La belle affaire
Quand la surveillance des transactions financières vire à l’espionnage façon Big Brother
Un article publié récemment sur Reuters révèle le fait que l'administration Obama est en train de mettre sur pied une vaste banque de données financières qui sera ouverte à toutes les agences de sécurité nationales (NSA, FBI, CIA...). Une mesure qui touchera tous les Américains... et bon nombre d'étrangers, Français y compris.
Michel Nesterenko
Directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).
Spécialiste du cyberterrorisme et de la sécurité aérienne. Après une carrière passée dans plusieurs grandes entreprises du transport aérien, il devient consultant et expert dans le domaine des infrastructures et de la sécurité.
Atlantico : Un article publié par Reuters révèle le fait que l'administration Obama est en train de mettre sur pied une vaste banque de données financières qui sera ouverte à toutes les agences de sécurité nationales (NSA, FBI, CIA...). Cette surveillance ne risque-t-elle pas de dépasser le simple secteur financier ?
Michel Nesterenko : Absolument. On peut dire de plus que cette investigation du secteur financier, contrairement aux secteurs militaires et criminels, est relativement nouvelle. Les agences de renseignements américaines ont ainsi organisé depuis longtemps le vol à grande échelle des informations militaires, y compris celles de la France et des autres pays alliés de l'OTAN, le phénomène n'ayant ici rien de particulièrement inédit. Les données criminelles sont quant à elles compilées par les Etats-Unis depuis les attentats du 11 Septembre et le début de la '"guerre contre le terrorisme".
La traque des données financières, à l'inverse, est un élément nouveau mais potentiellement tout aussi attractif : le but est ici d'organiser une vaste opération d'espionnage industriel au nom d'une meilleure efficacité dans la prévention et la répression de la fraude fiscale. Une nouvelle loi vient d'être adoptée dans ce sens en début d'année outre-Atlantique (FATCA : Foreign Account Tax Compliance Act) qui offre aux services de renseignement une licence pour investiguer n'importe quel compte, que ce soit celui d'un Américain ou celui d'un étranger en affaires avec une société américaine. De plus, elle impose aux banques étrangères de transmettre la quasi-totalité du détail des comptes de ces personnes à partir du moment où elles entrent en contact avec un citoyen américain. Ces données, une fois collectées, seront ensuite conservées pendant une centaine d'années. Plusieurs banques ont tenté de s'opposer à la mesure, mais la fronde n'a pas fait long feu lorsque l'administration Obama leur a répondu qu'elles pouvaient fermer leurs sites aux Etats-Unis si elles étaient trop incommodées.
Il est évident que la lutte contre la fraude fiscale ne nécessite pas un dispositif aussi poussé et est surtout contestable sur le plan juridique. Cela sous-entend que vous êtes soumis à la loi américaine ou que vous vous trouviez dans le monde à partir du moment où vous êtes en contact avec un citoyen ou une compagnie locale.
Sans caricature, peut-on dire que l'on est entré dans le syndrome Big Brother ?
Nous y sommes totalement. Il faudrait néanmoins éviter de surjouer cette analyse. Une grande partie de l'ensemble des informations qui ont été stockées par les différentes agences américaines sont aujourd'hui caduques ou inutilisables. Autrement dit, la masse des données est telle qu'il est aujourd'hui impossible de les vérifier ou de les mettre à jour pour les exploiter par la suite. L'erreur est humaine, et cette règle n'échappe pas aux services de renseignements, aussi bons soit-ils. On peut donc dire qu'il y a possibilité de voir le système se saturer complètement et devenir à terme obsolète.
Un projet similaire avait été écarté par le Congrès au lendemain du 11 Septembre, période pourtant sensible. Pourquoi a-t-il plus de chances d'aboutir aujourd'hui ?
Il a justement plus de chances d'aboutir à l'heure actuelle puisque la question est de renforcer le renseignement contre les crimes financiers et non contre le terrorisme. La lutte contre les transactions frauduleuses est aujourd'hui un sujet bien plus sensible pour les citoyens qu'il ne l'était il y a dix ans et l'argument d'un contrôle renforcé permettant d'éviter la finance de tricher devient ici assez porteur. Sous couvert de faire la chasse aux "mauvais payeurs" le but est bien de récupérer autant de données que possible à une échelle planétaire plutôt que de lancer une nouvelle chasse aux terroristes.
Cela sous-entend-il de fait que nous sommes dans une remise en cause des libertés individuelles ?
Propos recueillis par Théophile Sourdille
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