Pourquoi Nissan ne pourra pas sauver Renault même en s’installant en France<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Renault, avec Dacia, vend deux fois moins de voitures que Nissan.
Renault, avec Dacia, vend deux fois moins de voitures que Nissan.
©Reuters

Perdu d'avance

L'usine de Flins (Yvelines) du constructeur automobile français Renault va fabriquer la prochaine génération de Nissan Micra à partir de 2016.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

Voir la bio »

En ces temps moroses, l’opinion est prête à s’accrocher à toute information apportant un peu de lumière dans la grisaille quotidienne des perspectives économiques. Il est certain que l’annonce de la production de la Nissan Micra à l’usine Renault de Flins apparaît comme une excellente nouvelle pour l’automobile française et l’emploi. Cette concrétisation du renforcement de l’Alliance Renault Nissan contribue à la mise en œuvre de l’accord de compétitivité  conclu en mars 2013 avec les partenaires sociaux pour mettre fin à la réduction de la production de Renault en France. Néanmoins, sur ce site qui n’a produit que 117000 véhicules en 2012 avec 3500 personnes, cette décision n’aura d’effet qu’en 2016, ce qui dans le monde économique actuel représente un temps infini.

Car si l’authenticité de cette décision n’est pas contestable, beaucoup d’annonces à moyen terme ont déjà été mises à mal par la réalité économique. Il en est ainsi de l’usine de batteries décidée à Flins, avec le support de l’Etat, qui ne verra pas le jour. L'alliance Renault-Nissan avait signé en novembre 2009 une lettre d'intention avec le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et le Fonds stratégique d'investissement (FSI) de l'État en vue de créer une joint-venture qui développerait et produirait des batteries pour véhicules électriques. La capacité de l'usine de Flins devait atteindre 250.000 batteries en 2015. L'investissement de la première phase du projet était estimé à 600 millions d'euros jusqu'en 2013. Ce projet ambitieux, très médiatisé, n’a toutefois pas été concrétisé. Pour des raisons qui n’ont jamais été clarifiées, Renault a décidé en juin 2011 de le reporter en 2014 ou 2015, puis finalement de l’abandonner.

La réalité du marché impose aux constructeurs beaucoup de pragmatisme et jamais l’incertitude n’a été aussi grande sur les volumes du marché européen et sur l’ampleur d’une reprise hypothétique du marché.

Toutefois, cette décision, en soi banale dans le monde de l’automobile où les usines sont partagées entre plusieurs modèles et marques, et appliquée au sein même de l’Alliance dans de nombreux pays, redonne une actualité aux interrogations sur le statut et le fonctionnement de cette « alliance » entre deux constructeurs fort différents mais dirigés par le même homme.

L’Alliance Renault Nissan ne fonctionne comme un groupe industriel uni, avec un portefeuille de marques clairement identifiées, sur le modèle de Volkswagen. C’est une organisation spécifique de deux entreprises distinctes  dont une structure centrale, RNBV, s’assure que toutes les synergies possibles sont exploitées pour renforcer la compétitivité de chaque des marques. Cette gouvernance pose aujourd’hui question compte tenu des tensions géographiques nées de la restructuration du marché automobile mondial. Cette aventure industrielle qui a pris corps en 1999 par une prise de participation croisée de Renault dans Nissan à hauteur de 43,4% et de Nissan dans Renault à hauteur de 15% a déjà vécu plusieurs phases.  Au-delà du sort des usines françaises de Renault, la question de l’avenir de chaque entité au sein de l’Alliance Renault Nissan fait régulièrement débat.

Une évolution dissymétrique de l’Alliance entre pairs

Si Renault avait pu prendre 43,4% du capital de Nissan, troisième constructeur japonais très affaibli par dix années d’insuccès - une seule année a été bénéficiaire dans la décennie 90, 1996 - c’est parce que la dynamique était en faveur du groupe français qui avait retrouvé grâce notamment au succès du Scénic prospérité et ambition. Ce rapprochement industriel qui donnait sans conteste le pouvoir à Renault a permis à la marque française de dépoussiérer le management de l’entreprise nippone sous la férule de Carlos Ghosn, envoyé par Louis Schweitzer à la tête d’une petite équipe solide, dont Patrick Pelata. Ces missionnaires, appuyés par le management de Renault, allait rapidement prendre des mesures efficaces, le Nissan Revival Plan, pour réduire le nombre d’usines, rationaliser la sous-traitance interne, donner une impulsion au management en insufflant des jeunes à tous niveaux. Ces mesures ont entraîné la réduction de 21000 emplois. Mais plus encore c’est l’effort sur les produits qui a permis de rafraîchir l’image de marque en dotant les gammes d’un style nouveau. Dans le contexte très porteur du début des années 2000, ces mesures allaient porter leurs fruits et relancer Nissan partout dans le monde, mais singulièrement aux Etats-Unis et en Europe. Plus encore la marque haut de gamme Infiniti allait, avec un plan produit agressif, connaitre un succès rapide aux Etats-Unis et générer des profits importants.

