Démocraties occidentales contre fondamentalisme musulman : la guerre mondiale contre le terrorisme est-elle gagnable ? <!-- --> | Atlantico.fr
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La guerre globale contre le terrorisme n'est pas prête de s'achever.
La guerre globale contre le terrorisme n'est pas prête de s'achever.
©Reuters

Non conventionnel

François Hollande a assuré samedi que la France resterait au Mali le temps nécessaire pour que le terrorisme soit vaincu dans cette partie de l'Afrique. Mais la guerre globale contre le terrorisme, qu'elle renvoie à une expression politique et symbolique ou encore à l'idée d'un conflit de civilisation entre le fondamentalisme musulman et les démocraties occidentales, n'est pas prête de s'achever.

Alexandre Del Valle, Frédéric Bozo et Bruno Tertrais

Alexandre Del Valle, Frédéric Bozo et Bruno Tertrais

Alexandre del Valle est un géopolitologue renommé. Éditorialiste à France Soir, il enseigne les relations internationales à l'Université de Metz et est chercheur associé à l'Institut Choiseul. Il a publié plusieurs livres sur la faiblesse des démocraties, les Balkans, la Turquie et le terrorisme islamique.

 

Frédéric Bozo est professeur à la Sorbonne Nouvelle (Université Paris III) où il enseigne l’histoire contemporaine et les relations internationales. Ses travaux portent sur la politique étrangère et de sécurité de la France, les relations
transatlantiques et l’histoire de la guerre froide. Dernier ouvrage paru: La Politique étrangère de la France depuis 1945, Flammarion, coll. « Champs », 2012. Son prochain livre, à paraître en 2013, porte sur la crise irakienne de 2003 (Perrin).

Bruno Tertrais est politologue, Maître de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS). Il a été Chargé de mission auprès du Directeur des affaires stratégiques du ministère de la défense (1993-2001), Chercheur invité à la RAND Corporation (1995-1996), et Directeur de la Commission des affaires civiles à l’Assemblée de l’OTAN (1990-1993).

En 2007-2008, il était membre de la Commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale nommée par le président Sarkozy, et membre de la Commission du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne. Dernier ouvrage paru : L’apocalypse n’est pas pour demain. Pour en finir avec le catastrophisme (Paris : Denoël, 2011).

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Atlantico : Existe-t-il aujourd'hui une guerre opposant le fondamentalisme musulman aux démocraties occidentales ? Quelle est-elle ? 

Alexandre del Valle : Cette guerre est une guerre qui ne peut se comprendre que si nous la remettons dans son objectif global. Cette guerre n'est pas uniquement une guerre contre l'Occident. Il s'agit d'une guerre qui ne concerne au départ que les pays musulmans et qui a pour objectif de la ré-islamiser des pays musulmans, remettre la charia en oeuvre et liquider tous les infidèles et les apostats ainsi que les mauvais musulmans. L'Occident est considéré comme un ennemi suprême car il a occupé une partie de la terre d'islam et parce qu'il l’occupe toujours. En effet, les sionistes sont considérés comme l'équivalent de colonialistes occidentaux. L'Occident est perçu comme celui qui aide les ennemis intérieurs de l'islam. C'est principalement à ce titre que l'Occident est un ennemi. 

Tout territoire qui fut conquis par la charia et l'Islam doit redevenir un Etat de la Oumma et du Califat. Il pourra néanmoins exister des zones non-musulmanes, la jurisprudence islamique l'a toujours accepté.  D'ailleurs lors des attentats d'Al Qaïda à Madrid, l'une des revendications avancée était celle d'un vieux compte à régler avec l'Espagne depuis l'an 711 lorsque cette dernière avait été conquise par l'islam.

Par ailleurs, l'Occident apparaît comme un ennemi également en raison de son soutien au sionisme et des guerres entreprises en territoire musulman. L'idée étant qu'un Occidental ne peut pas pénétrer dans la péninsule arabique  en territoire saint et ne pas porter une arme contre un musulman. Dans la mentaliste islamique, il n'y a rien de pire qu'un infidèle qui vient vous dominer et quand bien même il s'agit de vous libérer, il ne peut pas avoir de supériorité militaire sur vous. 

Après le 11 septembre 2001, les Etat-Unis se sont lancés dans une guerre contre le terrorisme. Comment cette guerre a-t-elle évolué ? En quoi peut-on la qualifier de guerre mondiale ?

