L'argument de la justice sociale à l'assaut de la politique familiale : comment la route de l'enfer fiscal est pavée de bonnes intentions<!-- --> | Atlantico.fr
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On représente souvent comme équitables des choses qui ne le sont pas.
On représente souvent comme équitables des choses qui ne le sont pas.
©Reuters

Contre-productif

Alors que le plafond du quotient familial a été abaissé, Didier Migaud, le président de la Cour des comptes, propose de taxer les allocations familiales comme le revenu. La préoccupation de justice sociale se veut au centre de la réforme fiscale voulue par François Hollande, mais cette obsession ne finit-elle pas par être contre-productive ?

Michel Taly

Michel Taly

Michel Taly est avocat fiscaliste au sein du Cabinet Arsene Taxand. Il est spécialiste de la politique fiscale à l’Institut de l’entreprise. Il a supervisé la réalisation du rapport de l'Institut de l'entreprise Mettre la fiscalité au service de la croissance.

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Atlantico :  François Hollande s'était engagé à introduire davantage de justice fiscale. Qu'il s'agisse de la taxation à  75% des hauts revenus ou de la fiscalisation des allocations familiales, une réforme de la fiscalité sous le seul angle de la justice sociale a-t-elle réellement un sens ?

Michel Taly Quand on parle de justice en matière fiscale, on confond souvent deux choses :

  • L’équité "intrinsèque" du système fiscal, c'est-à-dire le fait de répartir le financement des charges publiques, comme le prévoit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en fonction des capacités contributives des contribuables. A cet égard, une grande attention est traditionnellement portée à l’équité "horizontale" (entre contribuables ayant le même niveau de revenu).

  • La contribution du système fiscal à la redistribution des revenus ou des patrimoines. L’attention se focalise alors sur l’équité "verticale", c'est-à-dire à la progressivité de l’impôt. Le problème est que l’équité horizontale se mesure de façon objective (il s’agit de s’assurer du respect du précepte "à revenu égal, impôt égal"), mais que le jugement porté sur l’équité verticale est forcément subjectif : certes, on peut s’accorder à considérer que la capacité à payer l’impôt n’est pas un pourcentage constant et que ce pourcentage augmente plutôt avec le revenu. Mais il n’y a pas de règle immanente permettant de déterminer de façon scientifique la pente de la courbe de progressivité.

Il s'agit de déterminer, dans une appréciation politique, de ce qui est souhaitable et possible, par référence au passé et aux pratiques étrangères. D’ailleurs, lorsqu’ils présentent une réforme, les gouvernements ne justifient jamais le point d’arrivée mais les écarts par rapport à l’existant : toute augmentation doit être plus forte et toute diminution plus faible en haut de l’échelle des revenus. Hommes politiques de gauche mais aussi de droite ont pratiqué ainsi avec constance depuis des décennies sans jamais nous dire quel était pour eux le bon niveau de taxation ! La seule limite à l’exercice est la notion de prélèvement confiscatoire [au-delà du seuil de 70% NDLR] que le Conseil constitutionnel a fini par faire respecter.

Je n’aime pas opposer justice fiscale et efficacité. On donne à penser qu’il faudrait se résigner à l’injustice au nom de l’efficacité, c'est-à-dire en fait à céder devant le chantage qu’exercerait le "mur d’argent", comme on disait du temps du Front populaire. Présenter les choses comme cela n’est pas très enthousiasmant, mais, heureusement, cette présentation ne me paraît pas exacte. En fait, je n’ai pas d’exemple de prélèvement équitable inefficace. Le problème est plutôt que l’on présente comme équitable des choses qui ne le sont pas.

Il serait abusif de voir un conflit justice / efficacité dans la façon de traiter la prise en compte des enfants, là où il y a juste un problème d’équité horizontale : il n’est pas absurde de traiter les allocations familiales comme un revenu imposable, mais comme on vient de diminuer aussi les effets du quotient familial, et que l’effet du gel du barème augmente avec le nombre de parts, cela revient à augmenter fortement la progressivité de l’impôt pour les familles sans le faire pour les autres contribuables. On ne peut pas juger chacune de ces mesures séparément, sans vision d’ensemble.

De même, lorsque le candidat François Hollande a mis dans son programme la promesse de taxer les revenus du capital comme ceux du travail, cela ne m’a pas paru choquant, mais j’ai immédiatement averti qu’il fallait expliquer que cela ne signifiait pas taxer au barème la totalité du revenu nominal des revenus du capital : dans un intérêt, il y a une partie qui compense l’inflation et ne constitue pas une capacité à payer l’impôt ; dans une plus-value, il y aussi de l’inflation, mais aussi une rémunération du risque de perte de valeur de l’action. Si l’on taxe la totalité de la plus-value quand l’investisseur gagne, va-t-on lui proposer de déduire les pertes de ses autres revenus ? Pour tenir compte de tous ces éléments, on peut soit taxer à un taux réduit, soit taxer au barème progressif après avoir pratiqué un abattement. Les deux solutions sont équivalentes pour les contribuables ayant les plus hauts revenus, mais la seconde est plus favorable pour les autres. La proposition du candidat n’obligeait donc pas à sacrifier l’efficacité à la justice : taxer au barème progressif sans abattement n’est pas efficace, mais ce n’est pas juste non plus !

La taxation des allocations familiales accroît la progressivité de l'impôt dans la mesure où lorsqu'on exonère un revenu. Il y a deux effets. Tout d'abord, l'intéressé ne paie pas d'impôt sur ce revenu et, enfin, le taux moyen auxquels il paie les autres impôts est plus bas. En effet, la progressivité de l'impôt peut se résumer comme suit : plus votre revenu est élevé, plus le pourcentage de ce revenu qu'il faudra payer en impôt augmentePrenons l'exemple de deux personnes gagnent 51 000 d'impôts de revenus dont l'une reçoit 3 500 euros d'allocations parmi ces 51 000 euros. Celle qui jouit de cette aide ne paiera pas d'impôt sur ces 3 500 euros et paiera des impôts à un taux plus faible sur les autres 48 500 euros que le taux moyen qui sera appliqué aux 51 000 euros de l'autre qui ne reçoit aucune allocation.

Il est difficile de déterminer à partir de quel niveau d'allocations familiales des familles non imposables entrent dans le champ de l'impôt sur le revenu. Théoriquement, toute personne qui est juste en dessous du seuil d'imposition minimal (5 964 euros) devient imposable si les allocations familiales entrent en compte. Mais le problème est plus large puisqu'un grand nombre des aides sociales sont versées en fonction de l'imposabilité d'une personne ou non. Beaucoup de collectivités locales par exemple font payer à des tarifs différents les mêmes services suivant si la personne est imposable ou non.

Percevoir la fiscalité sous l'angle de la justice sociale peut-il se révéler contre-productif ?

Le problème est la finalité de cette proposition : soit nous sommes dans un simple exercice sur l'impôt sur le revenu, soit nous sommes dans un rééquilibrage de la politique familiale (ce qui nécessite d'augmenter les cotisations ou de baisser les prestations familiales...). Mais se contenter de dire que l'on obtiendrait 800 millions d'euros de recettes de plus pour l'Etat en imposant les allocations familiales, nous allons trop vite au résultat et ne définissons pas quel est l’objectif : rendre l'impôt sur le revenu plus juste ou rééquilibrer les allocations familiales.

N'y a t-il pas aujourd'hui une confusion entre équité et justice sociale ? Comment l'expliquer ?

La fiscalité est devenue, dans le débat politique français, un moyen commode de symboliser le clivage idéologique entre la gauche et la droite. Quand les contraintes externes (mondialisation, harmonisation européenne) réduisent les marges de manœuvre et font planer le soupçon que droite et gauche ne peuvent que suivre la même politique, il est tentant de caricaturer le débat fiscal pour retrouver ses repères : toute réforme fiscale de droite ne peut que favoriser les riches et toute politique fiscale de gauche viser la justice sociale. Le tout, le plus souvent, sans expliciter les finalités des mesures proposées ni procéder à une évaluation sérieuse, a priori et a posteriori, des réformes votées.

Et les médias apportent leur contribution en préférant porter l’attention sur la tactique (le gouvernement recule devant sa majorité ou cède aux lobbies) plutôt qu’au fond, il est vrai généralement complexe. Il n’est donc pas étonnant qu’en bout de course, on oublie que l’impôt sert avant tout à répartir équitablement entre les citoyens la charge des dépenses publiques !

S'agit-il d'un "travers" français ?

Ce qui est sans doute plus accentué en France (sans qu’elle n’en ait l’exclusivité), c’est la capacité à ne regarder une mesure fiscale que sous le prisme idéologique. Par exemple, lorsque les Allemands on décidé d’augmenter la TVA pour rééquilibrer le budget, ils en ont profité pour augmenter le taux de 3 points (au lieu des 2 jugés souhaitables au niveau budgétaire) pour baisser les charges sociales. J’ai fait partie d’un groupe d’étude qui s’est rendu en Allemagne pour interroger les différents acteurs (ministère des Finances, parlementaires, patronat, syndicats). Ce qui m’a frappé, c’est qu’aucun de ces acteurs n’a eu une lecture politique de cette réforme. Le débat public en Allemagne a porté sur les effets économiques prévisibles (sur les prix, le niveau de la consommation, les coûts salariaux), mais pas sur le point de savoir si augmenter la TVA était une mesure de droite ou de gauche. Chez nous, toucher à la TVA est tellement sensible que, dans une dérisoire tentative de rendre le terme sympathique, on lui a accolé les expressions les plus diverses : TVA sociale, TVA emploi, TVA anti-délocalisation …

Mais rien n’y fait, tout le monde n’entend que TVA, et la mesure entraîne une forte hostilité. Et personne ne lit les tonnes de littérature (presque toujours étrangère) traitant du point de savoir quels sont les types de prélèvements qui ont le moins d’effets défavorables sur la croissance. Or, augmenter la TVA était non seulement souhaitable, mais inévitable. Après avoir critiqué le projet de ses prédécesseurs, le gouvernement vient de se résigner à faire voter une hausse de TVA. Mais nous avons été incapable de le faire par le biais d’un consensus bipartisan, comme savent le faire parfois nos voisins. Or, le consensus bipartisan est indispensable pour la légitimité de l’impôt et sa stabilité. Mais si l’UMP avait voté le projet, il se serait trouvé des gens pour dire qu’un tel consensus fait le jeu des partis extrémistes. Il est essentiel de dépassionner le débat fiscal.

Rappel : le projet de loi de finances 2013 prévoyait également l'abaissement de l'avantage fiscal maximal par demi-part reçu au titre du quotient familial. Rabaissé de 2 336 euros à 2 000 euros par demi-part, cette mesure doit impacter 900 000 foyers par une mesure qui rapportera un demi-milliard d'euros à l'État.

http://www.toutsurlesimpots.com/quotient-familial-baisse-du-plafond-a-2000-euros-adoptee-par-les-deputes.html

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