De son côté Renault connaissait un début de siècle prometteur avec le rachat de Dacia et le lancement de Logan, qui inaugurait un nouveau segment dans le monde automobile, et prenait pied en Asie en rachetant à Samsung sa division automobile qui allait devenir Renault Samsung Motors.

De fait l’Alliance, dirigée par Louis Schweitzer, connaissait une croissance équilibrée où chaque partenaire pouvait légitimement considérer qu’il tirait parti de l’expertise de l’autre. Les échanges se sont multipliés sur le plan technique, le système de production Nissan a été adopté par Renault, les développements de moteur ont été partagés (l’essence à Nissan compte tenu de ses marchés, le diesel à Renault), les achats ont été largement mutualisés.

Néanmoins, depuis 2008, les facteurs structurels de dissymétrie se sont accentués. Présente depuis fort longtemps dans le monde entier, la marque Nissan, bénéficiant de l’aura automobile japonaise, d’une gamme étendue de véhicules allant des petits véhicules au haut de gamme premium et aux SUV a cru plus rapidement que la marque Renault. Nissan a pu profiter du marché américain et de la croissance chinoise alors que Renault reste absent de ces grands marchés. Plus encore l’innovation produit a porté ses fruits chez Nissan, avec notamment le succès des SUV, X-Trail, puis Qashqai et Juke, le coupé  sportif 370Z, suivi de la GT-R, et l’expansion mondiale d’Infiniti alors que Renault, échouant dans le haut de gamme, à la peine chez Samsung, ne devait son salut qu’à Clio et Megane, à ses utilitaires et surtout à la grande réussite de Dacia, c’est-à-dire à un recentrage subi sur les modèles d’entrée et de moyenne gamme moins rémunérateurs.

Les chiffres sont particulièrement éloquents. La production de Nissan est passée de 2,4 millions de véhicules en 1999 à près de 5 millions en 2012. Après une année 2011 perturbée comme tous les constructeurs japonais par le tsunami, Nissan a vendu en 2012 4,94 millions de véhicules soit une croissance de 5,8% par rapport à 2011. Nissan a progressé de 13,6% au Japon, de 9,5% aux Etats-Unis, son deuxième marché juste après la Chine, où ses ventes ont, en revanche, régressé de 5,3% et de 4,9% dans le reste du monde, le groupe réalisant 87% de ses ventes totales hors du Japon.  Le groupe a ainsi  progressé nettement sur les marchés en croissance thaïlandais, brésilien et indien. Les chiffres de mars 2013 traduisent cependant une stabilisation des ventes mondiales de Nissan.

Renault, en revanche, piétine. Les volumes ne progressent pas suffisamment dans l’absolu et face à Nissan. L’échec du contrat 2009 lancé en 2006 avec beaucoup d’emphase et qui prévoyait 800000 véhicules de plus et une marge opérationnelle de 6% a laissé beaucoup d’amertume dans l’entreprise. La crise n’est pas le seul facteur explicatif. Le groupe a vendu 2,5 millions de voitures en 2012, dont 1,2 hors d’Europe, alors que les plans visaient 3,3 millions de véhicules en 2009. Mais en 2000, Renault avait déjà  vendu 2,2 millions  de véhicules pour un chiffre d’affaires de 40 milliards d'euros, et un taux de pénétration du marché européen de 11% passé en 2012 à 9,1%. La  gamme est vieillissante avec beaucoup de modèles, même plus récents, qui sont des échecs commerciaux : Wind, Laguna, Laguna Coupé, Fluence, Latitude… L’arrivée d’un nouveau designer, Laurens van den Acker, apporte une touche de modernité visible sur la nouvelle Clio, l’électrique Zoé et sur la dernière-née, le mini-SUV Captur. Enfin, à la suite du succès de la très classique Logan, Dacia a réussi à construire une gamme attractive tant par son design que par son prix.

