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Pourquoi le conflit malien est bien plus qu'une lutte contre le terrorisme
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Au-delà des apparences

Réduire l'intervention au Mali à une lutte contre le terrorisme est une erreur, et c'est se tromper de guerre de ne pas voir la triple ligne de fracture que révèle le cas malien : entre la démocratie et le développement, entre la démocratie et le respect des minorités, et entre le développement économique et le piège des ressources naturelles.

Jean-Joseph Boillot

Jean-Joseph Boillot

Jean-Joseph Boillot est agrégé de sciences économiques et sociales et Docteur en économie.

Il est spécialisé depuis les années 1980 sur l'Inde et l'Asie émergente et a été conseiller au ministère des Finances sur la plupart des grandes régions émergentes dans les années 1990. Il est aujourd'hui chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et coprésident du Euro-India Group (EIEBG).

Son dernier livre :  "Utopies made in monde, le sage et l'économiste" paru chez Odile Jacob en Avril 2021.  
Il est également l'auteur de "L'Inde ancienne au chevet de nos politiques. L'art de la gouvernance selon l'Arthashâstra", Editions du Félin, 2017.   et de "Chindiafrique : la Chine, l'Inde et l'Afrique feront le monde de demain" paru chez Odile Jacob en Janvier 2013.

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"La main de celui qui donne est au-dessus de celle qui reçoit." Ce proverbe africain illustre bien l'enjeu de l'intervention de l'armée française au Mali. De quel côté penchera la main de la France ? Les conclusions du livre "Chindiafrique" sont sans ambiguïté : l'Afrique va rejoindre sur le plan démographique les géants chinois et indien dans les 30 prochaines années. Mais va-t-elle les rejoindre sur une trajectoire de renaissance comme l'espère tant sa jeunesse, ou prendre le chemin chaotique des crises politiques, environnementales et de la corruption associée à la maladie des ressources naturelles ?

Telle est le véritable enjeu de la crise malienne qui dure en réalité depuis l'indépendance en 1960, et qui met toujours ce pays dans le peloton de queue de l'échelle du développement humain (143e sur les 177 pays du Pnud) : l'indice de fécondité est encore de 6,6 enfants par femme et l'espérance de vie ne dépasse pas 49 ans.

Enjeu pour nous aussi, car comme le dit si bien Michel Foucher, directeur des études à l'institut des hautes études de Défense nationale, "la crise présente rappelle l'unité de cette région saharo-sahélienne dont les évolutions affectent en retour le Maghreb et l'Europe voisins. Le Sahara n'est plus une frontière". Notamment pour les flux migratoires vers l'Europe dont on ne dit jamais assez à quel point le trafic des migrants est au moins aussi important aujourd'hui que ceux de la drogue ou des armes dans cet espace criminalisé où l'islam a bon dos.

Il y a bel et bien en effet une supercherie à tout ramener à une lutte contre le "terrorisme glocal-islamiste", un peu comme on l’a vu hélas en Irak ou en Afghanistan.Et c'est se tromper de guerre de ne pas voir la triple ligne de fracture que révèle le cas malien. D'abord entre la démocratie et le développement économique et social, ensuite entre la démocratie et le respect des minorités, et enfin entre le développement économique et le piège des ressources naturelles que recèle cet immense espace saharien.

Sur le premier point, qu’a-t-on exigé du capitaine Amadou Haya Sanogo qui a interrompu brutalement en mars 2012 le processus démocratique des élections présidentielles en renversant le président ATT ? Ce dernier avait certes renversé lui-même un président en 1991, mais la démocratisation progressive du pays avait mis fin à une succession de régimes autoritaires (Modibo Keita) ou dictatoriaux (Moussa Traoré). Au point que l’arrivée démocratique au pouvoir d’Alpha Oumar Konaré en 1992 avait coïncidé avec une amélioration indéniable de la situation économique et sociale et du dialogue intercommunautaire, en particulier avec les Touaregs. L’éducation primaire devenait une priorité nationale, la croissance était sur un trend de 5%, et le Mali était nettement remonté dans l’indice global de l’environnement économique mesuré par les équipes de Goldman Sachs.

Ce qui m'amène au deuxième point : la difficile transition démocratique dans ces Etats héritiers d'un découpage colonial dont la France gaulliste avait le secret. Bien que la population du Mali ne soit que de 13 millions d'habitants, ils sont égrenés sur 1,2 million de kilomètres carrés et éclatés en au moins six groupes nationaux (sans compter les sous-groupes comme chez les Mandés majoritaires), dont les fameux Touaregs totalement marginalisés. Représentant moins de 10% de la population, ces peuples arabo-berbères appartiennent à ce monde du Bled el-Beïdan (le pays des Blancs) par opposition au Bled el-Sudan (le pays des Noirs). Ne nous trompons pas de cible : les Touaregs ne sont pas des islamistes fondamentalistes mais un peuple minoritaire (1,5 millions d'habitants) dispersé sur quatre ou cinq pays et que les massacres réguliers, notamment de l'armée malienne, n'ont cessé de pousser dans les bras du "gangstéro-jihadisme". Pourquoi l'accord de Tombouctou de 1992 n’a-t-il jamais été mis en œuvre notamment ? Faut-il s'étonner dès lors de la radicalisation du nord ?

Exiger en échange d’une chasse aux gangsters la construction d'un espace démocratique respectueux des minorités sera-t-il suffisant ? Non, car comme le dit le prix Nobel de la paix, Wangari Maathai, les trois fléaux de l'Afrique sont le tribalisme, le clientélisme, mais aussi la corruption. Or il y a bien sûr un enjeu majeur dans le partage du pouvoir au Mali : le contrôle des ressources qui sont gigantesques dans le cas du Sahara, Areva et Total notamment en savent quelque chose. Ces ressources peuvent être ici les germes du décollage de l'Afrique, mais elles peuvent également en être le cercueil. Il faut de ce point de vue que les autorités de Bamako rejoignent au plus vite ces initiatives importantes appuyées par des personnalités comme Joseph Stiglitz pour l'ITIE (Initiative pour la transparence des industries extractives) ou encore l’initiative "Matières Premières" de l’Union européenne lancée en 2008.

On retrouve ici le fameux trépied de Wangari Maathai : espace démocratique, gestion durable et équitable de l'environnement et des ressources, et enfin culture de la paix. Car comme le dit lui-même le général américain Carter Ham, commandant de l’Africom, une approche uniquement militaire est vouée à l'échec au Mali. Le Mali a d’abord besoin d'une solution politique et la main de la France devra être celle qui donne pour recevoir, et recevoir bien sûr les dividendes de la paix et du développement . En dépit d'un chemin qui restera heurté, je reste confiant dans la jeunesse africaine qui saura imposer cette trajectoire de la renaissance. A la France de choisir son camps.

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