Choc pétrolier : la révolution énergétique américaine va-t-elle ruiner l’Europe ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Quelle pourra être la capacité de production de gaz de schiste américain d’ici 2020 ?
Quelle pourra être la capacité de production de gaz de schiste américain d’ici 2020 ?
©Reuters

Mélodie en sous-sol

L'indépendance énergétique de la puissance américaine annoncée pour 2020 devrait entraîner un retrait du Moyen-Orient et pose la question de l'approvisionnement en pétrole du Vieux Continent.

Patrice  Geoffron

Patrice Geoffron

Patrice Geoffron est professeur à l’Université Paris-Dauphine et directeur du CGEMP (Centre de Géopolitique de l’Energie et des Matières Premières).

Il vient récemment de publier "Avenir Energétique : Cartes sur tables" (Folio-Gallimard) en 2012 avec J.M.Chevalier et M.Derdevet.

 
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Atlantico : L'exploitation du gaz de schiste devrait permettre aux Etats-Unis d'acquérir leur indépendance énergétique d'ici 2020. Quelles conséquences cette indépendance va-t-elle avoir sur l'environnement géopolitique ?

Patrice Geoffron : Les Etats-Unis vont effectivement se retrouver indépendants en matière d’hydrocarbures du fait de leurs ressources non conventionnelles (notamment gaz de schiste), mais également des réserves importantes du voisin canadien. Cette évolution laisse envisager une situation géostratégique totalement inédite. Cela pourrait signifier un moindre engagement au Moyen-Orientoù Washington sécurise, notamment,  le détroit d’Ormuz par lequel transite 20% du pétrole mondial et dont la proximité avec l’Iran pose un problème récurrent à l’administration Obama. Et rien n’indique, à ce stade, que la Chine pourrait concourir à la stabilité de cette région…

Une autre interrogation porte sur la capacité d’exportation gaz de schiste américain (sous forme liquéfiée) vers l’Europe et l’Asie. Pour notre continent, cette perspective viendrait encore complexifier le jeu gazier, au moment même où les gazoducs se multiplient entre la Russie et l’UE. Et, même si cette ressource ne traversait l’Atlantique  qu’en volume limité, le charbon américain serait « déversé » vers l’Europe (car en partie remplacé par le gaz pour produire de l’électricité). A l’évidence, les effets en chaîne de cette révolution nord-américaine sont aussi nombreux … que délicats à décrypter.

L’Europe ne va-t-elle pas devoir déployer en conséquence une politique de sécurisation de son approvisionnement en pétrole ? 

Le fait que les Etats-Unis s’autonomisent invite logiquement les dirigeants européens à questionner leur propre sécurité d’approvisionnement énergétique, en particulier dans la perspective d’une nouvelle géopolitique pétrolière dans le Golfe. La transition énergétique amorcée en Europe doit permette de contenir nos besoins (via l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables). Mais nous ne pourrons nous passer de pétrole avant de nombreuses décennies, de sorte que nous devrons aussi faire l’inventaire des ressources en énergies fossiles (notamment gaz de schiste) disponibles dans les frontières de l’Union et qui constituent, en quelque sorte, un « stock stratégique ».

Au-delà du débat sur le danger de l’extraction via les actuelles de fracturation, il est en effet important de pouvoir apprécier nos réserves pour faire face aux incertitudes des décennies à venir. En outre, la connaissance plus précise de ces réserves peut constituer un argument dans la négociation des contrats de long terme d’approvisionnement en gaz avec nos fournisseurs.

Le retard pris par l'Europe en la matière n'est-il pas justement préjudiciable sur le plan stratégique alors que le prix du pétrole traditionnel risque de flamber à nouveau ?

Il est difficile de parler de retard dans des industries lourdes dont les cycles de déploiement s’apprécient sur plusieurs décennies (d’autant que de nombreuses entreprises françaises sont très actives aux Etats-Unis et affinent donc leur savoir-faire sur ce terrain). Et, très prosaïquement, les ressources de notre sous-sol seront toujours disponibles après 2020… et nous pourrons alors envisager de les exploiter avec des technologies plus fiables et sur la base d’un (éventuel) consensus qui n’existe pas pour l’heure.

Même dans l’hypothèse où le développement du gaz de schiste serait autorisé demain, une telle décision n’aurait pas d’effet sur la sortie de crise en 2013 ou 2014. À bien des égards, la situation européenne diffère de celle qui prévaut aux Etats-Unis et il ne faudrait pas escompter que la donne soit changée en quelques années. Mais, en revanche, il est important de déterminer le potentiel géologique européen en hydrocarbures non conventionnels, qui sera un des paramètres de notre sécurité collective dans ce demi-siècle.

Face à ces bouleversements une harmonisation des politiques énergétiques européennes dans le but d'établir une stratégie commune n'est-elle pas souhaitable ?

Oui… vingt-sept fois oui ! L’Europe est aujourd’hui dans une situation très paradoxale : l’Union est la zone du Monde qui a la politique la plus volontariste en matière de transition énergétique (-20% d’émissions de CO2 en 2020, -80% en 2050), mais la t pratique de cette transition reste largement du ressort des Etats de sorte que la fragmentation – voire la cacophonie – dominent. L’absence de coordination dans les décisions est plus patente encore depuis Fukushima et ses conséquences en chaîne, notamment avec la décision allemande de sortie du nucléaire.

Face à la puissance de l’industrie chinoise et des laboratoires de recherche des Etats-Unis, la position pionnière des Européens pourrait ne pas déboucher dans les prochaines décennies sur un leadership dans les filières industrielles à « bas carbone », ce qui serait douloureuse ironie de l’Histoire

 Propos recueillis par Théophile Sourdille

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