Alexandre de Valle : Les Etats-Unis ont des alliances avec les pays musulmans du golfe producteurs de pétrole. Pour cette raison, ces zones sont sensibles et ont entraîné des actions militaires de la part des Etats-Unis. En conséquences, des opérations terroristes ont été déclenchées par les islamistes qui s'en prennent aux intérêts américains. Les Américains sont donc obligés de riposter et cette interaction n'en finit plus. Cette opération de guerre contre le terrorisme entraîne davantage d'actions militaires en terres musulmanes ce qui renforce la perception de néo-colonialisme qui est intelligemment véhiculée par les islamistes. 

En quelque sorte les islamistes attendent les invasions occidentales car cela leur fournit un prétexte et légitime et alimente l'idée d'une guerre des civilisations. Je ne dirais pas que les Américains sont tombés dans un piège car il faut bien se défendre mais quelque part c'est ce que recherchait les islamistes.  Si l'on n'agit pas, cela va à l'encontre de nos intérêts et lorsque nous agissons nous sommes accusés d'être néo-colonialistes ce qui permet de mobiliser des masses. 

Frédéric Bozo : L’appellation de "guerre globale contre le terrorisme" qui est apparue au lendemain du 11 septembre 2001 était en soi un parti pris dans la réponse à donner à ces événements. Le choix sémantique qui est fait alors par les Américains recouvre en fait un choix stratégique consistant à donner à l’événement une signification qu’il n’avait pas nécessairement. Cela signifie également implicitement que la lutte contre le terrorisme passera avant tout par des moyens militaires—par la guerre...

Le choix sémantique consistant à parler de "guerre globale contre le terrorisme" donnait donc à ces attentats un statut historique qui appelait une réponse à la mesure du défi. La réaction américaine, de ce fait, choisissait d’être massive et globale plutôt que discriminée.

C’était d’ailleurs tout l’enjeu du débat franco-américain à l’époque. Une semaine après les attentats, Jacques Chirac alors président de la République avait rencontré le président Bush. Lorsque la presse interroge Chirac après son entretien sur ce qu’il pense de l’idée d’une guerre globale contre le terrorisme, il répond qu’il n’est pas sûr qu’il faille parler de "guerre". Si le 11 septembre a marqué un changement d’ère, c’est davantage en raison de la réaction qu’il a été choisie de lui donner qu’en raison de l’événement lui-même.

Bruno Tertrais : L’expression "guerre mondiale contre le terrorisme" n’a pas été reprise par l’administration Obama. Mais il ne s’agit que d’un changement rhétorique et symbolique, car du point de vue des stratégies et des techniques, rien n’a changé entre le 19 et le 21 janvier 2009 [c’est-à-dire avec l’entrée en fonctions d’Obama].

Cette guerre se voulait mondiale au sens où l’ennemi que l’on entendait traquer était "l’ensemble des groupes terroristes de portée mondiale", c’est le discours que George Bush avait tenu devant le Congrès en 2001. Il ne s’agissait pas de déclarer la guerre à l’ensemble des réseaux terroristes en l’espèce, et encore moins au terrorisme dans son ensemble, mais plutôt de cibler prioritairement Al-Qaïda au travers de partenariats et d’actions, militaires mais aussi non militaires sur n’importe quel point de la planète.

Au final, le résultat principal de cette "guerre contre le terrorisme" a été le démantèlement d’Al-Qaïda en tant qu’organisation structurée de portée mondiale. De ce point de vue, on peut parler d’une réussite même si le coût peut être discutable. Une part importante de cette réussite est due au fait que les populations des pays à majorité musulmane ont rejeté ces organisations.

La France a toujours rejeté cette expression. En 2001, lorsque Jacques Chirac rencontre George Bush après le 11 septembre, il refuse publiquement, pendant la conférence de presse commune, de l’approuver, ce qui marque le début de la crise entre Paris et Washington. Mais attention : lorsqu’en 1986, le même Jacques Chirac alors Premier ministre, s’était vu demandé si la France était en guerre, il avait répondu : "naturellement la France est en guerre". A l’époque il y avait un attentat par jour à Paris. Dès lors qu’elle était visée directement, la France n’avait aucune hésitation à parler de guerre, même s’il ne s’agissait pas d’une guerre au sens militaire. Nous sommes donc dans le symbolisme. Au demeurant, si la France était directement visée comme les Etats-Unis en 2001 et si elle avait les mêmes moyens que les Etats-Unis, se comporterait-elle de manière très différente ? Je n’en suis pas sûr...

