diesel conserverait son avantage fiscal sur l'essence.

Thomas Porcher

Thomas Porcher

Thomas Porcher est Docteur en économie, professeur en marché des matières premières à PSB (Paris School of Buisness) et chargé de cours à l'université Paris-Descartes.

Son dernier livre est Introduction inquiète à la Macron-économie (Les Petits matins, octobre 2016) co-écrit avec Frédéric Farah. 

Il est également l'auteur de TAFTA : l'accord du plus fort (Max Milo Editions, octobre 2014) ; Le mirage du gaz de schiste (Max Milo Editions, mai 2013).

Il a coordonné l’ouvrage collectif Regards sur un XXI siècle en mouvement (Ellipses, aout 2012) préfacé par Jacques Attali.

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Atlantico.fr : Philippe Martin, ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie, dément avoir annoncé, mercredi 11 septembre, lors de sa conférence de presse, que le diesel conserverait son avantage fiscal sur l'essence. L'AFP a pourtant cité le ministre : "Il n'y a pas de disposition qui concerne de manière spécifique ce qu'on peut appeler la convergence fiscale du diesel et de l'essence." Comment peut-on aujourd'hui sortir de cette exception française ?

Thomas Porcher :La difficulté est que cela fait quarante ans qu’on incite les consommateurs à acheter des véhicules diesels via cette fiscalité avantageuse. Et cela à bien fonctionné, aujourd’hui on peut presque parler de « monopole du diesel » avec 80% des volumes de carburants consommés et 70% des ventes de voitures.

C’est une situation que les gouvernements précédents laissent pourrir depuis 20 ans. Déjà en 1988, l’OMS avait noté que le diesel était dangereux. Cela aurait été plus simple dans les années 90, où les ventes de véhicules diesel représentaient à peine 33% des ventes, de rééquilibrer la fiscalité progressivement. Les gouvernements précédents ne peuvent pas dire qu’ils ignoraient la nocivité du diesel quand certaines villes comme Tokyo en 2003 prenaient des mesures radicales en l’interdisant.

Aujourd’hui, le problème est que l’on demande aux mêmes consommateurs que l’on a trompé en l’incitant à acheter un véhicule diesel, plus cher et plus nocif, de payer l’addition. Or, souvent les conducteurs qui ont acheté un véhicule diesel sont ceux qui vivent loin de leur lieu de travail et qui n’ont pas d’accès au transport. Pour beaucoup, augmenter la fiscalité du diesel, c’est indirectement compresser leur pouvoir d’achat sur d’autres biens, c’est leur imposer une double peine. A cela, il faut ajouter la hausse structurelle du prix du pétrole depuis 2004, qui a poussé les prix de l’essence. En 2012, le prix du gazole a atteint un niveau record à un 1,46 e. Malgré tout, je suis favorable à un réajustement mais il ne doit pas consister à un simple débat entre plus ou moins de fiscalité, il doit être l’occasion d’une réforme complète de la fiscalité des carburants qui, selon moi, n’est plus adaptée ni au prix du pétrole actuel, ni aux disparités régionales en termes d’accès au transport.

Les Verts réclament de leur côté que le diesel soit davantage taxé en raison des risques cancérigènes qu'il présente. Quelles formes pourraient prendre cette fiscalité ? Comment éviter qu'elle ne pénalise un grand nombre de ménages ?

Il faut inventer « une fiscalité plus intelligente ». Aujourd'hui, la fiscalité des carburants est extrêmement injuste. Tout le monde paie la même taxe quelle que soit sa zone d'habitation et quelle que soit son revenu. Au final, elle pèse plus lourdement sur les ménages à bas revenus et sur les ménages n’ayant pas accès aux transports.

Or, il y a des disparités régionales énormes en termes d’accès au transport. Par exemple, à Paris, seulement 15% des gens utilisent leur voiture pour aller au travail contre 61% en Essonne et 85% dans la plupart des régions de province. Cette différence ne dépend pas d’un choix réel de l’utilisateur mais plutôt d’une contrainte, car certains français ont le choix entre l’utilisation des transports ou la voiture, d’autres non. Une bonne fiscalité doit donc tenir compte de ces différences d’élasticité de la demande face au prix sinon elle ne sert à rien sauf à ajouter une nouvelle dépense contrainte.

Comment réaliser un effort vers la transition énergétique et la fiscalité verte en France ?

Selon moi, la transition énergétique repose sur deux piliers : la réglementation par le haut et la fiscalité. D’abord, il faut arrêter avec le mythe qu’une énergie chère va permettre la transition énergétique. Quand j’ai commencé ma thèse en 2002, le prix du pétrole était à 20 $, à cette époque certains experts pensaient qu’à un prix à 40 $ la transition énergétique s’enclencherait naturellement. Or aujourd’hui, le prix dépasse les 110 $ et la transition énergétique ne s’est pas naturellement imposée à nous. La preuve est que nous débattons encore du gaz de schiste. Cela ne veut pas dire qu’il faut que l’énergie soit gratuite mais l’énergie de première nécessité ne doit pas forcément être chère, par contre son prix doit être progressif en fonction de l’importance de son utilisation. Par exemple, est-il normal que le prix de l’eau que l’on boit soit le même que le prix de l’eau d’une piscine dans une maison secondaire ?

C’est exactement la même chose pour les carburants, une bonne fiscalité doit inciter les gens à changer leurs comportements quand ils le peuvent. Augmenter la fiscalité d’une personne qui n’a pas de transports en commun est injuste car il n’a pas d’alternative. Pour ma part, on peut baisser le prix de l’essence et favoriser la transition énergétique en créant des assiettes complémentaires. On pourrait rééquilibrer à la baisse les TICPE du diesel et du SP et insérer une redevance annuelle complémentaire dépendant de la zone géographique et de la puissance fiscale des véhicules pour permettre une meilleure progressivité de la fiscalité pétrolière.

Enfin, je pense que la transition énergétique ne pourra se faire sans règlementer par le haut. Peut-on demander aux consommateurs de payer plus cher le diesel alors que nos constructeurs automobiles continuent à produire des voitures diesel et à inciter leurs vendeurs à nous les vendre ? Peut-on faire la promotion de l’économie circulaire quand les industriels fabriquent des objets avec « mort programmé » ? Pour moi, la réponse est non.

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