Pourquoi l'héritage politique de Margaret Thatcher est tout sauf réductible à son libéralisme économique<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Margaret Thatcher était de ces personnages qui ne laissent pas indifférent.
Margaret Thatcher était de ces personnages qui ne laissent pas indifférent.
©Reuters

Miss Maggie

Portée aux nues par les libéraux, considérée dangereuse par les autres, Margaret Thatcher, morte ce lundi à 87 ans, était de ces personnages qui ne laissent personne indifférent. En pleine crise de l'autorité politique, son véritable héritage n'est peut-être pas celui qu'on lui attribue.

Atlantico :En ne rendant hommage qu’à sa politique libérale, ne passe-t-on pas à côté de l'essentiel de ce qui faisait la force du personnage politique de madame Thatcher ? Et en quoi d'ailleurs cette politique libérale a montré ses limites ?

Pierre-François Gouiffès : Les convictions libérales – qu’on les admire ou qu’on les rejette -  constituent une partie importante du bilan thatchérien mais ne permettent de couvrir la profondeur du personnage objectivement hors norme qu’est Margaret Thatcher.

Il y a tout d’abord un destin politique exceptionnel : député à 34 ans, ministre à 45 ans, Premier ministre à 53 ans – la première et l’unique femme de l’histoire politique britannique -, mandat de 11 ans marqué par trois très nettes victoires législatives à la tête du parti conservateurs contre un parti travailliste condamné à l’opposition pendant 18 ans. Le mandat de Margaret Thatcher est par ailleurs marqué par des transformations majeures de son pays, de l’Europe et du monde : structure économique et sociale britannique (privatisations, baisse de la dépense publique, libéralisation financière), Acte unique européen, fin de la Guerre froide et disparition de l’Union soviétique. La « Dame de fer » - expression utilisée pour la première fois dans un article de la Pravda des années 1970 – a ainsi fortement marqué son époque.

Après Thatcher, une quinzaine d’années de croissance relativement forte ont semblé accréditer la pertinence des changements radicaux opérés par Margaret Thatcher. Mais la crise de 2008 a montré au grand jour les limites du modèle, notamment dans les années 2000 avec un environnement favorable à la croissance rapide de la dette sous toutes ses formes : dette publique et dette privée, déficit extérieur, bulle immobilière.

Jacques Leruez : La plus grande des forces de madame Thatcher était sans le moindre doute sa fermeté, sa capacité extraordinaire à ne jamais reculer qui au-delà de sa politique était profondément liée à sa personnalité et à ce qu’elle aimait. L’un de ses conseillers avait lancé le slogan "The Lady is not for turning" qui illustrait parfaitement cette vérité. C’est cela qui a beaucoup marqué les Britanniques et le monde car cela frisait parfois l’entêtement mais que c’était admirable d’énergie. Sur le plan de sa politique, la critique est essentiellement la cause de dérives internationales plutôt que de reproches sur le plan strictement britannique.  En effet, les reformes thatchériennes, au moment où elles ont été faites, ont amené quinze ans de relative prospérité puisque le PIB a augmenté régulièrement à cette époque. De plus, cela a surtout mis fin à une politique de stop and go, de freinages brutaux et de relances qui ont caractérisé la politique économique de la Grande-Bretagne depuis la guerre. Cela a donné la sensation d’une quinzaine glorieuse au pays.

Quelles sont les principales leçons à tirer de la politique façon Thatcher ? Dans quelle mesure nos politiques pourraient-ils s'en inspirer ? 

Pierre-François Gouiffès : J’ai osé un jour comparer Margaret Thatcher à Lénine sur la base des similitudes suivantes : croyance en un dogme puissant porteur d’espoir et presque sacré, détermination absolue à le mettre en œuvre quelles que soient les oppositions, conviction qu’une minorité agissante peut changer l’Histoire.