Qu’en est-il de la situation actuelle ? Sommes-nous toujours dans une guerre mondiale contre le terrorisme ?

Frédéric Bozo : Oui et non. Au fond l’absurdité de décréter une guerre globale contre le terrorisme est apparue avec la guerre d’Irak en 2003 présentée comme un front de ce combat. Le fiasco américain en Irak a montré à quel point il était absurde de faire de l’Irak un ennemi dans la guerre contre le terrorisme. Saddam Hussein n’était pas un auxiliaire du terrorisme mais l’intervention américaine a transformé l’Irak en un foyer de terroristes.

En 2008, lors de sa campagne, Obama estime que la guerre légitime est celle d’Afghanistan, l’erreur étant l’Irak. Pour autant, a-t-il rompu avec l’idée et la rhétorique d’une guerre globale contre le terrorisme ? Je pense que non. Obama a recentré cette idée et en a évacué les aspects les plus contestables, mais il n’a pas rompu avec l’idée que le terrorisme est une cible cohérente. Ce qui est une erreur puisque le terrorisme n’est pas un camp politique, il s’agit d’un mode d’action qui concerne des acteurs et des situations extrêmement hétérogènes.

Dans le cas de l’intervention de la France au Mali, le gouvernement n’a pas explicitement parlé de guerre globale contre le terrorisme, mais nous sommes encore marqués par cette rhétorique qui consiste à globaliser et à systématiser l’enjeu. Pourtant le gouvernement aurait très bien pu justifier son choix selon d’autres catégories, y compris le soutien aux régimes amis africains par exemple, même si le risque était de retomber dans la "Françafrique"…

Cela pose donc la question des objectifs français. S’agit-il d’éradiquer le terrorisme au Sahel ? Est-ce une variante locale de la guerre contre le terrorisme ou allons nous davantage considérer la situation locale en estimant que c’est avant tout à cette échelle que la situation se règlera ? Cette deuxième hypothèse serait tout même plus proche de l’approche française...

Bruno Tertrais : Au Mali nous sommes en guerre contre DES groupes terroristes, et notamment contre AQMI, qui s’est déclaré ennemi de la France il y a déjà plusieurs années. Il existe une intersection entre la lutte contre le terrorisme et la guerre que nous conduisons actuellement au Mali. Néanmoins, la lutte contre le terrorisme menée par la France ne se limite pas à cela… et la guerre menée par la France au Mali n’a pas pour unique but de combattre des groupes terroristes.

Si l’on veut faire la comparaison entre l’année 2001 et l’année 2013, en 2001 vous avez un Etat qui est de fait un sanctuaire terroriste avec l’assentiment de son gouvernement – c’est l’Afghanistan – alors qu’en 2013, on veut justement éviter que les terroristes s’emparent d’un Etat. C’est la différence entre les Talibans qui refusent de livrer Ben Laden et le gouvernement du Mali qui appelle la France à l’aide. Dans les deux cas, il s’agit de traiter le problème de la "sanctuarisation" du terrorisme, mais entre Kaboul qui refuse de livrer Ben Laden après une attaque massive sur le sol américain et Bamako appelle à l’aide alors que les colonnes de djihadistes foncent vers le sud, les situations sont toute de même très différentes..

Comment gère-t-on une telle guerre sur le moyen voire long terme ? Avec quelles méthodes ? En quoi une "guerre contre le terrorisme" est-elle gérée différemment par rapport à une guerre dite classique ?

Alexandre del Valle :Je ne crois pas à cette idée de guerre globale car une guerre doit désigner une menace et ennemi. Cette menace doit être incarnée et l'ennemi désigné. Ce concept de guerre globale est un concept médiatique et politiquement correct du point de vue de la formulation. Je pense que l'on parle en fait d'un totalitarisme islamiste qui utilise la terreur pour susciter l'attention des médias. Il ne s'agit pas de mouvements terroristes isolés de type nihilistes comme il y en a eu au 19 e siècle, c'est une génération de terroristes qui s'appuie sur l'idée d'un choc des civilisations et ils font tout pour accélérer ce choc des civilisations. Des deux côtés, nous observons des radicalisations : le monde musulman est de plus en plus perçu comme hostile et de l'autre côté en raison des interventions occidentales (qui parfois sont légitimes), une perception de l'occident néo-colonialiste qui attaque le monde musulman et qui humilie l'islam. Il s'agit d'une guerre dont nous ne sommes pas prêts de voir la fin. De plus, le conflit israélo-palestinien est tellement présent du point de vue médiatique et il s'agit d'une cause existentielle pour les régimes musulmans mais aussi pour les terroristes qui tous instrumentalisent cette cause. 

