Christiane Taubira : l'effet superstar de la gauche passera-t-il la saison automne-hiver 2013 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"J'imagine pour elle une trajectoire à la Simone Veil"
"J'imagine pour elle une trajectoire à la Simone Veil"
©Reuters

Produit de l'année

Quelle que soit l'issue du débat sur le mariage pour tous, la grande gagnante populaire en sera inévitablement la ministre de la Justice Christiane Taubira. Quant à savoir si son talent d'oratrice et sa pugnacité la serviront dans la durée, rien n'est moins sûr.

Thomas  Guénolé et Josée Pochat

Thomas Guénolé et Josée Pochat

Thomas Guénolé est politologue à à Sciences Po, maître de conférence à Sciences Po et professeur chargé de cours à l'Université Panthéon-Assas.

Ses tribunes dans la presse et ses interventions télévisées portent principalement sur l'extrême droite, la droite, le centre et la crise de l'euro. Il a fondé en 2012 le Projet Constitution Liberté en partenariat avec OpinionWay."

Site internet :
thomas-guenole.fr

Josée Pochat est chef du service politique de Valeurs actuelles.

 

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Atlantico : Quel que soit le résultat du débat sur le mariage pour tous, celle qui en sortira comme la grande gagnante sera certainement Christiane Taubira dont la personnalité combative a été révélée au grand public. Cela peut-il s’inscrire dans le temps ou est-ce un phénomène contextuel ?

Thomas Guénolé : La première chose est que s'il prenait demain l'envie à Madame Taubira d'avoir des ambitions importantes, l'impact direct de sa candidature dans l'élimination de Lionel Jospin 2002 serait évoqué de nouveau dans le débat public. Il me semble aussi que Christiane Taubira est assez âgée et qu'elle a donc dépassé l'âge raisonnable pour une éventuelle candidature à la présidentielle. Elle aura 65 ans en 2017, c'est faisable mais c'est limite. Enfin, si son ambition est de faire quelque chose au sein du gouvernement et donc au sein de la majorité, il faudrait pour cela qu'elle quitte le parti radical pour le PS et pour moi, sans aucun indice dans ce sens, on est dans la pure conjecture. S'il s'agit en revanche d'avoir une position renforcée au sein du gouvernement, c'est tout à fait probable.

Josée Pochat : Ce qui est certain selon moi est que cette loi va s’inscrire dans le temps à cause de son importance et du fait qu’il n’existe même pas dans chaque quinquennat ou septennat un débat de cette importance. Il y a eu la peine de mort et l’avortement qui ont été de cette ampleur et chaque fois un nom y est resté associé, respectivement Badinter et Veil. Il y aura donc Taubira pour le mariage gay. Au-delà de cette dimension historique, ce débat a permis à Christiane Taubira de sortir de l’anonymat et du statut de second couteau qu’elle avait jusqu’à maintenant. Ce phénomène a été renforcé par le fait que, en dehors de Valls « le vice-président » comme il fut surnommé ou Montebourg dont la popularité varie et clive, aucun autre ministre de ce gouvernement n’a existé autrement que par des couacs ou des accusations d’amateurisme. Le premier ministre lui-même est taxé de ne pas imprimer, d’être invisible. Le sujet du mariage gay a tout de même cela de particulier qu’il est tellement passionnel qu’il coupe la France en deux parties tranchées. Cela a permis à madame Taubira d’acquérir une stature, une charge émotionnelle puissante dans son camps tout en crispant l’électorat de droite de manière inversement proportionnelle. Madame Taubira ne retombera donc pas dans l’anonymat mais il me semble qu’elle est au sommet de sa carrière .Le mariage pour tous est l’équivalent de l’unique tube d’un chanteur dont l’entière notoriété s’appuie là–dessus.

Indépendantisme, accusation de laxisme dans sa gestion des prisons: le passé polémique de madame Taubira peut-il la desservir ? Est-elle trop clivante ?

