Sommet du G20 : pourquoi la France aura du mal à faire plier l’Allemagne sur l’euro fort<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Angela Merkel privilégie les réformes structurelles en zone euro plutôt qu'une politique de change accommodante
Angela Merkel privilégie les réformes structurelles en zone euro plutôt qu'une politique de change accommodante
©Reuters

Bras de fer

François Hollande souhaite que la zone euro adopte une politique de change. Mais l'Allemagne et l’Autriche, qui estiment qu'"un affaiblissement artificiel de l'euro est inapproprié", ne sont pas près de céder aux exigences de Paris.

Olivier Harmant

Olivier Harmant

Olivier Harmant est journaliste politique et économique à la rédaction d'Atlantico.

Twitter : @olivblog

Site internet :
harmantpost.com 

Voir la bio »

C’est un vieux travers de la classe politique française, gauche comme droite. Dans un discours prononcé devant le Parlement européen, François Hollande scandait qu’ “une zone monétaire doit avoir une politique de change, sinon elle se voit imposer une parité qui ne correspond pas à l'état réel de son économie”. Une allusion directe à l’euro, accusée d’être trop élevée par rapport au dollar américain - et au yuan chinois - et de pénaliser ainsi la reprise économique en Europe, et un véritable pic envoyé à la Banque centrale européenne dont le sacro-saint objectif reste la “stabilité des prix”, soit une cible d’inflation de 2%. Un argument efficace politiquement lorsque l’on sait que la croissance française ne devrait pas dépasser les 0,1% au premier trimestre 2013 après une contraction (-0,1%) lors des deux derniers trimestres de 2012 selon la Banque de France. Des chiffres qui ont déjà poussé le ministre de l’Economie et des Finances, Pierre Moscovici, à parler d’un “réexamen possible” de son objectif de déficit à 3% en 2013. Mais alors que les politiques de change sont au coeur des discussions qui se sont ouvertes hier dans le cadre du sommet du G20 à Moscou, Berlin affûte ses arguments et ne semble pas prêt de céder aux exigences de Paris sur l'euro fort.

Le retour de la confiance envers la zone euro

Tout d’abord, parce que l’appréciation [de la monnaie unique, ndlr] est, dans un sens, un signe du retour de la confiance dans l’euro” comme le soulignait le 7 février dernier Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne et, quelque part, le résultat d’un certain succès de la politique de fermeté qu’il a mené jusqu’à présent.

Fin juillet, il affirmait que, “dans le cadre de son mandat, la BCE est prête à faire tout ce qu'il faudra pour préserver l'euro”, avant d’ajouter “croyez-moi, cela suffira !”. Un mois plus tard, dans un discours écouté à la virgule près par tous les acteurs du monde de la finance, il annonçait la mise en place d’un nouveau programme baptisé OMT (Outright Monetary transaction). S’il n’est pas à la hauteur de ce qu’auraient souhaité les partisans de la planche à billets - qui privilégiaient un programme à la “sauce Fed américaine” qui, en septembre 2012, annonçait un programme d’achat de dette pour une durée illimitée à hauteur de 40 milliards de dollars par mois en plus de celui qui, lancé deux ans plus tôt, visait à acheter des bons du Trésor américain pour pas moins de... 600 milliards de dollars - , il permet cependant à la banque centrale d’intervenir directement sur les marchés de la dette secondaire - c’est-à-dire celui de la dette déjà émise sur les marchés, l’achat de dette nouvellement émise lui étant formellement interdite par son mandat - afin de détendre les taux obligataires auxquels s’endettent les Etats et, en particulier, ceux du Sud de l’Europe : Italie, Espagne et Grèce en tête.

En précisant qu’il n’y aurait “pas de limite quantitative”, Mario Draghi souhaitait ainsi se dresser en pare-feu contre ceux qui seraient tentés de spéculer sur un éclatement de la zone euro. Le message fut clair : la banque de Francfort ne laissera pas faire. Mais contrairement à ce que certains auraient pu croire, cette nouvelle impulsion ne sonnait pas comme un mea culpa de la part de l’institution à qui l’on reproche une trop grande rigidité dans la conduite de sa politique monétaire. En effet, tout Etat qui solliciterait l’aide de la BCE devra préalablement en formuler la demande auprès du FESF (le Fonds européens de stabilité financière, ndlr). En termes clairs, toute assistance, quelqu’elle soit, sera conditionnée à des efforts de rigueur budgétaire. Un facteur important pour les marchés qui y voient un effet démultiplicateur : en sus d’un assouplissement monétaire, les efforts structurels d'assainissement budgétaire se poursuivront. Et avec un certain succès puisque de juillet 2012 au 1er février 2013, l’euro a évolué de 1,21 dollars à un niveau se situant aux alentours des 1,36 dollars. Si cette appréciation inquiète nombre d’économistes qui craignent un renchérissement du coût des exportations de la zone euro - et donc de compétitivité coût - elle traduit avant tout une bonne nouvelle pour celle-ci : un retour de la confiance des investisseurs envers la monnaie unique, une plus grande stabilité systémique de la zone monétaire et une dissipation des inquiétudes quant à un éventuel éclatement. De nouvelles perspectives réjouissantes tant une sortie désordonnée de la Grèce, ou d’un autre pays, aurait été dévastateur.

