Judokate voilée aux JO : les valeurs olympiques sont-elles bafouées ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La judokate Wodjan Ali Seraj Abdulrahim Shahrkhani, l'une des deux premières Saoudiennes présentes aux JO, qui insistait pour combattre voilée, pourra monter sur le tatami la tête couverte.
La judokate Wodjan Ali Seraj Abdulrahim Shahrkhani, l'une des deux premières Saoudiennes présentes aux JO, qui insistait pour combattre voilée, pourra monter sur le tatami la tête couverte.
©Reuters

Voili, voilou

Le Comité Olympique a décidé d'autoriser la judokate saoudienne Wodjan Ali Seraj Abdulrahim Shahrkhani à monter ce vendredi la tête couverte sur le tatami.

Thierry Rambaud

Thierry Rambaud

"Thierry Rambaud est professeur de droit public à l'Université Paris Descartes et à Sciences Po (Paris). Ancien membre de la Commission de réflexion juridique sur les rapports entre les pouvoirs publics et les cultes (Ministère de l'Intérieur), il est également expert auprès du Conseil de l'Europe. 

Il a rédigé une étude à paraître en novembre-décembre 2017 sur la notion de politique publique de gestion du religieux. Il a également engagé un programme de recherche sur les liens entre droit public, theologie et droit canonique dans la littérature juridique allemande au XXème siècle dont la première étape va paraître aux États-Unis (en lien avec l'université Notre-Dame)."

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Atlantico : Après la FIFA qui a levé l'interdiction de porter le voile pour les footballeuses féminines, le Comité international olympique vient d'autoriser une judokate saoudienne, Wodjan Ali Seraj Abdulrahim Shahrkhani, à porter un voile islamique. N'est-ce pas en contradiction avec les valeurs du sport, censé être a-religieux et laïc ?

Thierry Rimbaud : La décision qui vient d'être prise sur le port du hijab peut surprendre. Il faut néanmoins donner deux éléments de contexte :

  • C'est la première participation de deux femmes saoudiennes aux Jeux olympiques. C'est donc une étape importante que les autorités sportives d'Arabie saoudite les autorisent à concourir. Mais le prince Nawaf ben Fayçal, responsable des questions sportives du royaume, avait posé un certain nombre de conditions pour qu’elles participent, notamment le port d'une tenue islamiste, ce qui a soulevé des interrogations profondes au sein de la Fédération internationale de Judo et du Comité international olympique.
  • Le deuxième élément concerne l'équilibre à trouver, s'agissant d'une compétition sportive, entre le respect des convictions religieuses des sportifs et d'autre part non seulement leur volonté de performance, mais aussi le respect d'un certain nombre de principes de l'olympisme.

Dans un premier temps, le CIO a fait preuve d'une très grande réserve quant à la participation de ces sportives. Puis vendredi, on a appris qu'il autorisait le « port du voile raisonnable », un peu à l'image de ce qui se passe dans des compétitions régionales où les athlètes sont essentiellement de confession musulmane.

Cela reste malgré tout un sujet d'interrogation, car ce qui est en cause ici, ce n'est pas le respect des convictions religieuses de la personne, mais une question de sécurité. Est-ce qu'autoriser un tel signe n'est pas de nature à provoquer des risques pendant les combats ? (NDRL : Marie-Claire Restoux, championne olympique de judo en 1996 a expliqué sur France-Inter : « pour avoir combattu à l'entraînement avec des filles qui portaient le voile, je peux vous dire que c'est compliqué. Le voile est autour du cou, donc il y a des risques d'étranglement qui ne sont pas exclus ».)

Le lien entre sport et religion est une question essentielle, et ce lien devient de plus en plus fort au fil des années. On connaît le footballeur brésilien Kaka, qui en 2002 avait sur son t-shirt lors d'épreuves de Coupe du monde une inscription par laquelle il proclamait sa foi en Jésus. On peut aussi citer certains joueurs de l'équipe de France de football, notamment les convertis à l'Islam, qui font des prières publiques avant le début d'un match.

On constate donc, davantage que par le passé, la volonté de certains sportifs d'exprimer leurs convictions religieuses.