Thomas Guénolé : Il est certain que la question de l'indépendantisme et du communautarisme pourrait lourdement la desservir…Si ces éléments ressortent un jour dans le débat public, elle en paiera les frais en termes d'image et de réputation.En revanche, le discours qu'elle tient sur la politique carcérale du gouvernement n'est pas du tout susceptible de lui causer du tort. Au contraire ! Son discours c'est la réhabilitation du discours de gauche en matière de politique pénale et carcérale. C'est la seule qui réemploie ces idées qui prennent le contre-pied des thèses de droite et qui réaffirme donc les thèses de gauche. C'est un élément de popularité dans son camps et bien qu’elle ne puisse séduire la gauche de la gauche elle restaure par sa position les valeurs de la gauche. Pour elle, la politique pénale ne doit pas être du "tout répressif" : elle parle d'abord de la réinsertion et de son importance. C'est un élément porteur de son discours. Ainsi, elle met en avant les points faibles et les échecs de ce fameux "tout répressif" de la droite. Elle apporte des éléments au débat et son argumentaire est difficile à contrer. Son raisonnement consiste à mettre en avant le fait qu’il est paradoxal d’alourdir les peines alors que les prisons sont surpeuplées et que les juges, en pratique, du fait de cette même population, se livrent massivement un allègement des peines.  

Il me semble enfin – mais ce n'est qu'une hypothèse – que Christiane Taubira obtiendra à gauche, à l'issue, de cette réforme une sorte de magister moral comparable à celui de Robert Badinter qui avait fait passer la réforme sur la peine de mort. C'est-à-dire une sorte d'aura morale, une forme d'autorité au sens étymologique du terme. C’est-à-dire le fait que vous intimiez une forme de respect et de considération par rapport à ce que vous dites ou faites. A priori, j'imagine pour elle une trajectoire à la Simone Veil. Il y a d'un côté la femme qui a donné aux femmes le droit d'avorter et de l’autre, la femme qui a donné aux homosexuels les droits de se marier et d'adopter. C'est une situation assez symétrique.

Les qualités d’oratrice et la pugnacité que madame Taubira a révélé dans ce débat transforme profondément son image publique et les raisons de son choix comme ministre de la Justice. A-t-elle été placée là en tant que pièce maîtresse ou que fusible ?

Thomas Guénolé : Dans le microcosme politique, les qualités que vous évoquez lui étaient déjà tout à fait connues et je crois donc que François Hollande et Jean-Marc Ayrault n’en sont absolument pas surpris. Il me semble donc que ce choix de recrutement c’était un choix astucieux et réfléchi. Le mariage pour tous et les autres dossiers concernant la politique pénale et carcérale ont tous un point commun : c'est la réhabilitation du discours de gauche qui avait perdu du terrain par rapport au discours de droite. De fait, les positions les positions de madame Taubira connues pour être rigoureuses en matière de républicanisme, de laïcité et d’égalité des droits ainsi que son talent d'oratrice montrent selon moi qu'elle a été mise à ce poste car elle en avait le niveau. Ce n'est pas un fusible mais bien une pièce stratégique et accessoirement, sa présence permet de remplir le quota du nombre de ministres radicaux au gouvernement.

Josée Pochat : Je ne sais pas si l’analyse qui a mené au choix de madame Taubira comme ministre de la Justice est aussi machiavélique mais il est certain que sa combativité était déjà connue de ses proches. Cela peut crisper mais on ne peut pas lui reprocher d’être quelqu’un de mou ou de plat. Quant à savoir si elle est un fusible ou une pièce maîtresse  l’analyse est plus compliquée qu’il n’y parait. Ses premiers pas au gouvernement ont été très difficiles et son laxisme vis-à-vis de la politique carcérale lui a valu un recadrage qui l’a fait passer pour le boulet du gouvernement. Cela détonnait d’autant plus qu’à côté d’elle se tenait Manuel Valls qui a marqué de nombreux points à droite et à gauche de par sa personnalité intransigeante et ses effets d’annonce. Ils formaient une sorte de duo bon flic/mauvais flic mais dont le mauvais avait le beau rôle. Je ne crois donc pas que l’on puisse prédire sur un bout de cahier à Matignon quelles seront les réactions futures d’un ministre dans les différents dossiers dont il aura la charge.

Madame Taubira ne profite-t-elle pas simplement d’un phénomène d’aspiration dû au manque de personnalités fortes  au sein du gouvernement ? 

Thomas Guénolé : Il est systématique que dans un gouvernement les personnalités marquantes pour l'électorat se limitent à quelques personnes. Songez au gouvernement de Nicolas Sarkozy, sur l'ensemble du quinquennat, en dehors des polémiques, cinq personnes emblématiques au maximum ont marqué suffisamment pour que qui que ce soit puisse sans problème donner le nom de leur ministère. On peut faire la même démonstration  pour les gouvernements Raffarin et Villepin lors des présidences de Jacques Chirac.

Ces personnalités marquantes ne sont pas toujours celles auxquelles on aurait pu s’attendre, parfois c'est prévisible et parfois c'est inattendu. Et ce constat est valable dans n'importe quelle équipe ministérielle. De plus, il y a un procès en incompétence fait par la droite au gouvernement de gauche dû à un certain nombre d'erreurs des débuts du mandat qui l'ont favorisé. Il y a objectivement beaucoup de ministres novices ce qui est tout ce qu’il y a de plus normal après dix ans d’absence au pouvoir de la gauche.  En revanche, il n'y a pas un vide de compétence marqué dans ce gouvernement par rapports aux gouvernements précédents. Si je vous fais la liste des ministres de tel ou tel gouvernement, vous retrouverez la même proportion de débutants ou de personnes gaffeuses.  Songez par exemple à la gestion du ministère de la Justice par Rachida Dati… Le gouvernement de Nicolas Sarkozy était très actif et plus vous êtes actifs, plus il y a une part de gaffes. C'est valable pour tous les gouvernements. Ce qui met cela davantage en lumière dans le gouvernement de François Hollande, c'est que le thème central de la campagne présidentielle de 2012 était en substance un référendum pour ou contre Nicolas Sarkozy. Le premier terme du débat était clair, soit l'électorat de gauche voulait le sortir et sanctionner son comportement personnel et non son programme, soit il considérait que François Hollande n’avait pas la carrure et qu’il fallait donc garder le président en place. François Hollande n'était effectivement pas connu pour son charisme ni sa propension à taper du poing la table. C'était quelqu'un tourné vers la négociation et la conciliation ce qui n'était pas le profil habituel pour du leadership très monarchique et républicain façon 5ème République et pouvait donc inquiéter.

En conséquence, le doute est apparu chez la moitié de la population électorale dès le départ sur le fait qu'on est affaire à un chef de file qui ait la compétence. Par extension, on s'est posé la même question sur  l'ensemble du gouvernement. L'attention est donc plus forte que la moyenne quant aux couacs et  gaffes. Pourtant, si on les regarde de plus près,  on est dans le quota par rapport à tous les autres gouvernements, tout groupe confondu.

Josée Pochat : Il est bien certain que madame Taubira existe d’autant plus qu’elle existe au milieu du vide. Il s’agit là du même phénomène que celui qui touche Manuel Valls et Arnaud Montebourg, l’absence médiatique de la plupart de ministres donne à ces derniers une mise en lumière tout à fait exceptionnelle. Si l’évanescent Pierre Moscovici qui dirige Bercy en pleine crise économique voulait existait un peu plus, madame Taubira et ses confrères Valls et Montebourg seraient un peu moins visibles. Ils bénéficient tous les trois d’un climat général marqué par l’amateurisme, les couacs et la grande proportion de ministres novices. Cela va même jusqu’à la tête de l’état au sein de laquelle ni le premier ministre ni le président de la République n’ont été membre d’un précédent gouvernement avant leur mandat. Je crois bien qu’il s’agit d’un cas unique.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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