Une question plus complexe

Autre facteur de taille, la corrélation entre le taux de change de l’euro et la croissance de la zone n’a pas toujours été vérifiée. Rappelons au passage que de juillet 2005 à novembre 2007, la monnaie unique s’est appréciée passant d’un peu plus de 1,19 dollars à plus de 1,48 dollars, soit plus que son niveau actuel. Or, de 2005 à 2007, la croissance de la zone euro à 17 pays était de 1,7% en 2005, 3,2% en 2006 et 3% en 2007 selon Eurostat. Des chiffres à faire envier les chefs d’Etats actuels alors que le FMI prédit une légère récession en 2013 - avec un euro pourtant plus faible - avant un probable rebond en 2014. En réalité, “la relation entre taux de change et croissance est complexe car il faut tenir compte de l'intensité de la demande tant interne qu'externe. A court terme c'est le facteur clé” précise Philippe Waechter, Chef Economiste chez Natixis Asset Management.

Dans le cadre de la France, l’hexagone a fait état d’un déficit commercial de 67 milliards d’euros en 2012. Autrement dit, elle est structurellement plus importatrice qu’exportatrice. Selon la vision allemande, l’”euro fort”, tel qu’il est désigné, a surtout permis à la France de se protéger d’une dérive inflationniste - et des conséquences, y compris politiques, que l’on connait - en période de crise et, en premier lieu, du pétrole, une matière première dont le cours est structurellement orienté à la hausse. Un euro fort peut permettre d'amortir les hausses des prix du pétrole libellés en dollars et jouer le rôle d'amortisseur. A l'inverse, quand l'euro s'affaiblit, le prix du pétrole peut être moins élevé en dollars mais plus chère en euros” estime Thomas Porcher, économiste spécialiste des matières premières et professeur à l’ESG-MS. Preuve en est, les effets des mesures prises par le gouvernement pour contrer la hausse du prix à la pompe ont été effacés en quelques semaines seulement. Mais l’économiste souligne cependant qu’“il ne faut pas négliger l'ambivalence du rôle de l'euro car un euro fort amortit certes le coût des importations mais rend également moins attractive nos exportations”.

L'impact d'un euro fort

C’est dans ce contexte que l’on ne peut reprocher au président de la République de déclarer que “certains pays comme les Etats-Unis ou la Chine utilisent aussi leur taux de change à des fins de soutien de leur propre croissance”. Il touche au contraire à un point extrêmement sensible sur lequel certains secteurs sont sensiblement pénalisés. Airbus, porte-étendard de l’industrie européenne, doit ainsi supporter des coûts de fabrication dans un euro fort pour vendre dans un dollar faible car celle-ci reste la monnaie de référence dans les échanges commerciaux. Un véritable handicap pour l’entreprise. Pourquoi ? Parce qu’elle se bat frontalement contre un concurrent américain présent sur les mêmes segments (court, moyen et long courriers) et que cette situation renchérit ses coûts et diminue ses rentrées face à celui-ci par simple cause monétaire. Un véritable effet ciseau.

La filiale d’EADS a ainsi d’ores et déjà commencé à produire une partie de ses avions directement en Chine - à Tianjin où plus d’une centaine d’A320 ont été assemblés par des travailleurs chinois depuis l’ouverture du site en 2008 - ou encore à Mobile, en Alabama (Etats-Unis), pour la fabrication de divers équipements sollicités par plusieurs de ses modèles, même si ces usines s’inscrivent dans une stratégie plus globale visant à s’implanter durablement sur ces deux marchés.

Cette hierarchie monétaire, si elle se poursuit, devrait de nouveau poser problème dans les années à venir. Car si l’euro est surrélevé par rapport au dollar, n’oublions pas que celui-ci l’est par rapport au yuan chinois. Et lorsque la Chine commencera à commercialiser son propre avion court-courrier, le Comac C-919 dont la date de mise en service est prévue pour 2016, la question perdurera. Preuve en est, Michael O'Leary, le PDG de Ryanair toujours à la recherche de réduction de coûts, a déjà manifesté son intérêt. Un véritable tremplin pour le challenger chinois lorsque l’on sait que la compagnie à bas coûts irlandaise frôle les 80 millions de passagers transportés en 2012.

Modèle allemand et modèle européen

Malgré tout, le consortium européen a réalisé pour plus de 22 milliards d’euros d’exportation depuis l’hexagone - le reste étant réparti entre l’Allemagne et la Chine - ce qui en fait le premier contributeur au commerce extérieur français en 2012. Un argument qui donne raison à Berlin de continuer à faire preuve d’inflexibilité. Une position soutenue récemment par Maria Fekter, ministre fédérale des Finances autrichienne, pour qui “un affaiblissement artificiel de l'euro est inapproprié”.

L’industrie allemande, réputée pour son haut de gamme, semble en meilleure santé que son homologue française. Cela fait maintenant 10 ans que le pays a entamé des réformes structurelles sous l’ère du social-démocrate Gerhard Schröder, un élan qu’a poursuivi Angela Merkel. Dénouement, alors que la France affiche 67 milliards de déficit commercial en 2012, l’Allemagne présente une balance de 188 milliards d’euros... d’excédent et un taux de chômage de 6,8% en janvier, soit l’un des plus faibles niveaux depuis la réunification du pays. En compensant cette compétitivité coût par une compétitivité structurelle, l’Allemagne - dont la banque centrale, la Bundesbank, a servi de modèle pour l’élaboration des statuts de la BCE - refuse de céder à l’argument selon lequel l’euro fort justifie toutes les difficultés de croissance. Elle privilégiera encore la voie des réformes qui ont fait son succès même si les mesures adoptées dans le pays - dont une compression des salaires - ne sont pas toutes applicables en France, notamment parce que la consommation est l’un des moteurs piliers de l’économie française.

Vers une adaptation de la politique monétaire ?

Alors que faire ? Les Japonais, qui ont élu en décembre dernier Shinzo Abe, ont fait plier leur banque centrale pour que celle-ci lâche du lest sur son objectif d’inflation - qui passe désormais de 2% à 1% - et se focalise davantage sur la croissance via un assouplissement monétaire couplé à un plan de relance de 175 milliards d’euros. Suite à cette nouvelle dynamique entreprise par la troisième économie mondiale, le gouverneur de la Banque du Japon a tout simplement écourté son mandat pour manifester son désaccord. Face à ce qui s’apparente à une remise en cause de l’indépendance de la banque centrale du pays, les craintes autour d’un regain de tensions sur les questions monétaires semblent ressurgir. Les Etats-Unis ont appelé le G20 à ne pas céder aux tentations de la “dévaluation compétitive” là où Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, très influente au sein de la BCE, n’a pas hésité à parler de risques de “guerre monétaire”.

François Hollande estime qu’il faut “agir au niveau international pour que nous puissions faire valoir nos propres intérêts”. Si la tâche s’annonce ardue, la coopération internationale entre les Etats - qui a constitué une force dans la gestion de la crise entre 2008 et 2010 - doit rester de mise pour la majorité des protagonistes. Alors que la situation semble s’apaiser en zone euro, certains souhaiteraient toutefois qu’elle adopte “une politique de change" afin de ne pas être soumise "aux humeurs des marchés” comme l’a précisé le président français. Ce à quoi Mario Draghi a rétorqué qu’”il ne faut jamais oublier que la BCE est indépendante”. Le message a le mérite d'être clair : la politique monétaire, ça vous concerne, mais c’est notre affaire.

Mais si la BCE s’est montrée relativement inflexible depuis quatre ans par rapport à ses consoeurs américaine, britannique et japonaise sur sa politique monétaire, c’est qu’elle cherchait avant tout à rassurer les marchés sur les efforts d’”assainissement structurels” des économies européennes. Mais Mario Draghi a entr’ouvert une porte quant à une éventuelle réflexion sur une politique de change en précisant que le taux de change “est important pour la croissance et la stabilité des prix. Preuve que le sujet fait son chemin et ne peut plus être ignoré, Jeroen Dijsselbloem, le nouveau président de l’Eurogroupe, souhaite que la question des politiques de change soit abordée lors du G20 qui se tient vendredi et samedi à Moscou. Si la croissance revient en 2014 comme l’espère le FMI, pourquoi ne pas espérer un assouplissement monétaire qui, couplée à une zone euro réformée, pourrait décupler l’effet sur l’activité et l’investissement ? Même si les Allemands resteront vigilants sur toute dérive budgétaire, Keynes, le vrai, n’est probablement pas encore mort.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !