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Universités et études supérieures : l’argent investi est-il à la hauteur des résultats obtenus ?
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Rapport qualité-prix

Selon une enquête publiée par la Fage, deuxième organisation étudiante de France, le coût de la rentrée universitaire 2013-2014 progresse de 2% et atteint ainsi une moyenne de 2481,73 euros. L'organisation déplore une explosion du poste santé avec une "qualité de service en diminution constante".

Julien Pompey, Eric Verhaeghe et Olivier Vial

Julien Pompey, Eric Verhaeghe et Olivier Vial

Julien Pompey est rédacteur en chef du bimestriel Orientations Magazine et du site internet www.e-orientations.com

Éric Verhaeghe est l'ancien Président de l'APEC (l'Association pour l'emploi des cadres) et auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr   Diplômé de l'ENA (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un DEA d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

Olivier Vial est président de l’UNI et directeur du CERU – centre d’études et de recherches de l’UNI (Think-tank sur l’éducation). Après des études à Grenoble, où il obtient une maitrise d'économie, Olivier Vial poursuit ses études à l'Institut Français de Presse (IFP) à Paris. Il est, durant sa carrière,  élu au conseil d'administration du CNOUS) de 2000 à 2002, membre de la section des "questions économiques générales et de la conjoncture" du conseil économique et social. Il a coécrit avec Inès Charles-Lavauzelle une étude sur la situation des classes moyennes pour le compte du Centre d'études et de recherches de l'UNI, ainsi qu'une brochure intitulée Le mur n'est pas tombé tout seul.

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Atlantico :Selon la Fage (deuxième organisation étudiante), le coût de la rentrée universitaire pour l’année 2013-2014 affiche une hausse de 2% soit un total de 2.481,73 euros. Pendant ce temps, le coût de la vie étudiante augmente de 1,6% selon l’Unef, première organisation étudiante. Comment apprécier cette hausse en fonction des filières ?

Julien Pompey : Toutes les filières universitaires sont concernées par ces augmentations. Il faut surtout souligner qu'au final, c'est le budget des étudiants qui est fortement affecté par ces hausses. Celles-ci résultent en effet des dépenses liées au logement, des frais obligatoires exigés par les établissements – qui ont augmenté de 35 % en 10 ans – ou encore des complémentaires santé. Les étudiants ont, par conséquent, de plus en plus de difficultés à respecter leur budget, certains n'hésitant plus à renoncer aux soins médicaux par exemple… Beaucoup d'autres optent pour un job d'été en parallèle des études. Or, le fait d'avoir une activité supérieure à 16 heures par semaine réduit considérablement les chances de réussite aux examens, selon le Centre de Recherche en Économie et Statistique (CREST). Déjà que la réussite en licence est loin d'être bonne, cela ne devrait pas arranger les choses, même si le gouvernement a fait de l'université l'une de ses priorités.

Eric Verhaeghe : La querelle qui sévit autour de ces chiffres est assez étonnante. 2.500 euros pour une rentrée universitaire, c'est bien sûr un tarif élevé, mais il est sans commune mesure avec ce qui existe dans d'autres pays, notamment anglo-saxons. De ce point de vue, et avec un brin de provocation, je dirais plutôt: le coût de la rentrée n'augmente pas assez et pas assez vite. Je m'explique. Avec des tarifs trop bas, l'enseignement supérieur français donne à chacun l'illusion qu'il est au fond un bien consommable comme un pot de yaourt ou un téléphone portable. Le prix "facturé" représente en réalité le quart du coût réel des études pour la collectivité. Ce système est très déresponsabilisant, et ne pousse pas nos jeunes à mesurer l'engagement qu'ils prennent lorsqu'ils s'inscrivent à l'université.

On me parlera immédiatement des boursiers, sujet auquel je suis sensible puisque je fus moi-même boursier de l'enseignement supérieur. Là encore, je ne serais pas choqué par l'idée d'exonérations de certains coûts pour les étudiants les moins favorisés. En revanche, je pense qu'il est important que chacun paie son engagement, en proportion de ses moyens, sans quoi, c'est la porte ouverte au grand délire auquel nous assistons aujourd'hui : des filières culs-de-sac surchargées, et des filières d'avenir désertées.