Une leçon importante de politique pratique de Thatcher consiste donc peut-être à assumer avec courage et ténacité une ligne politique sans se soucier d’une éventuelle descente aux enfers dans les sondages (on a prêté à Margaret Thatcher le nom de « TINA » « there is no alternative » au début de son mandat), tout en étant capable de remonter aux moments clés pour gagner les élections. Bien sûr ce type d’approche du combat politique ne va pas sans dégâts collatéraux et sans ressentiments parfois haineux.

Jacques Leruez : Il est clair que la façon de gouverner de madame Thatcher a pu fonctionner en partie parce qu’elle avait avec elle sa conscience. En bonne protestante certaine de sa morale, elle pouvait avancer avec des certitudes. Il me semble clair que son statut de femme lui a permis de s’imposer auprès de beaucoup d’hommes qui n’étaient pas capables de s’adresser à elle de la même façon qu’ils l’auraient fait avec quelqu’un d’autre. Pour autant, je ne dirais pas que n’importe quelle femme, à l’époque ou aujourd’hui, pourrait profiter de ce statut parce qu’une fois encore cela ne pouvait fonctionner qu’avec une femme comme madame Thatcher. C’est donc peut-être de cela qu’il fallait s’inspirer, de la conviction et de la certitude que l’on est du bon côté pour avancer, qu’on le fait pour le plus grand bien.

Quel était son secret pour continuer à avancer sans se soucier de la critique ? Pour faire passer les réalités économiques avant l'idéologie ? 

Pierre-François Gouiffès : On utilise souvent pour Margaret Thatcher le terme de « conviction politics », et ses mémoires sont d’ailleurs pleins de mépris pour certains de ses contemporains responsables politiques européens, coupables de cynisme et d’absence totale de convictions. Cela ne signifie pas que chez Thatcher il n’y pas de savoir-faire tactique. Au contraire elle a conjugué durablement cette maîtrise de l’art politique avec un corpus puissant de convictions. Mais cela a fini par s’user : elle est finalement éjectée de la vie politique en 1990 du fait de la lassitude qu’elle a généré et de sa volonté de mettre en œuvre ses convictions (opposition farouche au fédéralisme européen, poll tax) à n’importe quel prix, ce qu’elle a effectivement fini par payer.

Jacques Leruez : On parle souvent de pragmatisme mais Margaret Thatcher fonctionnait malgré tout autour d’une doctrine bien définie, qu’on a appelée néolibérale, qui consistait à libéraliser l’économie des contraintes qui s’étaient imposées à elle notamment le système de protection sociale. Les garde-fous sociaux qui avaient été inventés à l’issue de la Seconde Guerre mondiale y ont malgré tout survécu, elle n’a pas laissé de désert social alors que le gouvernement Cameron va peut-être finir par le faire. Elle a surtout enlevé la notion de totale gratuité qui régissait le système de santé avant qu’elle ne le prenne en main.

Les peuples d'Europe sont-ils en train de réclamer davantage de dirigeants capables de combativité sur le modèle de madame Thatcher ?

Pierre-François Gouiffès : Les conditions économiques et sociales sont très différentes de celles d’il y a trente ans sous Thatcher. Ainsi, depuis la crise de 2008, la plupart des gouvernements occidentaux ont été balayés lors des élections. Pour autant, le modèle Thatcher renvoie peut-être à l’idéal ou au fantasme français d’un « homme providentiel » capable de redresser une situation qui semble très compromise.

Jacques Leruez : Il semblerait en effet que de plus en plus de peuples européens réclament des dirigeants capables de s’opposer à l’Europe même si ne le veulent pas forcément pour les mêmes raisons idéologiques que celles pour lesquelles le faisait Margaret Thatcher. Ce qui est sûr c’est qu’elle avait une vision de l’Europe qui prenait la forme du développement du marché intérieur et de la libéralisation des échanges comme dans son propre pays sans pour autant remettre en cause les nations. 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !