Pourquoi la création du parquet spécialisé dans la grande délinquance financière ne palliera pas le manque de collaboration internationale<!-- --> | Atlantico.fr
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Le projet de création d'un parquet spécialisé dans la délinquance financière est présenté ce mardi.
Le projet de création d'un parquet spécialisé dans la délinquance financière est présenté ce mardi.
©D.R.

Think global

Le projet de création d'un parquet spécialisé dans la délinquance financière, une promesse formulée par François Hollande suite à "l'affaire Cahuzac", est présenté ce mardi. Il semble pourtant peu probable que cela puisse pallier aux égoïsmes nationaux.

Jean de Maillard  et Noël Pons

Jean de Maillard et Noël Pons

Jean de Maillard est vice-président au tribunal de grande instance de Paris. Il est spécialiste de la criminalité financière.

Il est l'auteur de L'arnaque: La finance au-dessus des lois et des règles (Gallimard, 2010) et de La fabrique du temps nouveau : Entretiens sur la civilisation néolibérale (Editions du Temps Présent, 2011).

 

Noël Pons a été inspecteur des impôts, fonctionnaire au  Service central de prévention de la corruption (SCPC). Il  dispense de nombreuses formations antifraude et  anticorruption en France et à l'étranger.

Il est l'auteur de "La corruption des élites" chez Odile Jacob.

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Atlantico : Une loi organique est présentée ce mercredi pour la création d'un parquet spécialisé dans la délinquance financière, une promesse formulée par François Hollande suite à l'affaire Cahuzac. Le chef de l'État avait précisé dans une allocution télévisée, une semaine après les aveux de Jérôme Cahuzac, que cette instance aura "une compétence nationale, qui pourra agir sur les affaires de corruption et de grandes fraudes fiscales". Cette mesure sera t-elle suffisante pour enrayer les affaires de corruption et de fraude fiscale ?

Jean de Maillard : Il faudrait déjà s’entendre sur les mots : que signifie « enrayer la corruption et les fraudes » ? Il est très improbable, quel que soit le système juridique et l’organisation judiciaire, qu’on puisse mettre fin aux actes individuels. Mais il est quand même nécessaire, évidemment, d’avoir un maillage policier et judiciaire digne de ce nom dans un Etat de droit. Or, tous les gouvernements, depuis les années 1980, ont, ouvertement ou non, entendu restreindre les possibilités de poursuites contre la délinquance politique, économique et financière. Aujourd’hui, les parquets sont déboussolés car ils ont recueilli des pouvoirs de poursuites autrefois réservés aux juges d’instruction, mais ils ne savent pas s’en servir et ils ne sont pas organiquement aptes à les utiliser. La qualité des enquêtes financières conduites par les parquets est désastreuse, je n’hésite pas à le dire. Par ailleurs, les parquets sont beaucoup plus formatés pour freiner les poursuites que pour les pousser. Quant aux juges d’instruction, pour lesquels rien ne semble prévu, ils n’ont pas été supprimés, mais ce n’était pas la peine : la baisse de qualité de leur travail chez eux aussi  – heureusement il en reste quelques uns qui connaissent encore leur métier, mais ils sont de plus en plus rares – et l’invraisemblable complication de nos règles de procédure font que la juridiction d’instruction est quasiment en état de mort clinique. Personne n’en parle, car même les magistrats ont honte d’avouer les piètres prestations du système judiciaire français aujourd’hui.

Dans ces conditions, un parquet financier même doté d’une indépendance qu’il n’aura pas, de moyens qu’on ne lui donnera pas et d’une compétence professionnelle qu’il n’obtiendra pas, ne servirait que de vitrine peut-être brillante, mais cachant un magasin vide.

Noël Pons : Dans le cadre de la lutte contre la corruption c’est l’institution qui doit dominer l’engagement politique, elle doit rester stable et ne pas varier au gré des alternances politiques. Les juridictions spécialisées dans la délinquance économique et financière, comprenant notamment des parquetiers et des juges d’instruction existent mais elles ont été systématiquement détricotées jusqu’à perdre une grande part de leur efficacité. Ce qui est proposé, c’est de créer un parquet national qui aurait une compétence également nationale.

Pour que cette structure fonctionne, il est nécessaire d’y affecter les compétences humaines, techniques, et de lui assurer une formation continue afin de lui permettre de se familiariser et de poursuivre les montages en évolution constante et dont la complexité se démultiplie. Il faut s’assurer que la structure disposera de l’autonomie financière et politique sans laquelle elle ne pourra pas exercer ses prérogatives. Cette mesure est un élément essentiel car elle permettra de poursuivre les manipulations en dehors de toute intervention locale. Elle contribuera aussi à la prévention du problème car elle montrera si elle fonctionne correctement, que l’impunité n’est plus qu’une exception au moins dans le périmètre de ses attributions.

Pourquoi le problème de la grande délinquance financière ne peut pas être résolu par la France seule ?

Jean de Maillard : Au premier chef parce que le vrai problème, de nos jours, a pris une dimension que plus personne ne veut ni ne peut contrôler. La fraude est devenue « systémique » : prenez la bulle des subprimes, qui était un vaste « schéma de Ponzi », c’est-à-dire une escroquerie à la Madoff, mais montée par l’ensemble des secteurs immobilier, bancaire et financier américains, avec la complaisance des autres banques occidentales. Même chose pour la manipulation des taux Libor, encore par les plus grandes banques mondiales (dont des banques françaises semble-t-il), dont l’impact financier quotidien porte sur 450.000 milliards de dollars d’actifs. Avez-vous entendu parler d’un seul banquier mis en prison ? Peu avant l’effondrement de la bulle des subprimes, un responsable du FBI avouait son impuissance : lutter contre ce type de fraude n’est pas dans le pouvoir de la police. Cela peut paraître choquant, mais c’est la vérité. J’ajouterais tout simplement : ni dans celui de la justice, non seulement parce que ces fraudes sont organisées par les responsables économiques et financiers aux plus hauts niveaux de décision, mais aussi parce qu’il existe une « division du travail » criminel dans ces sortes de fraudes, telle qu’il n’y a plus de coupables individuels et que la fraude est « too big to punish »… On retrouve le même problème avec les manipulations de marchés par le « trading haute fréquence » ou les manipulations des cours des matières premières et des métaux précieux, qui reçoivent l’aval des autorités de contrôle qui sont censées être les gendarmes de ces marchés. Les gouvernements, les Banques centrales n’en ignorent rien, comme la manipulation qui se déroule depuis plusieurs années sur le marché de l’or, puisqu’ils y participent, afin d’éviter l’effondrement du système monétaire et financier mondial.

A côté de cela, il existe une criminalité mafieuse liée à la criminalité financière – c’est celle-ci d’ailleurs qui lui donne toute son envergure – qui n’est même pas, à mon avis, le problème structurel le plus important puisque cette grande criminalité est purement opportuniste : elle ne fait qu’utiliser les moyens de l’économie et de la finance pour donner à sa propre criminalité un coefficient multiplicateur, elle utilise les ressources procurées par les places off-shore et toutes les failles juridiques créées et entretenues par les États et les grands acteurs financiers comme d’un levier qui augmente ses capacités criminelles.

Noël Pons : Le problème de la délinquance financière ne peut être résolu par un pays seul, bien qu’il lui soit possible de faire régner sa loi chez lui quoi qu’on en pense. La mondialisation sans contrôle a fait naître une catégorie de « businessman » pour lesquels la loi ne représente rien et qui se comportent comme de véritables criminels financiers sans qu’ils en aient même une once de conscience.

La grande criminalité est aussi de plus en plus présente dans les activités économiques et il est fort possible que certains entrepreneurs ne tiennent pas trop à se mélanger à des structures atypiques. Dans ce cas une zone d’intégrité pourrait être recherchée, ce qui permettrait tout simplement de travailler tranquille, dans cette zone les lois seraient respectées et ceux qui ne désireraient pas s’y soumettre n’y seraient pas les bienvenus.

Quelles solutions concrètes sont possibles à l'échelle européenne et mondiale pour lutter contre la délinquance fiscale ?

Jean de Maillard : Pour être franc, j’ai envie de dire : aucune. Parce que ce n’est pas une question de délinquance, mais de politique et qu’il n’existe aucune volonté politique véritable de mettre de l’ordre dans l’incroyable capharnaüm de la finance mondiale et du droit international. On nous annonce à grand renfort de publicité que les pays européens, Grande Bretagne comprise, vont mettre en place des systèmes de partage automatique d’informations bancaires, y compris avec des paradis bancaires et fiscaux. Mais on se moque du monde, car on ne cherche même pas à empêcher l’évasion « juridique », qui précède l’évasion fiscale en permettant de cacher les avoirs financiers et leurs propriétaires dans des structures complètement opaques comme les trusts. Savez-vous qu’une convention internationale, signée en 1985 à La Haye, protège rigoureusement la dissimulation juridique au sein des trusts ? Elle permet au créateur d’un trust de placer celui-ci sous le régime juridique du pays qui lui plaît et d’opposer ce statut aux autres pays où il a des activités. Vous avez dit « transparence » ?

Noël Pons : Je verrais quelques mesures phares qui pourraient créer une sorte de zone d’intégrité :

  • L’échange d’informations même si on sait que l’exhaustivité des échanges ne sera jamais complète ;

  • L’ouverture de poursuites systématiques pour chaque information reçue ;

  • L’élaboration d’une liste des paradis fiscaux, certes cette liste évoluera mais ce sera déjà autant de pris ;

  • Plus important, le fait d’identifier et de citer les entités et structures qui accompagnent le blanchiment (cabinets d’avocats, comptables, fiscalistes) qui grouillent dans ce marigot. Notons qu’ils devraient être poursuivis du fait de cette activité ;

  • Pour toute les sommes ayant transité par ces pays : inverser la charge de la preuve, il faut justifier de l’existence de la prestation, certains pays dispose de cette procédure, il faut alors l’appliquer ; 

  • Enfin demander aux entreprises et banques de déclarer le montant de leurs avoirs ou de leur activité dans ces structures.

La France accuse t-elle un retard dans la lutte contre la délinquance fiscale ? La France peut-elle vraiment s'imposer à l'échelle internationale, notamment face aux paradis fiscaux ?

Jean de Maillard : La France est, parmi les pays occidentaux, l’un des plus laxistes en matière de lutte contre la fraude fiscale. Seul un nombre infinitésimal de fraudes font l’objet de poursuites pénales et celles-ci ne peuvent même pas être déclenchées par les parquets. Il faut avoir une autorisation de la Commission des infractions fiscales (CIF), dont les décisions sont opaques et sans recours… Quant à s’imposer sur la scène internationale dans la lutte contre la délinquance économique, financière ou fiscale, je crains que la France ne soit guère prise au sérieux par nos autres partenaires en ce domaine, même si ce n’est pas particulièrement mieux ailleurs.  

Noël Pons : La France semble ne plus être seule, puisque le Luxembourg, la Suisse et peut-être un jour prochain l’Autriche bousculés par la loi américaine FATCA promettent de s’amender. Cependant, les paradis fiscaux, ou plutôt les structures qui organisent ces manipulations (cabinets d’avocats et professionnels de la comptabilité), ainsi que les multinationales proches des dirigeants des états vont faire traîner le plus possible ces évolutions, le temps nécessaire pour mettre en place des mesures de contournement qu’ils estiment utiles. Il reste à faire en sorte que les mailles du filet soient le plus resserrées possible.

Il reste toutefois un grand espoir, c’est que les opinions publiques, de plus en plus conscientes de cette situation, imposent donc une cohérence entre les dirigeant politiques en recherche de recettes fiscales, et les analystes qui démontent ces systèmes. Finalement les utilisateurs de paradis fiscaux seront désormais considérés comme des magouilleurs et non comme des malins qu’il faut imiter. C’est un retour de l’état de droit ! Et, finalement, peut-être participons-nous à un moment privilégié, qui rendrait la maxime de Mark Twain valide : « ils l’ont fait parce qu’ils ne savaient pas que c’était impossible ! »

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