L’avenir de Renault au sein de l’Alliance

Les faits sont cruels. Renault, avec Dacia, vend deux fois moins de voitures que Nissan, et les profits unitaires sont très inférieurs. Les chiffres d’affaires traduisent cette dissymétrie : 41,2  milliards d’euros pour Renault en 2012, en baisse de 3,2%, 80 milliards d'euros pour Nissan. Et Carlos Ghosn, au pouvoir chez Renault depuis 2005,  n’hésite pas à déclarer en septembre 2012  que Renault, « sous sa forme actuelle » pourrait disparaitre dans la décennie.

Bloqué par la mauvaise santé des marchés sud-européens, Renault, pour compenser son handicap de taille et de présence géographique face à son partenaire ne peut que se développer à l’international et construire une image plus flatteuse sur les nouveaux marchés qu’en Europe pour tenter de relever ses prix unitaires. Or, Renault est absent des Etats-Unis, et n’a qu’une présence commerciale anecdotique en Chine et au Japon. Si Renault cherche à s’implanter en Chine, et y parviendra certainement même avec beaucoup de retard sur ses concurrents, les deux autres marchés lui resteront durablement fermés… par Nissan. En revanche Renault progresse considérablement en Russie, où le rachat d’AvtoVaz va porter ses fruits, au Brésil, son deuxième marché, avec une implantation industrielle et commerciale solides et au Maghreb où l’usine de Tanger devrait apporter une contribution majeure au rayonnement de la marque dans le bassin méditerranéen et en Afrique. Après son échec en Inde dans son partenariat avec Mahindra, Renault reconstruit son image à partir de l’usine Nissan de Chennai.

Nissan continuera à pousser son avantage sur le segment premium, avec d’ailleurs le soutien de Daimler, troisième acteur encore discret de l’Alliance, sur le créneau sportif et les SUV avec une empreinte mondiale industrielle et commerciale autour de quatre zones solides : Japon, Chine, Etats-Unis, Europe.

Il demeure que cette forme de spécialisation commerciale de fait n’exclut par une forte mutualisation industrielle, gage de rationalisation des organes, de partage des coûts de recherche développement et de rationalisation des achats. C’est ainsi qu’en 2009, il a été décidé d’accélérer les synergies entre Renault et Nissan pour baisser les coûts. Tous les secteurs sont impliqués : ingénierie, développement de plate-formes communes, d’organes mécaniques et de pièces communes (Common Module Family), achats et fonctions support. Une équipe dédiée de 16 dirigeants veille à ce que les décisions de chaque société aillent dans le sens d’une meilleure efficacité de l’Alliance. Le rythme des synergies devrait s’accroître même si les différences culturelles restent un obstacle tenace. Il faut souligner que dans les véhicules zéro émission, la coopération entre Renault et Nissan permet à l’Alliance d’être leader mondial dans les véhicules électriques avec une gamme compléte. Cette compétence doit s’étendre à l’hybride et à l’hydrogène sur lesquels Nissan a de l’expertise.

Globalement, si la robustesse de la marque Renault apparaît aujourd’hui plus faible que celle de Nissan, c’est en raison d’un nombre trop faible de produits à succès et d’une répartition géographique qui la prive de l’accès aux deux plus grands marchés de la planète. En revanche, la qualité réelle des véhicules nouveaux n’est plus aujourd’hui un problème, même si le poids de la base installée pénalise encore l’image de marque auprès des consommateurs dans les pays historiques de la marque.

Ceci ne condamne en rien ni la marque Renault, ni le groupe qui avec Dacia dispose d’une offre de valeur. Avec Nissan, Renault dispose en effet d’un atout considérable qui fait défaut à son concurrent de toujours Peugeot Citroën : un allié, puissant et en bonne santé qui contribue par ses dividendes à financer son actionnaire principal et  une base industrielle mondiale. Mais après avoir été une alliance entre pairs il sera de plus en plus difficile de maintenir cette parité compte tenu de l’écart grandissant des volumes et des profits entre les deux composants et la gouvernance de l’Alliance doit se réinventer.

En termes d’image de marque, Renault ne peut en revanche compter que sur ses propres forces à travers des produits innovants, marquants, en phase avec les défis de l’époque. Renault a toujours su inventer des produits attractifs. Sa compétence en petites voitures astucieuses dont Twingo fut un symbole sera un atout dans un monde urbanisé et soucieux de faibles consommation et de faibles émissions.  Pour cela il faut retrouver créativité, imagination et confiance. C’est un problème de produit mais aussi de management.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !