Reprise surprise... mais partiellement en trompe-l'œil : comment l’économie française a réussi à se débrouiller sans les banques ni le gouvernement<!-- --> | Atlantico.fr
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Trompe-l'œil d'une cascade à la craie.
Trompe-l'œil d'une cascade à la craie.
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Ça s'en va et ça revient

Après que Pierre Moscovici estime que la France est sur "le chemin du redressement", la timide reprise de l'activité en zone euro semble offrir des perspectives optimistes à l'économie française. Mais qui peut véritablement s'en prévaloir ?

Éric Verhaeghe et Gérard Thoris

Éric Verhaeghe et Gérard Thoris

Éric Verhaeghe est l'ancien Président de l'APEC (l'Association pour l'emploi des cadres) et auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr   Diplômé de l'ENA (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un DEA d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

Gérard Thoris est maître de conférence à Sciences Po. il a notamment rédigé une Analyse économique des systèmes (Paris, Armand Colin, 1997), contribue au Rapport Antheios et publie régulièrement des articles en matière de politique économique et sociale (Sociétal, Revue française des finances publiques…).

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Atlantico : Les prévisions d'indices PMI publiées mercredi 24 juillet montrent une reprise de l'activité en zone euro. Dans une interview au Figaro, le ministre de l'Economie et des Finances, Pierre Moscovici, affirme que la France est en train de sortir de la récession. Sommes-nous sur le chemin du redressement ou s’agit-il simplement d’une timideéclaircie conjoncturelle ?

Gérard Thoris : Occuper le terrain médiatique par des prophéties rassurantes est devenu une politique publique à part entière au point que l’on pourrait lui consacrer un ministère. Mais évidemment, ces prophéties ne sont pas auto-réalisatrices. La magie du verbe, en effet, ne fonctionne qu’une fois, alors que les effets contreproductifs des taxes, des réglementations, des rigidités en tous genres se manifestent quotidiennement dans les décisions des agents économiques.

La magie du verbe, c’est d’annoncer la fin de la récession alors qu’il s’agit seulement « du plus faible recul depuis 17 mois dans le secteur privé français en juillet ». Cette information est donnée par Markit Economics qui vient de publier son indice PMI (Purchasing Manager’s Index)[i]. Un petit mot d’explication pour montrer pourquoi cet indicateur est l’un des plus sûrs pour mesurer l’état de la conjoncture. Il s’agit d’un indice composé à partir d’une interview des managers  concernant leur carnet de commandes, la production, l’emploi, les délais de livraison, les stocks de semi-produits et de matières premières. Le résultat est seulement le solde des opinions positives auquel on additionne la moitié des opinions stationnaires. C’est une mesure du ressenti et non de la réalité. Mais de ce ressenti émerge la vision la plus proche du terrain dont on puisse disposer. De fait, elle est une bonne anticipation de l’évolution future des affaires.

Il faut donc regarder les choses de plus près. Premièrement, l’indice PMI pour la France est inférieur à 50, ce qui veut dire que nous sommes toujours en récession. Mais nous le sommes moins en juillet (48,8) qu’en juin (47,4). L’activité recule encore, mais moins rapidement. Effectivement, la dérivée seconde s’améliore et l’optimisme naturel des gens au pouvoir annonce que « la reprise est au coin de la rue » (Hoover, 1930).

  1. Ensuite, plus grave, toujours selon l’indice PMI, « les prix facturés diminuent pour le 15ème mois consécutif en juillet ». De plus, « cette dernière baisse est la plus forte depuis janvier ». Or, lorsque les prix de gros diminuent, nous avons le symptôme le plus important de la déflation. Toute la croissance future est dans les moyens de la déployer. La baisse des prix encaissés par les entreprises est une diminution de ces moyens.