On ne voit pas comment nous pourrions réduire cette perception ultra-diabolisée de l'Occident. Car l'islamisme radicale existe bel et bien toujours, nous l'avons bien vu à la suite des révolutions arabes. 

Frédéric Bozo : Je pense simplement qu’on ne le peut pas et que ce concept n’a pas de sens. L’erreur des Américains a été de systématiser et de globaliser une menace, ce qui n’a fait que donner un statut supérieur aux terroristes du 11 septembre. Les groupes terroristes sont des acteurs très différents et on ne peut pas les mettre dans le même sac...

Bruno Tertrais : Il est difficile d’apporter une réponse à cette question car il s’agit là, encore une fois, d’expressions avant tout politiques et symboliques, qui n’évoquent pas un contenu précis mais une détermination politique. D’ailleurs, même sous Bush, Washington cherchait une expression de remplacement… Tout le problème  de l’expression "guerre contre le terrorisme" est qu’elle donne à penser qu’il s’agit d’un combat essentiellement militaire, alors que cette expression, même aux Etats-Unis, devait être entendue au sens symbolique. Les moyens de police, de justice et de renseignement, voire l’assistance économique et politique, étaient tout autant essentiels.

Partage-t-elle des caractéristiques précédemment attribuées à la Guerre froide ?

Frédéric Bozo : Les choix stratégiques qui ont été faits par les Etats-Unis dans la guerre contre le terrorisme sont au fond du même ordre que ceux qui ont été pris lors de la Guerre froide. A l’image de la Guerre froide en 1947, les Américains ont choisi de dramatiser une situation, de systématiser un conflit, de le globaliser, et du coup de le pérenniser.

En 2001, les conseillers de Bush ont clairement en tête les débuts de la Guerre froide et estiment qu’il faut marquer un changement d’ère. Cette dramatisation a deux causes. D’une part, en politique intérieure, il s’agit de mobiliser et de préparer l’opinion publique américaine à une intervention militaire qui nécessite d’établir un discours manichéen (on se souvient du discours de George Bush en 2002 sur "l’Axe du mal"). D’autre part, des raisons de politique internationale justifient également ce choix. Il s’agit de remodeler l’ensemble de la politique étrangère américaine autour de ce conflit qui est une sorte de croisade contre le mal, comme au temps de la Guerre froide, afin de transformer le Moyen Orient et le système international.

Bruno Tertrais : Cette comparaison m’a toujours semblé exagérée. Néanmoins, il est possible de comparer la Guerre froide et la guerre contre le terrorisme à trois niveaux. Tout d’abord, le type de menace qu’elles ont fait peser sur les Etats-Unis et les pays occidentaux en général. Pendant plusieurs années, l’idée selon laquelle le terrorisme pouvait faire peser une menace existentielle sur les Etats-Unis était une idée assez populaire, notamment avec le terrorisme nucléaire. Je pense que c’est une exagération, alors que la Guerre froide, pour sa part, faisait belle et bien peser une menace existentielle sur les Etats-Unis.

Il est également possible de comparer ces deux guerres en termes de longueur. Ceux qui faisaient cette comparaison estimaient que la guerre contre le terrorisme durerait plusieurs décennies. Avaient-ils raison ou tort ? Encore une fois tout dépend comment nous mesurons le succès de cette guerre. Si l’on considère qu’Al-Qaïda en tant qu’organisation constituée n’existe plus, alors je dirais qu’il a fallu dix ans. La Guerre froide a duré, quelque soit son acception – la guerre froide "courte" de 1947 à 1962, ou la guerre froide "longue" jusqu’en 1991 – plusieurs décennies.

Le troisième élément de comparaison porte sur la nature de l’adversaire. Ceux qui voyaient les Soviétiques comme le mal incarné sont enclins à considérer que la comparaison peut avoir du sens. Mais force est de constater que l’on avait pu, avec les Soviétiques, s’entendre pour codifier et réguler l’affrontement. A l’évidence, nous ne pouvons pas le faire avec des terroristes djihadistes.

