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I have a dream : 50 ans après, les Etats-Unis ne sont peut-être pas si loin du rêve de Martin Luther King
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Discours historique

Le 28 août 1963, à Washington, Martin Luther King prononçait ces mots. Un an plus tard, la ségrégation était abolie.

François Durpaire

François Durpaire

François Durpaire est historien et écrivain, spécialisé dans les questions relatives à la diversité culturelle aux Etats-Unis et en France. Il est également maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise.

Il est président du mouvement pluricitoyen : "Nous sommes la France" et s'occupe du blog Durpaire.com

Il est également l'auteur de Nous sommes tous la France : essai sur la nouvelle identité française (Editions Philippe Rey, 2012) et de Les Etats-Unis pour les nuls aux côtés de Thomas Snégaroff (First, 2012)

 


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Atlantico : Le speech du Lincoln Memorial, véritable symbole de la lutte pour les droits civiques, était prononcé jour pour jour 50 ans plus tôt. A cette occasion Martin Luther King III, fils du célèbre pasteur, a déclaré "le travail n'est pas fini, le voyage n'est pas terminé". Bien que tout ne soit pas idéal outre-Atlantique, peut-on dire que ce "rêve" politique a été vain ?

François Durpaire : Je ne dirais pas "vain". On peut commencer par dire que les propos du fils de Martin Luther King sont assez révélateurs. L'entourage politique du pasteur ne se considère effectivement pas comme un groupe d'anciens combattants, dont la lutte serait aujourd'hui achevée. La cérémonie du cinquantenaire n'a pas vraiment pour eux la fonction d'une commémoration, elle n'est qu'une bataille de plus dans un combat pour l'obtention de l'égalité qui s'inscrit dans la durée. Des personnalités comme le révérend Jesse Jackson sont l'illustration de cette conviction. Dans son esprit le combat continue, même sans Martin Luther King, car les Etats-Unis ne sont pas encore parfaits en matière de de relations interraciales. Martin Luther King, on l'oublie parfois, a été assassiné jeune. S'il était encore là, il n'aurait que 74 ans. Il serait sans doute encore actif.

Deuxièmement, on peut dire que les Etats-Unis ont réalisé le rêve de Martin Luther King, mais en partie seulement. Le pasteur souhaitait que l'on ne juge plus les individus à la couleur de leur peau mais en fonction de leurs compétences, et l'on peut dire que la société américaine a fait du chemin en la matière depuis un demi-siècle. Au delà de l'élection d'un Président noir, on a vu ces dernières années une partie importante des minorités accéder à la classe moyenne, et il s'agit là d'un fait assez ignoré bien que capital. On ne se représente souvent les Noirs américain qu'à travers leurs extrêmes, cliché qu'alimente parfois les militants des droits civiques, en accentuant sur le négatif : d'un côté on aurait certes les Noirs célèbres et riches (de Obama aux soeurs Williams, de Beyonce à Magic Johnson....), mais de l'autre on aurait la masse des Noirs pauvres, incarcérés et même dans le couloir de la mort. Bien que le taux d'incarcération soit plus fort au sein de la communauté noire que pour les autres communautés, il est important d'avoir une vision plus objective : la moitié des Noirs aujourd'hui vivent dans les banlieues résidentielles, symboles de réussite sociale (seulement un sixième en 1970). Dire que rien n'a changé pour les Noirs américains est d'ailleurs une étrange façon de dénigrer l'utilité du combat pour les droits civiques. Ce discours se retrouve moins chez les militants de la communauté hispanique cependant, où l'on valorise les progrès réalisés. C'est que le passé de la communauté hispanique n'est pas celui de la communauté noire. L'esclavage et la ségrégation restent au coeur de l'identité noire américaine qui s'est construite dans la lutte et la revendication permanente. Les militants n'entendent pas s'endormir sur des lauriers qu'ils peuvent craindre éphémères.

Une étude du Bureau Américain du Recensement a démontré que les minorités représenteront 54% de la population américaine en 2050. Le modèle américain n'est-il pas finalement en train d'évoluer "de fait" vers un système de plus en plus multi-culturel ?

Il faut rappeler, au delà de ce chiffre, que les minorités sont déjà "majoritaires" dans 5 états, dont la Californie et la Floride. Je dirais cependant que cette lecture est presque dépassée si l'on considère une autre  tendance de fond : celle de la mixité. Mettre l'accent sur les "minorités majoritaires", c'est déjà donner raison à Samuel Huntington qui s'inquiétait de voir la majorité anglo-saxonne balayée d'ici quelques années. Utiliser cette grille de lecture empêche de considérer un phénomène relativement nouveau que le chercheur Rodriguez appelle le "Mestizo Melting Pot" (Melting Pot métis). Entre 2000 et 2010 on a ainsi noté une augmentation de 113% des personnes se déclarant de plusieurs origines dans le recensement, et les mariages mixtes sont aussi de plus en plus nombreux. Ainsi, 52% des Latinos nés aux Etats-Unis et 72% des Asiatiques nés aux Etats-Unis se marient avec une personne qui ne fait pas partie de leur communauté. Cette mixité est cependant moins importante dans la communauté noire, ce qui amène à modérer le constat sur une Amérique qui deviendrait "post-raciale". Ironie de l'histoire : le "rêve" de Martin Luther King s'est davantage réalisé pour les Hispaniques et les Asiatiques que pour les Afro-américains qui étaient pourtant directement concernés.

S'il devait encore y avoir une évolution en matière d'égalité raciale, quelle visage pourrait-elle avoir ?

François Durpaire : Tout d'abord, on peut dire que les progrès en la matière pourraient d'abord tenir à la question sociale, autrement dit à l'accès toujours plus important des minorités à la classe moyenne. Il n'est pas nécessaire de mener ici une politique qui soit "race specific" (à caractère racial, NDLR), type de mesures auxquelles Obama est de toute manière opposé. Dans un deuxième temps, pour ce qui concerne plus directement la communauté noire, des améliorations peuvent être faites contre la déstructuration des familles : plus d'un ménage afro-américain sur deux est ainsi composé d'une femme seule. Et là ce n'est pas l'Etat qui est directement en cause.  Autre sujet-clé, l'éducation, où l'écart de réussite entre les différentes communautés s'est certes atténué au fil des ans (notamment dans l'enseignement secondaire), mais où l'on constate encore des différences au niveau de l'accès à l'enseignement supérieur. Et enfin,le combat des droits civiques, après la ségrégation raciste, se concentre aujourd'hui contre ce qu'on appelle le "profilage ethnique" : je fais le rêve, pourrait dire un nouveau Martin Luther King, qu'un jeune Noir puisse se promener dans une banlieue résidentielle, sans être pour autant considéré comme une menace (et assassiné, comme le fut Trayvon Martin...)

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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