Olivier Vial : Il est très difficile d’avoir des chiffres précis sur le coût de la rentrée étudiante. Il y a pas mal de paramètres qui entrent en jeu : les dépenses obligatoires comme les droits d’inscription et les droits de sécurité sociale étudiante. La hausse est réelle mais elle est minime puisqu’elle est de 6 euros par an (52 centimes par mois). Dans certains établissements privés, il y a beaucoup plus de marge de manœuvre donc des droits à l’inscription beaucoup plus élevés. C’est notamment le cas pour les écoles qui sont sur des niches. Celles-ci proposent des droits d’inscription très élevés mais ont peu d’étudiants et sont sur des filières précises. Il est difficile d’avoir une vision globale. Au-delà des dépenses obligatoires, il y a les dépenses de vie quelle que soit la filière (restauration, logement, équipement, etc.). Contrairement à ce qui est dit, le logement est plutôt en stagnation cette année après avoir connu pendant plusieurs années une vraie augmentation.

Les étudiants en ont-ils pour leur argent ? L'enseignement est-il à la hauteur de l'investissement fait par les familles et les étudiants ?

Julien Pompey : L'enseignement universitaire français, par rapport notamment aux pays de l'OCDE, est bon. Les universités, malgré leurs difficultés financières, bénéficient pour la plupart d'infrastructures et d'équipements modernes et d'excellents professeurs. Mais là où l'université pêche, c'est notamment dans l'accompagnement, aussi bien des élèves qu'au niveau des évolutions en cours dans le monde. Cela a des conséquences sur l'insertion des diplômés, qui est moins élevé qu'en école de commerce et d'ingénieurs notamment.

Eric Verhaeghe : Personne n'évalue l'enseignement aujourd'hui. C'est le privilège de la gratuité, et c'est aussi pourquoi les universitaires s'acharnent tant à défendre la gratuité (ou la quasi-gratuité) de l'université : elle les protège. Du jour où un étudiant débourse 10.000 ou 15.000 euros, parfois plus, pour une année d'enseignement, il est en droit de demander des comptes à ses enseignants : finis, les cours mal préparés, les profs "jemenfoutistes" qui mettent les filles en jupe au premier rang et autres comportements qu'on passe sous silence au nom de la sacro-sainte supériorité des enseignants, mais qui existent et sont plus répandus qu'on ne croit. Si les universités françaises adoptaient les pratiques anglo-saxonnes, c'est-à-dire demandaient aux étudiants d'évaluer leurs enseignants, tout ce laissez-aller changerait.

Je voudrais ajouter deux points majeurs pour étayer l'intérêt de l'évaluation des enseignants par les étudiants. D'abord, ce système pousserait les chercheurs à enseigner. Or, le mal français aujourd'hui tient à la très faible motivation des universitaires pour l'enseignement, et à leur engouement pour la recherche. Si la rémunération des universitaires dépendait directement de l'évaluation des étudiants, on réglerait très vite une grande partie de ce problème.

Deuxième intérêt : nous enfoncerions un coin majeur dans le mandarinat universitaire. L'université française est paralysée et sclérosée par des coteries qui se nourrissent de flagornerie et de médiocrité. Je ne compte plus le nombre d'excellents universitaires qui sont écœurés par le système, parce qu'ils ne sont pas inscrits dans le bon syndicat, le bon cercle, le bon cénacle, la bonne paroisse ou la bonne obédience, et qui voient leur passer sous le nez des médiocres obéissants. Ce système serait "remis à l'heure" si l'on adoptait la pendule de l'évaluation par les étudiants.

Olivier Vial : Il y a une vraie diversité selon les filières des établissements. Les droits d’inscription pour l’université sont les mêmes quel que soit la filière dans laquelle vous vous inscrivez et quel que soit l’université ou l’établissement que vous fréquentez. Même si certains font preuve de plus d’innovation, vous payerez le même prix que l’université qui a décidé de ne rien faire et de continuer avec des diplômes très routiniers sans s’adapter aux besoins du marché du travail et aux attentes des étudiants. Certains étudiants vont être plus lésés car leur université n’a pas à faire d’effort vis-à-vis d’eux puisque les droits d’inscription sont fixés au niveau national. Tous les étudiants payeront la même chose quel que soit le degré d’innovation du diplôme.

Les étudiants en ont quand même pour leur argent car ils payent une sorte de ticket modérateur (par exemple en licence, un étudiant paye environ 180 euros de droit d’inscription alors que le contribuable rajoute 10 000 euros). Il y a un effet de levier important car c’est l’argent du contribuable qui finance les études.De plus, quel que soit le diplôme du supérieur, il facilite l’insertion professionnelle. Il y a de vraies diversités. Le contribuable a beaucoup augmenté sa participation. Il y a dix ans, une année universitaire coûtait au contribuable 8000 euros et aujourd’hui  elle coûte plus de 10 000 euros. L’Etat finance de plus en plus l’université mais on n’est pas sûr qu’il y ait de réelles améliorations à l’échelle nationale. On voit que certaines universités ont pris cet argent pour vraiment innover et faciliter l’insertion professionnelle mais d’autres n’ont pas fait cet effort-là. Même si on fait semblant d’avoir une université républicaine, on a une université à double vitesse et ce n’est pas la question financière qui joue, c’est la motivation des enseignants et des équipes présidentielles. Là, on a des vraies diversités dans l’université. Toutes les filières coûtent la même chose mais elles n’ont pas toutes la même qualité en termes d’insertion professionnelle malgré le même ticket modérateur.

De la même façon, un étudiant qui paye pour s’inscrire dans un master aura plus de chance de s’insérer professionnellement qu’un étudiant en licence. Cependant, un étudiant qui s’inscrit en doctorat s’insère moins bien qu’un étudiant en master avec un salaire d’embauche plus faible qu’un bac +5 (un ingénieur par exemple). Dans certaines filières d’université, on peut dire que l’étudiant n’en a pas pour son argent.

Les étudiants parce qu’ils paient très peu et que pour eux les études sont assez peu chères sont gagnants quoi qu’il se passe car pour 180 euros par an, un diplôme est un vrai plus.  Par contre, le contribuable français qui est le vrai investisseur ne s’y retrouve pas toujours. Les évolutions et les hausses d’investissement ces dernières années ne se sont pas faites  avec une hausse de la qualité qui soit suffisante et homogène. La majorité des universités sont restées au même niveau qu’auparavant.

La qualité de l'enseignement français est-elle équivalente à celle des autres pays?

Julien Pompey : Il est difficile et délicat de comparer la qualité d'un enseignement d'un pays à l'autre, d'autant que chacun a ses spécificités. Mais, globalement, l'enseignement supérieur français est relativement bon. Cela ne saute pas forcément aux yeux quand on regarde par exemple le classement de Shanghai des meilleures universités mondiales mais, en même temps, ce palmarès est très critiqué, ne prenant nullement en compte les sciences humaines et sociales, les organismes de recherche…

Eric Verhaeghe : Lisons le classement de Shangai, sans intégrisme, sans naïveté, et constatons que l'enseignement français a jusqu'ici refusé de tirer les leçons de ses défaites. Il ne s'agit pas, j'insiste, de devenir shangaîomane. En revanche, la mauvaise visibilité des universités françaises sur le marché international de l'enseignement affaiblit notre compétitivité à long terme. Des esprits brillants des pays émergents ou d'ailleurs renoncent à venir en France pour suivre des études, parce que nos universités sont mal classées et surtout n'améliorent pas leur classement.

Cette passivité est affligeante. La loi Pécresse sur l'autonomie des universités visait à secouer le cocotier et à rendre les universitaires maîtres de leur destin. Il faudrait, point par point, voir comment la communauté universitaire, drapée dans sa suffisance et sa conviction de savoir tous les métiers mieux qui quiconque, y compris le métier d'administrer une université, a tout fait pour étouffer cette loi, pour l'énucléer, et pour en stériliser les bienfaits. 

Olivier Vial : Concernant les pays anglo-saxons, on a des premiers cycles qui sont dans les standards internationaux avec un meilleur rapport qualité/prix. On a des étudiants qui s’en sortent plutôt bien. Il n’y a pas de gap important entre les premiers cycles français et les premiers cycles des autres pays du monde. Par contre, au niveau des masters et des filières d’élite, la France a fait le choix idéologique d’avoir une université de masse sans privilégier des filières d’élite en confiant l’élitisme aux grandes écoles. Le problème français concerne la recherche. Dans cette filière, il y a un moins bon niveau en France que dans d’autres pays notamment les pays anglo-saxons.