Peut-on venir à bout de ce type de conflit ? Quelles seraient les raisons qui pourraient pousser les parties prenantes à "déposer les armes" ?

Frédéric Bozo : On ne peut pas venir à bout de la Guerre contre le terrorisme. Décréter une guerre contre le terrorisme, s’est s’engager dans une guerre sans fin puisque le terrorisme n’est pas un acteur, c’est une modalité d’action d’acteurs extrêmement différents les uns des autres dans leurs motivations. Ça n’a pas de sens et ça n’a pas de fin.

Bruno Tertrais : C’est là la limite du concept de guerre contre le terrorisme car la mesure du succès ne se manifestera pas par une conquête militaire ou par un accord de reddition. On ne peut avoir les mêmes critères de réussite que dans un conflit militaire.

Par définition, la guerre contre le terrorisme dans son acception large est ce que j’avais appelé en 2004 une "guerre sans fin". Aucun président américain ne peut garantir à sa population que la menace terroriste n’existe plus. Mais si par guerre contre le terrorisme, on entend la guerre contre Al-Qaïda en tant qu’organisation centrale structurée de portée mondiale, alors cette guerre est terminée. Il n’y a pas eu d’attentats majeurs dans les pays occidentaux depuis les attentats de Londres. C’est une belle réussite.

Un changement dans l’équilibre géopolitique mondial pourrait-il changer la donne ? Pourrait-on imaginer que nos ennemis d’aujourd’hui deviennent nos alliés de demain ?

Alexandre del Valle :On gagne difficilement ce genre de guerre puisqu'il ne s'agit pas d'une guerre mais d'un choc de civilisations. Même si nous n'y croyons pas, il existe de facto, un choc des civilisations qui passe pour beaucoup par une radicalisation de la perception de l'Autre. Cette guerre se gagne donc à deux. Si de l'autre côté nous continuons à être perçu comme fondamentalement négatifs et à détruire, nous ne pourrons pas gagner cette guerre. Elle ne se gagnera que par l'éducation et non pas par l'intervention militaire. 

Le tout sécuritaire n'est pas suffisant : il faudra que les uns et les autres tolèrent l'existence de la différence. Les masses islamistes devront accepter l'existence de chrétiens, de juifs, de mécréants, d'athées, et nous en sommes très loin. D'un autre côté, les Occidentaux devront se rendre compte qu'il n'y a pas que des islamistes et que les premières victimes du fondamentalisme sont les masses musulmanes. 

Je crois que la seule manière de discréditer les islamistes sera l'exercice du pouvoir qui forcément corrompt et déçoit pour que leur légitimité s’amenuise, parce qu'aujourd'hui l'islam - et pas l'islam baba cool - est perçu comme la solution.Quand les populations auront vu que les islamistes peuvent être aussi corrompus que des nationalistes laïques comme Saddam Hussein, nous serons alors au début d'une nouvelle ère. 

Le terrorisme islamique sera vaincu mais par les occidentaux car il s'agit avant tout d'une maladie qui ronge le monde musulman. 

Frédéric Bozo : C’est déjà le cas car le problème majeur des Etats-Unis après le 11 septembre c’est que leurs amis étaient leurs ennemis. Par exemple, le Pakistan, allié historique des Etats-Unis, soutenait les Talibans et n’était donc qu’un allié à temps partiel. On pourrait aussi parler de l’Arabie Saoudite… Etant donné la nature de la guerre contre le terrorisme, certains acteurs sont par définition ambivalents et ne rentrent pas facilement dans des cases…

Bruno Tertrais : Un adversaire potentiel peut être un allié objectif et temporaire, comme l’Union soviétique pendant la Seconde guerre mondiale, ou la Chine pendant la guerre froide. Pour ce qui concerne la  "guerre contre le terrorisme", on avait cru un temps en 2001, que l’Iran pourrait être un allié objectif contre le djihadisme sunnite ; mais dans ce pays complexe, certaines factions n’avaient pas voulu faire ainsi le jeu des Etats-Unis, et les partisans de la coopération avec les pays occidentaux ont toujours été minoritaires. Les djihadistes arabes étaient nos alliés objectifs dans l’Afghanistan des années 1980 – et non, comme on le croit à tort, des créatures des Etats-Unis. Mais bien des choses ont changé depuis : leur radicalisation, leurs méthodes, leurs objectifs, tout ceci exclut absolument qu’ils puissent être demain des alliés des Occidentaux dans quelque autre combat.

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