  2. Enfin, en s’appuyant sur les chiffres de l’INSEE cette fois, la croissance du deuxième trimestre a 90% de chances d’être comprise entre -0,2% et +0,7%. Alors, oui, le +0,2% est bien dans la fourchette, mais elle a 10% de chances d’être vraie (et elle concerne le passé proche !)[ii]. Les hommes politiques devraient spontanément s’astreindre à la rigueur qu’ils imposent aux entreprises lorsqu’il s’agit de présenter les vertus de leurs produits (ration calorique journalière, date limite de consommation, précaution d’emploi, etc.). Ici, il s’agirait seulement d’indiquer les fourchettes de probabilité !

  3. Eric Verhaeghe : Il y a trois écoles majeures qui s'affrontent sur ce sujet. La première école, qui semble beaucoup influencer le gouvernement, soutient que la reprise doit intervenir automatiquement au second semestre 2013. Les adeptes de cette école reprennent, pour aller vite, la théorie des cycles économiques, et considèrent que la théorie ne peut se tromper : elle prévoit forcément une reprise dans les semaines qui viennent. C'est pourquoi François Hollande s'est lancé dans un pari un peu fou : la théorie est juste, et la reprise arrivera quoi qu'il fasse.

    Une autre école soutient que la reprise ne peut intervenir sans une politique de l'offre : diminution des coûts de mutualisation liés à la sécurité sociale, flexibilité du marché du travail, diminution des dépenses publiques et de la pression fiscale. A sa manière, François Hollande n'est pas hostile à cette vision. Il a fortement soutenu l'accord sur la sécurisation de l'emploi qui se veut favorable à la flexibilité. Il a inventé le CICE qui, dans l'esprit, participe d'une politique de l'offre. Dans le même temps, il est confronté à une difficulté majeure : le lobby des fonctionnaires fait barrage à toute diminution des dépenses publiques, ce qui oblige le gouvernement à augmenter les impôts.

    Une troisième école donne sa langue au chat et égrène les risques qui pèsent encore aujourd'hui sur notre économie : le manque de compétitivité, la dette publique incontrôlable, les dépenses publiques incontrôlables, le risque d'un krach obligataire - tout cela constitue autant de zones sensibles qui pourraient produire un nouveau choc asymétrique dont l'économie française se relèverait difficilement. 

    Chacun, selon le clocher sous lequel il s'abrite, interprète les signaux économiques à sa manière et pour servir sa cause. C'est la fonction astrologique de l'expertise économique. Bien malin celui qui peut prétendre avoir sérieusement raison, sachant que les indicateurs peuvent donner lieu à plusieurs lectures différentes. C'est le cas des chiffres de l'emploi, qui ne sont quand même pas très bons.

Le président de la République, qui espère inverser la courbe du chômage d'ici fin 2013, devrait se gargariser du succès de sa politique. Ces chiffres positifs peuvent-ils vraiment être attribués à la politique gouvernementale ? Certains dispositifs, comme le Crédit d'impôt compétitivité ou la BPI, ont-ils déjà pu porter leurs fruits ?

Eric Verhaeghe :En fait, je ne vois pas où sont les chiffres positifs. 0,2% de croissance au second trimestre après un recul au premier, c'est quand même une catastrophe. Rappelons que l'Allemagne est en situation d'excédent budgétaire et de plein emploi. J'imagine mal qu'on pavoise dans ces circonstances où nos voisins vivent une réalité très différente de la nôtre - je veux dire bien plus favorable. Que l'on se rassure en se disant que la chute cesse est une chose. Que l'on pavoise sur ce résultat en dit long sur notre absence d'ambition pour demain.

Sur le fond, je ne pense pas que l'enjeu soit de décerner une palme à la politique économique la moins pire du marché. L'enjeu est plutôt de remettre le pays sur le sentier d'une prospérité saine et partagée. Saine, cela signifie que la prospérité ne doit pas reposer sur des subventions ou des artifices comptables: elle doit reposer sur une capacité de nos entreprises à vendre leurs produits en France et à l'étranger. Partagée, cela signifie que les fruits de cette prospérité doivent irriguer l'ensemble de la société française et pas seulement les beaux quartiers.

