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Médias : comment parler de Lampedusa ?
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Zone franche

Le réel est à Lampedusa, mais on ne sait pas vraiment quoi en dire (et encore moins quoi en faire).

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Lampedusa, cette île italienne de 5 000 habitants par laquelle ont déjà transité 20 000 migrants venus de Tunisie et où de nouveaux rafiots chargés de pauvres bougres en quête de l’Eldorado européen accostent quotidiennement, est un fabuleux sujet d’étude pour médiologue amateur.

Enfin, pas l’île elle-même, puisqu’un endroit où tout change pour que rien ne change n’a sans doute pas grand chose à nous apprendre, mais plutôt la manière dont ce qui s’y passe est couvert par nos médias.

Rapidement, trois grandes manières d’aborder le sujet semblent se dégager. La « souchienne », bien entendu, qui en fait la confirmation de sa grande pétoche millénariste (l’Occident chrétien est en passe d’être submergé par les hordes de barbares des romans de Jean Raspail) et demande le doublement des moyens de Frontex. L’humano-progressiste, qui s’indigne de l’absence de générosité de la forteresse Europe à l’égard de ces malheureux et exige qu’un appartement et un job leur soit immédiatement attribué.

Mais surtout, et c’est sans doute la plus intéressante, « l’autruchienne », qui évite soigneusement d’en parler, ou alors sous des angles totalement anecdotiques permettant de tourner autour du pot tout en prétendant que le boulot a été fait...

Suivre deux grotesques en promenade, ce n'est pas faire le boulot

Les reportages sur les récentes visites de Marine Le Pen ou de Silvio Berlusconi aux autochtones, sont un bon exemple de ce dernier cas, les deux grotesques devenant les « sujets des sujets », si l’on veut, et les anonymes sur leurs barques ou dans les centres de rétention n’étant plus qu’une toile de fond propice au rabâchage des banalités outragées d'usage.

Je ne vous ferai d’ailleurs pas l’insulte de classer vos médias préférés dans ces différentes catégories : la presse française est tellement prévisible que ces jeux d'école maternelle où l'on glisse un cube dans un orifice carré et une sphère dans un trou rond pour être félicité par la maîtresse demandent plus de concentration...

Pour autant, il se passe bel et bien quelque chose qui ressemble, horresco referens, à un discours démago de Sarkozy expliquant, en substance, que les révolutions arabes, c’est bien sympa, mais s’il y doit y avoir un afflux soudain de migrants, ça va être délicat à gérer par des pays d’accueil déjà bien occupés par leurs crises financières, immobilières ou nucléaires.

Il y doit d'ailleurs y avoir d'autres rimes en « ère »  pertinentes mais, là tout de suite, elles me sont sorties de la tête.

Le développement de l'Afrique par la France ? En voilà une bonne idée !

Je suis médiologue amateur, mais je suis aussi père de famille et j'ai toujours pensé que, si un jour mon pays ne pouvait plus nourrir mes gosses, je les prendrais sous le bras pour les transporter, d’une manière ou d’une autre, là où l'on trouve encore à manger. En ce sens, je suis en parfaite empathie avec les migrants sur leurs rafiots, même si j’ai des difficultés avec ceux qui balancent les filles à la mer à l’occasion parce qu’elles sont trop lourdes.

Mais je suis aussi capable de comprendre que transférer tous les pauvres d’un continent vers un autre, ça n’est pas exactement une solution rationnelle. Tout comme je finis par m'agacer en entendant Martine Aubry expliquer, pour la millième fois, qu’il suffirait d’aider l’Afrique à se développer pour régler le problème et rendre tout le monde heureux dans son pays. Si la France, qui a du mal à atteindre les 2% de croissance depuis trente ans, était déjà capable de développer la Creuse, on aurait remarqué.

Alors l’Afrique…

Surtout s’il s’agit de remettre le protectionnisme à la mode en taxant les importations de produits venus de pays à bas salaires, ce qui est le meilleur moyen de les empêcher de se développer par eux mêmes, les pauvres qui s’entassent sur les rafiots.

Lampedusa, c’est le réel. C’est la confrontation de deux légitimités aussi incontestables qu'irréconciliables, que ni les commentaires manichéens traditionnels ― cet affrontement creux des méchants et des gentils ―, ni le refus pur et simple de montrer et de dire ce qui se passe ne feront disparaître.

Ah et ne me demandez pas ce qu’il faut faire. Je n’en ai pas la moindre idée : je suis juste médiologue amateur.

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