Rapport de la Cour des comptes : le livre noir de la décentralisation et des collectivités locales <!-- --> | Atlantico.fr
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Comme chaque année, la Cour des comptes présente, mardi 12 février, son rapport sur la tenue des finances publiques.
Comme chaque année, la Cour des comptes présente, mardi 12 février, son rapport sur la tenue des finances publiques.
©flickr / pasukaru76

Fin d'un mythe

Dans son rapport publié ce mardi, la Cour des comptes épingle les dépenses des collectivités locales qui affichent en ces temps d'austérité un problème croissant de gestion.

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : La cour des Comptes publie ce mardi son rapport annuel sur les finances publiques avec un accent particulier sur la gestion des collectivités locales dont on sait qu’elles sont l’une des faiblesses des finances françaises. Comment expliquer que la gestion des collectivités locales soit à ce point problématique ? Quels en sont les principaux maux (confusion administrative, clientélisme, corruption, doublons ) ?

Jean-Luc Bœuf : En ces temps de contraintes financières, la gestion des collectivités locales ne peut qu’intéresser une institution telle que la Cour des comptes. Rappelons que, cumulés, les budgets des collectivités locales représentent plus de 11% du PIB ! La difficulté pour la Cour des comptes est qu’elle a affaire à – excusez du peu – plus de 60.000 collectivités. Naturellement, le regard se porte de façon plus accrue sur les plus importantes d’entre elles. Mais il n’empêche que, à un moment, il faut bien recoller les données si ce n’est les pots (cassés). Cela a été particulièrement visible pour les emprunts dits toxiques et, plus généralement, pour l’accès à l’emprunt des collectivités locales.

Les principaux maux sont liés à la complexité du système et aux doublons. Pour ce qui est de la complexité du système les « comparaisons européennes » nous « apprennent » que nous sommes dans la moyenne.  Certes… Cela veut simplement dire que, comme nombre d’Etats de l’Europe des 27, nous disposons de trois échelons dont les représentants sont élus au suffrage direct. On oublie juste les intercommunalités et ce que l’on appelle les élus désignés lors du « quatrième tour de scrutin » ; c’est-à-dire les organismes – plusieurs centaines dans chaque département – qui ne vivent que par les financements des collectivités. Le comble de l’absurde n’est-il pas atteint lorsqu’un conseil général désigne des représentants pour un comité de route nationale alors que ladite route a été transférée… au département et que le même organisme a au final plus de représentants que la commission des routes dudit conseil général . Non, Kafka n’est pas mort !

Pour les doublons, qui n’a pas l’exemple d’une ville ayant gardé son service de développement économique alors que la compétence a été transférée à intercommunalité et que, en plus, fait intervenir des sociétés d’économie mixte sur le même territoire.

S’agit-il de quelque chose de structurel ou de contextuel ? Est-ce une question de forme ou une question d’hommes ?

La question est éminemment structurelle. Elle provient très largement de la déconnexion entre la sphère de la vie économique réelle – les entreprises qui produisent de la richesse - et l’univers des collectivités locales. En effet, depuis des dizaines d’années, l’on assiste à un jeu malsain, une sorte de mistigri en fait, entre l’Etat, les acteurs économiques locaux – entreprises comme ménages – et les collectivités locales. Comment cela se passe-t-il concrètement? Celui qui prescrit la dépense – la collectivité locale – sait pertinemment que la facture finale sera équilibrée par l’Etat. Pour faire simple, l’Etat s’est acquitté en moyenne entre le quart et près de la moitié des impôts locaux.

Dès lors, ce n’est pas une question d’hommes mais de système. Et ce système, on en a encouragé sa complexité à chaque « tour de manège », si l’on qualifie ainsi les lois qui ponctuent la vie pôlitique française depuis plus de trente ans : d’un couple villes – départements il y a trente ans, on est passé à un ménage à quatre constitué des communes, des intercommunalités, des départements et des régions. Là où il y avait trois types d’intercommunalités il y a quelques années avec les commuautés de communes, les communautés d’agglomération et les communautés urbaines, le législateur a rajouté les métropoles et le pôles métropolitains il y a deux ans. Ce n’est pas fini puisqu’on nous annonce les communautés métropolitaines maintenant.

Comment pourrions-nous lutter contre les problèmes liés à la décentralisation à la française ? Cela passe-t-il nécessairement par la mise à mort du millefeuille administratif ? 

Prise de conscience et écoute du quarteron. Tels seraient les deux expression pour présenter des solutions simples. Prise de conscience partagée. Que l’Etat cesse de voir dans les collectivités locales des organismes dépensiers à tout crin et que les collectivités cessent de passer pour des martyres permanents sacrifiés sur l’autel des critères européens. Car l’Etat a pu se soulager utilement depuis trente ans sur les collectivités locales de politiques publiques coûteuses, en investissements comme en fonctionnement. Les collectivités ne peuvent exister que par les dotations de l’Etat. Aujourd’hui, il convient de limiter les co-financements et de recentrer chaque collectivité sur son cœur de métier.

Écoute du quarteron. Le quarteron de la décentralisation, c’est cet ensemble formé par le contribuable, l’usager, le citoyen et l’électeur. Le quarteron dans les territoires, c’est tout un chacun, avec ses demandes contradictoires (plus de services locaux mais moins d’impôts) mais surtout cette formidable nécessité d’expliquer et de rendre acceptables les choix publics. A cet égard, les élections locales de 2014 et 2015 peuvent être le laboratoire de projets validés par des conférences de consensus. Un prélude à une gestion transposable au niveau national et, partant, procurant les économies dont notre économie a besoin. Car une chose est sûre : les politiques de « je dépense donc je suis » ne sont plus ni acceptables ni possibles.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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