De ce point de vue, il me semble que la crispation, ou mieux : les crispations qui traversent la société française constituent un risque pour notre équilibre bien plus grand que la question de la dette ou de la récession. On voit bien place du Trocadéro, à Trappes, ou ailleurs qu'un événement festif ou un incident désagréable mais somme toute banal peut dégénérer en un phénomène collectif méchamment conflictuel. La société française est sur les nerfs, et même au bord de la crise de nerfs

Gérard Thoris : Les bureaux régionaux de la BPI viennent seulement d’être inaugurés ! On ne voit pas comment ces inaugurations multipliées auraient pu avoir un effet sur le climat des affaires, à moins qu’elles aient eu un effet euphorisant sur les invités ! Plus sérieusement, son président Nicolas Dufourcq s’était inquiété ce printemps du faible nombre de dossiers qui lui parvenaient. Plus sérieusement encore, tout chef d’entreprise qui souhaiterait y déposer un dossier ferait bien de lire les petites lettres du contrat qui se trouvent dans le programme du Parti socialiste (p. 43) : « là où il y a argent public, il doit y avoir droit de regard de la puissance publique » . PSA en sait quelque chose depuis que les actionnaires ont dû accepter le Commissaire à l’investissement Louis Gallois dans son conseil d’administration.

Évidemment, le programme du Parti socialiste n’est pas celui du président et, après tout, ce n’est qu’un programme. On y trouvait néanmoins l’idée de faire basculer des points de cotisations sociales sur la valeur ajoutée. C’était encore l’avis du même Louis Gallois. Seulement, cette formule, dont on peut discuter, a la forme d’une règle générale. Elle ne permet pas aux pouvoirs publics de s’immiscer dans la gestion des entreprises. Au contraire, le Crédit d’impôt compétitivité-emploi est octroyé par la puissance publique, avec les mêmes conséquences en termes de contrôle. On comprendrait déjà que les chefs d’entreprise boudent le procédé. On le comprend encore plus lorsque, pour bénéficier de l’avance de CICE pour l’année 2013, ils doivent payer un intérêt supérieur à celui qu’ils peuvent obtenir de leur banquier ! Cela veut dire que l’effet d’incitation est certainement émoussé. Mais, là encore, qu’on nous permette de dire que la pratique de l’économie dirigée est contreproductive. On voit déjà que Pierre Moscovici se propose de frapper les entreprises qui intègrent le CICE dans leurs négociations d’amendes qui pourraient aller jusqu’à 2 millions d’euros. Certes, les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants sont tout sauf simples. Mais enfin, si c’est l’Etat qui doit fixer les prix des transactions de consommations intermédiaires, on aura franchi un degré supplémentaire dans l’économie dirigée.

Sice n’est pas le gouvernement qui est à l’origine de ce léger rebond, à qui ou à quoi doit-on l’attribuer ?

Gérard Thoris : Toute chute a une fin. Si on est vraiment à la fin de l’atterrissage, en termes de contraction d’activité et d’emploi, réjouissons-nous. Mais il n’y a rien dans les fondamentaux de l’économie qui justifie un quelconque optimisme. L’Etat est toujours une des sources de la croissance, puisque l’on a renoncé à diminuer le déficit budgétaire en 2013. Mais il est parallèlement une source de défiance puisque le poids des intérêts de la dette publique est supérieur au taux de croissance nominal. Bref, comment considérer que la situation s’améliore avec une croissance à 0,2% lorsqu’il faut 2,6% de croissance pour ne pas s’endetter à la seule fin de payer les intérêts sur la dette accumulée.

Les ménages ont retrouvé le soleil avec les soldes. C’est une heureuse coïncidence qui a certainement eu un impact sur le chiffre d’affaires, mais sans doute moins sur les marges, donc sur les perspectives de développement. Par ailleurs, ils doivent s’attendre à payer très prochainement le prix du CICE sous la forme d’une hausse de la TVA. Pour être modeste, elle n’en est pas moins réelle… à moins qu’elle ne soit à nouveau prise en charge par les entreprises via la stabilité des prix de vente TTC.

La conjoncture internationale est contrastée. On voit que, malgré tout, le moteur de l’économie mondiale reste les Etats-Unis. Les émergents représentent certes un potentiel de croissance fantastique mais ils peinent à trouver leur dynamique en interne. De toutes façons, en ce qui concerne la France, le déficit commercial industriel est un vrai frein à la croissance. En termes conjoncturels, l’évolution des importations est en phase avec celle des exportations, ce qui traduit un effet neutre sur les tendances actuelles. Structurellement, on notera le comportement malthusien qui consiste à s’organiser pour aider à rapatrier des activités sur le territoire national en lieu et place d’une véritable offensive en termes de compétitivité et de spécialisation.

Eric Verhaeghe : Personnellement, je pense qu'il est trop tôt pour parler de rebond. Attendons un peu. On peut s'accorder sur l'idée que le pic bas de la récession est proche. Mais rien n'exclut un automne très rigoureux.

Pierre Moscovici affirme que sa priorité est de redonner aux chefs d'entreprises l'envie d'aller de l'avant et revendique « une politique de l'offre, qui passe par l'investissement des entreprises ». Est-ce réellement la politique qui est menée aujourd’hui ? Que faudrait-il faire pour aller véritablement dans ce sens ?

Eric Verhaeghe :Heureusement, l'envie d'aller de l'avant qui caractérise les chefs d'entreprise ne dépend pas du gouvernement, et je ne pense que Pierre Moscovici ait un quelconque pouvoir en la matière. En revanche, je suppose que Pierre Moscovici est bien conscient des contradictions qui affectent les messages gouvernementaux et qui troublent l'opinion. 

En réalité, le gouvernement mène effectivement une politique de l'offre, mais au bénéfice des grandes entreprises. Les PME et les TPE sont les grandes oubliées de la politique gouvernementale. Le CICE en est un exemple fameux : il profite directement aux grandes entreprises de main d'oeuvre, qui ne sont pas forcément les plus exposées à la concurrence internationale, et il débouche sur un durcissement des relations entre grandes entreprises commanditaires et petits sous-traitants.

On sait pourtant que le développement d'un Mittelstand français, c'est-à-dire d'un tissu de PME innovantes et exportatrices, est un enjeu pour revenir à la prospérité. Or c'est précisément ici que le bât blesse : personne n'arrive à stimuler efficacement le développement de ce tissu. 

Gérard Thoris : Une politique de l’offre, c’est une politique qui donne aux entreprises les moyens d’investir et qui presse les ménages à accroître leur offre de travail. Il faut avoir oublié la rafale d’impôts des douze derniers mois pour oser espérer que les marges des entreprises se soient accrues. De même, pour les ménages, même si la formule était plus que discutable, il est difficile d’oublier la fin de la défiscalisation des heures supplémentaires. Pour n’en rester qu’au domaine des moyens financiers, une politique de l’offre ne peut pas passer par un accroissement de l’endettement des entreprises françaises. Elle est donc conditionnée par une modification du partage de la valeur ajoutée au bénéfice de ces mêmes entreprises. Cela se traduit évidemment en pertes de salaires qui s’ajouteraient aux hausses d’impôts. Les perspectives de croissance se retourneraient du fait de la faiblesse du pouvoir d’achat et les seuls investissements possibles concerneraient la productivité. Ce serait certainement une bonne nouvelle pour les exportations mais certainement pas pour l’emploi.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio


[i] http://www.markiteconomics.com/Survey/PressRelease.mvc/0347487b49bb428b95cf97f3a6feaccf

[ii] http://www.insee.fr/fr/indicateurs/analys_conj/archives/ve_062013.pdf

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