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Trop belle (et trop fausse) pour toi : Photoshop a-t-il fini par troubler le désir que nous pouvons ressentir pour des "vrais gens" ?
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Trop beau pour être vrai ?

Selon un sondage IFOP sur les complexes des femmes, 69% d'entre elles changeraient quelque chose à leur physique si elles le pouvaient. Un chiffre qui monte même à 81% chez les moins de 25 ans. Une volonté de gommer les défauts et de se remodeler, provenant en partie de la généralisation de top-modèles retouchées.

Pascal De Sutter

Pascal De Sutter

Pascal de Sutter est psychologue-sexologue et enseigne dans plusieurs universités de France et de Belgique, dont Lille et Metz. Il est l'auteur, avec Catherine Solano, de plusieurs ouvrages sur la mécanique sexuelle des hommes aux éditions Robert Laffont : La mécanique sexuelle des hommes : l'éjaculation. Il organise également des séminaires d'épanouissement conjugal, voir le site les sens de l'amour Il est le co-fondateur du site ma santé sexuelle.

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Atlantico : Lorsqu'on compare la photographie d’une top-modèle retouchée sur Photoshop avec le cliché d’origine, on est souvent surpris, si ce n’est déçu par la "normalité" de la personne. Photoshop et  Instagram ont-ils changé notre perception du corps et du désir ?

Pascal de Sutter : De manière générale, les progrès de l’informatique et des images de synthèses font que la différence entre la réalité et la fiction est de plus en plus difficile à établir : on ne sait plus bien ce qui est vrai et ce qui est transformé. Aujourd’hui, la photo d’une personne ne veut plus dire grand-chose car on ne sait plus si la personne est réellement comme cela ou bien si la photo a été retouchée. Par exemple Sharon Stone, qui a presque 60 ans maintenant, en paraît 35 sur les photos.

Ce phénomène est troublant pour les gens : se dire que dans les magazines tous les défauts sont gommés, cela laisse penser qu’une sorte de monde imaginaire est possible.

Avons-nous développé une idée de la perfection plastique qui ne connaît même pas d’équivalent dans la réalité ? 

Ce phénomène a beaucoup d’impact sur la vie des femmes aujourd’hui, car elles se comparent souvent à ces photos des magazines et tentent d’atteindre cette chimère impossible du corps parfait : des jambes d’adolescentes, un ventre plat, une forte poitrine, des fesses bien dessinées, etc. Les femmes n’ayant pas le corps qui est exposé dans les magazines, elles complexent, sont mal dans leur corps, et cela impacte sur leur fonctionnement sexuel. 50% des femmes souffrent de désir sexuel hypo-actif, et cela est en grande partie liée à une mauvaise estime de soi, ce qui est également lié au fait que les femmes tentent de ressembler à ces chimères. Ce qui fait que dans les magazines on ne voit pas de vraies femmes avec quelques défauts : bouton, grain de beauté, vergetures…

Cela a aussi un impact sur l’orgasme, car les femmes ne se lâchent pas dans le plaisir, elles se posent des questions sur leur corps pendant l’acte. Le fait de retoucher les photos à un réel impact sur le bien-être de la population et en particulier sur le plaisir sexuel féminin.

Le même phénomène touche-t-il les hommes ?

On observe qu’aux États-Unis 18% des jeunes prennent des stéroïdes pour avoir plus de muscles, car ils  veulent ressembler aux corps ultra-musclés présents dans les magazines ou dans les films. Ce phénomène touche plus particulièrement les habitants du sud des États-Unis (Californie, Floride). L’impact est d’autant plus important dans le milieu homosexuel masculin, qui est beaucoup plus exigent sur l’apparence physique. Les hommes regardent plus le physique, qu’ils soient homo ou hétéro. Les femmes sont moins regardantes sur le physique des hommes, mais c’est aussi en train de changer.

Le recours à ces outils numériques traduit un besoin de se sublimer, mais dans la vraie vie notre désir est-il stimulé exclusivement par cette notion du sublime ? Cette vision est-elle trop restrictive ?

La sexualité est régie par les cinq sens (voir mon séminaire sur http://www.lessensdelamour.com/). Dans les sens de l’amour, il n’y a pas que la vue. Certains hommes n’ont développé que ce plaisir, tout comme certaines femmes n’ont que le plaisir d’être vues par les hommes. Mais il y a également le toucher l’ouïe, l’odorat, le goût.

Mais même la vue peut se développer, en se faisant photographier par un professionnel : la vraie beauté des gens "normaux" peut se révéler ainsi, sans retouches.

Une frustration généralisée s’est-elle imposée dans nos sociétés modernes surexposées à l’image de l’être parfait ? A-t-on assisté à l’émergence de générations "dépitées" ?

Beaucoup de jeunes femmes souffrent énormément de ce décalage et développent même parfois des comportements alimentaires dysfonctionnels. Paradoxalement, l’obésité est en partie liée au fait que des jeunes filles font des régimes.  Car si on en suit un alors que ne n’est pas nécessaire, on déséquilibre son système de satiété. On a donc effectivement une génération de jeunes femmes qui, dans cette recherche de ressemblance avec des modèles chimériques, abîment leu santé physique et mentale.

Dans le rapport à l’image, était-ce mieux avant ? Les gens étaient-ils mieux dans leur corps ?

Dans les années 50 toutes les femmes voulaient ressembler à Marylin Monroe, qui faisait du 40 ou du 42, avait la taille fine et une forte poitrine. Les femmes qui n’étaient pas comme elles étaient un peu malheureuses, et essayaient de compenser en portant des corsets par exemple. Chez les Mayas il fallait avoir des pieds plats, chez les Chinois des petits pieds, et dans l’Antiquité les femmes devaient souffrir pour ressemble à l’idéal de beauté de l’époque.

Ce qui est nouveau, c’est qu’autrefois les femmes ne pouvaient pas avoir au quotidien ces modèles chimériques sous les yeux. En ce sens la situation s’est aggravée. La souffrance des femmes de ne pas correspondre aux modèles est donc certainement plus grande qu’avant. La question est plus grave aujourd’hui qu’il y a 30 ou 40 ans.

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