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De jeunes juifs orthodoxes refusent des femmes comme surveillantes d'examen: et il n’y aurait pas de problème avec la laïcité en France
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Persona non grata

Une cinquantaine de garçons venant d'une école privée juive et portant la kippa ont refusé d'être surveillés par deux femmes lors des épreuves du Brevet dans un collège de Seine-Saint-Denis.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Un rectificatif de cet article a été publié : Polémique sur de jeunes juifs orthodoxes qui auraient refusé des femmes comme surveillantes des épreuves du brevet en Seine-Saint-Denis : pourquoi ça ne s’est pas passé comme on vous l’a dit

On a appris que, dans un collège de Seine-Saint-Denis (1), semble-t-il même plus précisément au collège Pablo Neruda de Gagny, lors des épreuves du Brevet des collèges, qu’il s’est produit un événement qui a lui seul témoigne de l’état de crise de nos valeurs collectives. Une cinquantaine de garçons portant la kippa sont installés pour l’épreuve, ils viennent d'une école privée juive. Il faut rappeler ici que l’interdiction du port de signes religieux ostensibles dans les collèges et lycées publics qu’a imposé la loi du 15 mars 2004 n'est pas de mise au cours des examens, comme le précise la circulaire d'application de cette loi.

Deux jeunes femmes sont censées surveiller ces garçons en kippa. Mais ceux-ci refusent d'être surveillés par des femmes durant les épreuves. L’administration de ce collège a sans doute été très embarrassée… Le responsable de leur établissement d'origine aurait même téléphoné à son collègue du public dans ce contexte. Un coup de téléphone dont l'existence a été évoquée par un professeur du collège de Gagny qui s'en est émue auprès de militants pro-laïcité mais que le principal de l'établissement religieux dément catégoriquement. Ce qui semble s'être produit en tous cas, c'est que les deux femmes aient bien été remplacées par deux hommes...

Le principe d’égalité, et particulièrement en ce qui concerne l’égalité entre hommes et femmes, inscrit à l’article premier de notre Constitution, ne vaudrait donc rien face aux exigences religieuses ? Ceux qui sont en charge de la responsabilité d’encadrer des épreuves dans un établissement public, de faire autorité en matière de respect des cadres dans l’école elle-même, cette fameuse école laïque conquise de haute lutte par la République, ne devraient rien céder sur les principes au lieu de laisser s’imposer ici des critères culturels et religieux dans le déroulement d'un examen.

Il est déjà bien regrettable que des élèves puissent, dans un établissement public, imposer lors d’examen leurs signes religieux qui ne sont pas neutres vis-à-vis d’un contenu des épreuves qui est d’un caractère relevant de connaissances scientifiques, au regard duquel on devrait pouvoir mettre de côté ses différences. On voit d’ailleurs où conduit cette tolérance finalement, tels que les signes ostensibles l’expriment comme objets relevant du sacré : au rejet de la loi commune, du droit positif.

C’est laisser accréditer l’idée chez certains que les droits de dieu sont supérieurs aux Droits de l’homme… Et avec quelles conséquences demain au bout de cette logique ? La laïcité est précisément le contraire de cela, c’est de porter au-dessus de nos différences le bien commun, l’intérêt général. Et on ne devrait accepter aucune dérogation à ce principe, seule façon de nous protéger contre ce genre de remise en cause catastrophique pour tous, croyants ou pas. C’est laisser mettre entre nous ces différences pour nous séparer, interdire tout mélange…

De plus, c'est la justification de la remise en cause de la mixité lors des examens, à travers le fait que des garçons ainsi regroupés puissent interdire à des femmes de les surveiller, une marche arrière toute de l'histoire.

L’école est au cœur des enjeux de la laïcité parce que c’est le lieu de diffusion des savoirs et de la formation du citoyen. L’école doit rester un lieu qui ne se voit imposer de l’extérieur ses règles et ses contenus, un véritable lieu de liberté d’accès à l’instruction. Laisser à l’entrée de l’école le poids de la tradition, de la religion, c’est la seule façon de donner à chaque enfant sa chance de pouvoir se construire sa propre liberté ; c’est bien de cela dont il est question, particulièrement pour les filles.

La mixité est l’apprentissage de l’égalité entre filles et garçons qui pose les bases de la reconnaissance de l’égalité entre les sexes. C’est une dimension essentielle du vivre ensemble et un exemple d’éducation pour toute la société. Comment peut-on l’oublier ?

Céder ici, c’est céder ailleurs, et l’on sait que pour un cas connu, ce sont cent remises en cause de la laïcité que cela trahit. Demain, ce seront des islamistes qui demanderont à chaperonner des jeunes filles voilées pour imposer leurs règles en suivant cette même voie trop bien tracée. Que cherche-t-on avec ce laxisme qui participe de saper nos plus belles valeurs collectives au nom du respect de la liberté religieuse ?

Hier, c’était la crèche Baby loup, où une salariée a entendu vouloir y imposer son voile, à laquelle la Cour de cassation a donné raison, pour réduire à rien la dynamique collective d’une association laïque et la mettre en situation de condamnation pour discrimination. Ceci, jusqu’à créer un climat de provocation qui a contraint la crèche à un déménagement dans la hâte. On nous a promis une loi pour corriger les choses. Mais qu’attend-t-on ? Que l’affaire revienne devant les tribunaux pour que la directrice de la crèche soit condamnée pour discrimination avec une amende telle que cela condamne à la fermeture définitive cette crèche ? Une crèche qui répond à un besoin social qui soudain ne compte pour rien encore face à la liberté religieuse, qui de plus en plus est laissée en position de s’attaquer aux autres libertés. Et ce, alors même que le voile signifie une inégalité hommes-femmes de fait !

Ailleurs, ces sont des hommes qui refusent de serrer la main à des femmes dans l’entreprise et pour faire bonne mesure, on inscrit dans les règles communes que l’on ne s’y serre plus la main, pour faire disparaitre derrière cette apparence trompeuse une discrimination. Encore ailleurs, le groupe Carrefour au nom de son ancrage territorial embauche des femmes voilées pour se fondre dans le décor…(2).

Monsieur Jean-Louis Bianco, qui préside aux destinées du nouvel Observatoire National de la laïcité, expliquait dans la presse au même moment où l’on passait les épreuves du Brevet, suite à un premier rapport d'étape de cette institution toute fraîche (3), que : "Les atteintes à la laïcité ont peut-être été surestimées" (la Croix du 25 juin 2013). Il évoquait une "laïcité de sang-froid", par opposition aux réactions à chaud aux événements. Côté rapport, que "la France n'a pas de problèmes avec sa laïcité", qu'il suffirait de la rendre "aimable" pour qu’on l’adopte... Il faudrait tout de même ne pas pour autant se laisser endormir !

Curieusement, cela contredisait les observations de la Mission laïcité du Haut Conseil à l'intégration qui a précédé de ses travaux pendant trois ans cet Observatoire dont on attend beaucoup tant la tâche est immense. Faut-il encore vouloir le voir, il est vrai.

Il faut que cet observatoire fasse son travail et ne participe pas de passer pour inaperçue une réalité devenue criante qui alimente aussi le vote extrême... A cacher, on crée sur la plan politique une bombe à retardement et on encourage les communautarismes. La situation est grave. Il est temps de réagir et que les choses se sachent pour éclairer le citoyen et pouvoir mener un clair combat en faveur de nos libertés et de la laïcité qui les conditionne.

Il faut un nouveau Livre blanc de la laïcité qui se donne les moyens de recenser la juste réalité des attaques que la laïcité ne cesse de subir, alors que d’aucuns crient au loup en demandant une commission pour dénoncer ce qu’ils appellent des actes d’islamophobie, dont la traduction littérale est en fait, "délit de blasphème". Contredire l’inégalité entre hommes et femmes proclamée par telle religion par exemple, pourrait tomber sous ce couperet. Inique !

La nécessité de libération des femmes a été un facteur important de l’évolution de l’ensemble de notre société vers plus de liberté, à travers plus d’égalité entre hommes et femmes. Aucune religion n’a apporté l’égalité entre les hommes et encore moins entre les hommes et les femmes, à être issue de sociétés patriarcales aux temps reculés. Elles doivent toutes faire leur effort de modernisation et il faut le cas échéant les y aider, si nécessaire, en le leur imposant.

On le voit, l’égalité entre hommes et femmes, c’est encore et toujours le combat phare de la laïcité et vital pour le développement de toute société, de toute civilisation, la valeur universelle par excellence, sans compromis, et d’aucune sorte. La liberté a toujours un prix, celui du courage. Il revient à ceux qui sont aux responsabilités aujourd’hui, de jouer ni plus ni moins, en la matière, que leur rôle.

1) Nous ne voulons pas de femmes dans le centre d’examen !?? par Jean-François Chalot 

2) Europe 1, émission de Patrick Roger, 21 mars. Témoignages rapportés par Soumia Malinbaum, Présidente d’honneur de l’Association Française des Managers de la Diversité (AFMD).

3) Il faut préciser que les déclarations de M. Jean-Louis Bianco ont été faites sans que l’ensemble de membres de cet Observatoire aient été consultés et/ou associés.

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