Quand on sait qu’un étudiant à l’université coûte en moyenne 10 000 euros par an à l’État, peut-on dire que malgré la hausse des frais universitaires, la France favorise l’accès aux études supérieures ?

Julien Pompey: Depuis de nombreuses années, l'Etat a pour priorité de favoriser l'accès aux études supérieures, ce qui n'est absolument pas le cas de tous les pays, comme aux Etats-Unis par exemple. Sans cela, beaucoup de jeunes s'arrêteraient ou n'iraient même pas jusqu'au bac. Et ce, alors que la dernière note de la Direction de l'évaluation de la prospective et de la performance révèle que 11,6 % des étudiants français de 18 à 24 ans ne poursuivent ni études, ni formations et n'ont ni CAP, ni BEP, ni diplôme plus élevé…

Éric Verhaeghe : On ne dit pas assez aux étudiants le coût réel d'une année d'étude pour la collectivité, qui se situe en effet autour de 10.000 euros. Cet oubli favorise la gabegie, notamment la ruade vers des filières qui ne débouchent sur aucune création de valeur pour la collectivité.

Olivier Vial : Oui. Quand on sait qu’un étudiant ne paie que 2% du coût réel de ses études, on ne peut pas parler de désengagement de l’État. La barrière n’est pas financière surtout que les étudiants les plus nécessiteux bénéficient d’aides sociales très favorables. La France a décidé d’avoir un système centré sur l’aide sociale qui considère qu’il faut aider près de 30% des étudiants alors que les pays anglo-saxons, plus libéraux, considèrent qu’il faut aider entre 80% et 100% des étudiants par le prêt, par un système qui favorise l’emploi des étudiants, etc. Si on veut améliorer le système étudiant aujourd’hui, il faut casser ce système d’aide sociale basé essentiellement sur les bourses pour pouvoir l’ouvrir plus largement, via des prêts notamment, aux étudiants des classes moyennes.

Concernant les grandes écoles, comment justifier les frais de scolarité qui ne cessent d’augmenter ?

Julien Pompey : Les études supérieures coûtent de plus en plus cher en France, et les frais de scolarité atteignent des sommets pour intégrer certains établissements, comme les grandes écoles de commerce et d'ingénieurs, qui accueillent pour autant quelque 200 000 étudiants. Ainsi, en début d'année, la Cour des comptes avait tiré la sonnette d'alarme dans un rapport soulignant la hausse continue des frais de scolarité des grandes écoles de commerce, dénonçant notamment une "discrimination par l'argent". Pour autant, les grandes écoles peuvent se le permettre car elles insèrent particulièrement bien sur le marché ses jeunes diplômés, y compris en période de crise, avec en plus un réseau extrêmement développement, un accompagnement sur plusieurs années.

Eric Verhaeghe : En réalité, notre système pratique une sélection sociale qui ne dit pas son nom, et que nous devrions saisir par les cornes. Alors que l'université, dont les résultats sont médiocres, est quasi-gratuite, nous mettons en place un système de grandes écoles très sélectifs socialement, très cher et pourtant très subventionné. Le moment vient, me semble-t-il, de remettre tout cela à plat. Le plus simple serait de mettre en place le chèque universitaire : chaque étudiant bénéficierait d'un chèque annuel de 10.000 euros, et serait libre de s'inscrire dans la structure de son choix. Mais celle-ci ne percevrait plus un euro public.

Olivier Vial : Cela dépend des écoles. Il y a les grandes écoles comme HEC, ESSEC ou certaines écoles qui sont dans des niches. Un étudiant qui sort d’une grande école aura un cursus reconnu qui permettra une insertion professionnelle et un meilleur salaire d’embauche à l’entrée. L’investissement est donc rentable. Par contre, si on regarde simplement par rapport aux écoles de commerce, l’évolution qui a conduit à augmenter les droits d’inscription dans les grandes écoles n’a pas permis d’améliorer l’insertion professionnelle des étudiants. Aujourd’hui, il faut toujours plus pour se distinguer et les écoles ont besoin de toujours plus d’argent pour être dans cette course-là. A part l’insertion professionnelle, on n’a pas d’indicateur pour vérifier la qualité des études.

Propos recueillis par Karen Holcman

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