Dans le cas de cette judokate, n'est-ce pas une revendication plus politique - puisqu'imposée par les autorités de son pays - que relevant de ses convictions ?

S'il y a extériorisation des convictions religieuses, il faut bien sûr s'assurer que ça soit celles de l’athlète, pas quelque chose d'imposée par une autorité politique déterminée. Là, on a une déclaration d'un prince saoudien qui souligne que si les femmes sont autorisées à participer, c'est lié au respect d'un certains nombre de règles, dont la non-mixité et le port d'une tenue. Il est donc essentiel de vérifier que s'il y a une conviction religieuse - ce qui déjà pose question -, elle soit celle de l'athlète.

Ce qui ne semble pas être le cas là, contrairement aux précédents, l'Australienne Cathy Freeman ou l'Américain Florence Griffith-Joyner, qui avaient couru avec une capuche moulante sur la tête. Le politique fait donc bien son entrée sur une arène olympique qui n'est pas prévue pour cela...

Oui, mais ce n'est pas quelque chose de récent. Rappelez-vous des JO de 1980 à Moscou, lorsqu'un certain nombre d'athlètes n'avaient pas pu participer suite à un boycott lié à l'invasion de l'Afghanistan par les Soviétiques. Puis il y avait eu un retour de bâton en 1984 avec le boycott des JO de Los Angeles par les pays du bloc soviétique.

Il y a donc des liens dans l'histoire des JO entre la politique et le sport. D'ailleurs, chaque athlète représente un pays, qui concourent les uns contre les autres. Il y a donc d'une certaine manière une nationalisation, une étatisation des JO. Cela n'a pas que des effets négatifs : c'est important pour les citoyens de chaque pays de soutenir et de s'identifier à leurs athlètes. Mais cette étatisation peut provoquer un certain nombre de difficultés : imaginez un match de boxe entre un Iranien et un Américain...

Cette « nationalisation » des JO produit inévitablement une intervention du politique dans les JO. Cela ne peut pas être écarté.

Un pays a été longtemps boycotté par le CIO : l'Afrique du Sud, pendant le régime de l'apartheid. Comment expliquer que le comité était à l'époque ferme sur ses valeurs, et qu'aujourd'hui il lâche du lest et laisse l'Arabie saoudite – un pays pas vraiment connu pour respecter le droit des femmes – imposer ses conditions ?

C'est la question du deux poids, deux mesures. Il est donc tout à fait essentiel que le CIO identifie un certain nombre de principes et de valeurs qui doivent être au cœur de la charte olympique. Ces principes et ces valeurs doivent être respectés par l'ensemble des délégations qui y participent. Il y a une obligation de vigilance qui doit être imposée. Les principes de l'olympisme doivent permettre vraiment le rassemblement des athlètes du monde entier, et ces principes doivent l'emporter sur les revendications politiques ou religieuses qui peuvent se manifester.

On ne pourra pas échapper à des prises de considérations particulières, on ne pourra pas couper la sphère olympique des enjeux politiques, culturels, religieux, mais il faut faire le maximum pour appliquer un certain nombre de principes et écarter ceux qui pratiquent une discrimination en fonction de la religieuse, de la race ou du sexe.

Pour répondre à votre question, l'Afrique du sud était à l'époque très isolée sur le plan diplomatique. Par contre, l'Arabie saoudite, même si c'est un Etat très conservateur sur un certain nombre de sujets, est un Etat phare du monde musulman. Il y a sans doute une volonté de tenir compte du fait que de nombreux Etats sont concernés par cette affaire et qu'il y a de nombreux athlètes de confession musulmane qu'il convient de ménager.

Les athlètes saoudiennes ont-elles déjà perdu leurs JO, dans la mesure où on a plus parlé de leur tenue que de leur future prestation ?

La participation de Saoudiennes pour la première fois aux Jeux olympiques était un progrès pour les droits des femmes. Mais la discussion qui s'est engagée sur la tenue vient bien entendu interroger sur le progrès de cette participation. Ont-elles perdu ou pas ? On le verra avec leurs résultats ! Mais il est dommage que cette controverse vienne occulter leur participation.

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