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Heures supplémentaires :
un problème à la marge.
Pour gagner plus, il aurait plutôt fallu travailler plus… que 35 heures
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Mesurette

La fin de la défiscalisation des heures supplémentaires est une des mesures les plus symboliques du collectif budgétaire. Elle ne mérite pourtant pas qu'on verse des larmes. Penchons-nous plutôt sur les occasions ratées de réformer le pays pour retrouver la croissance.

Henri Lepage

Henri Lepage

Henri Lepage est économiste. Il a été professeur associé à l'Université Paris-Dauphine et est membre de la Société du Mont Pèlerin, administrateur de l'ALEPS, membre fondateur, président du Conseil scientifique et membre du conseil d'administration de l'Institut Turgot.

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Il semble que la suppression du régime de défiscalisation des heures supplémentaires, même si elle n'est que la concrétisation d'une promesse électorale, se fonde sur de sérieuses raisons. D'après les spécialistes, l'analyse des coûts et avantages du dispositif mis en place en 2007 ferait apparaître que son rendement économique a beaucoup déçu par rapport aux espoirs qui, à l'origine, étaient placés en lui. Il a couté (en manque de recettes fiscales) relativement cher par rapport aux dividendes économiques perçus (en termes de contribution au soutien de la conjoncture ou de l'emploi). Il en aurait principalement résulté un transfert de charges fiscales au profit des salariés qui ont un emploi stable et durable, financé par la grande masse des autres contribuables (notamment les petits artisans et commerçants qui ne sont pas nécessairement financièrement mieux lotis que les salariés des PME qui ont principalement bénéficié de cet avantage). L'argument n'est pas faux. Quelle est la valeur du bilan économique qui en est tiré et qui sert à justifier la disparition du dispositif ? Je n'ai pas le moyen de juger. Je ne peux que rajouter quelques observations complémentaires.

La première est de souligner que, depuis le 1er janvier 2012, une réforme introduite par François Fillon a déjà sérieusement raboté les avantages du dispositif - de sorte qu'on peut considérer :

- Soit que sa disparition ne représente pas un changement draconien susceptible d'avoir les effets néfastes sur le pouvoir d'achat des classes moyennes que décrit Xavier Bertrand dans son commentaire,
- Soit que c'est en fait se donner beaucoup de mal pour peu de choses, et que la mesure s'inscrit beaucoup plus dans cet "esprit de revanche" qui parait actuellement caractériser un grand nombre des décisions du présent gouvernement. Tout se passe comme si, pour mieux faire accepter les pilules qu'il nous prépare (avec raison d'ailleurs), il lui fallait à tout prix continuer d'entretenir les tensions de la campagne électorale et charger la barque de ses prédécesseurs.

Pour la croissance, la véritable solution aurait été de supprimer les 35h

La seconde est de rappeler dans quel contexte ce dispositif d'allègement fiscal est né. Le slogan "travailler plus pour gagner plus" n'était pas seulement une astuce de communication de Nicolas Sarkozy pour séduire des électeurs marginaux. Il s'inscrivait dans le cadre d'une authentique stratégie qui prenait comme point de départ que le ralentissement tendanciel de la croissance française par rapport au passé avait comme origine le fait qu'en raison notamment (et principalement) de la loi sur les 35 heures les Français, travaillaient en moyenne moins longtemps que la plupart de leurs partenaires européens. Pour les économistes influents auprès de Nicolas Sarkozy, il paraissait évident que la plus large part du déficit de croissance de l'économie française provenait de ce que le nombre global d'heures travaillées dans le pays était sensiblement inférieur à celui enregistré dans les autres pays à économie comparable. D'où la recherche d'un dispositif ayant pour effet de libérer l'offre de travail en incitant les salariés à travailler davantage.

La vraie solution aurait été de revenir purement et simplement sur la loi des 35 heures. Mais comme cela paraissait politiquement difficile, les pouvoirs publics ont choisi une stratégie indirecte revenant à vider progressivement la loi de son contenu. La solution consistait à autoriser les entreprises à recourir à des contingents plus importants d'heures supplémentaires, et à inciter les salariés à rechercher à travailler davantage au-delà des 35 heures. Autrement dit, à l'époque, l'argument "coût du travail" comme élément déterminant dans le déficit de compétitivité des entreprises françaises n'intervenait guère. Ce n'est que par la suite que le différentiel de coût avec l'industrie allemande a véritablement commencé à diverger.

Tout ceci pour dire que, pour un économiste libéral, la question du débat autour de la suppression du mécanisme de défiscalisation des heures supplémentaires importe peu. Le véritable problème reste toujours celui de la législation des 35 heures. Il eut mieux valu que Nicolas Sarkzoy ait le courage politique de la supprimer alors qu'il bénéficiait à l'époque, après son élection, d'une période de grâce nettement plus favorable que son successeur aujourd'hui. Faute d'attaquer le problème de fond, l'ancien gouvernement a cherché à biaiser et s'en est remis à la mise en place d'un dispositif complexe qui, finalement, apporte de l'eau au moulin de ceux qui aujourd'hui s'en servent pour l'accuser d'avoir multiplié les mesures dont l'effet fut de creuser le déficit des finances publiques, et donc l'endettement de l'Etat.

Les gains de productivité ne viendront pas de mesurettes

Mon troisième et dernier point concerne la croissance. Ce n'est certainement pas l'abrogation de cette législation qui changera quoi que ce soit aux perspectives économiques du pays. De même que ce n'est certainement pas de la multiplication de mesures ad hoc de ce style qu'on pouvait espérer un retour à des taux de croissance plus élevés, ou tout au moins aussi élevés que ceux encore enregistrés il y a une dizaine d'années. L'augmentation de la croissance était attendue de l'application d'une formule mathématique – multiplier le nombre d'heures effectivement travaillées par la productivité moyenne d'un emploi – dont on ne pouvait attendre tout au mieux qu'une effet « une fois pour toute », et certainement pas le déclenchement d'un processus de croissance plus élevée. Pour cela, c'était totalement insuffisant, pas du tout à la hauteur de ce qui était recherché.

Une fois de plus, il ne faut rappeler que le retour d'une croissance durable ne peut provenir que d'une accélération des gains de productivité, et que ce ne sont pas des mesurettes comme la détaxation des heures supplémentaires ou les recettes archéo-néo-keynésiennes qui sous-tendent les raisonnements de la nouvelle majorité qui peuvent suffire à y conduire. Il ne suffit pas d'inciter les salariés à travailler plus, il faut surtout que ce travail soit plus productif, ce qui exige investissements, épargne, innovation. Ce qui exige aussi, et c'est là le point important, de « libérer l'offre productive » de tous les français en desserrant l'étau réglementaire qui étouffe leurs entreprises. Une véritable politique de croissance exigerait d'abord tout un effort de déréglementation visant à réintroduire davantage de flexibilité dans tous les rouages de l'économie, par exemple en simplifiant, en allégeant et en « contractualisant » davantage la législation du travail (selon le schéma proposé notamment par Alain Madelin).

Or ce n'est à l'évidence pas dans cette direction que nous nous dirigeons actuellement, avec notamment le retour en force des syndicats et la perspective de voir à nouveau se durcir la législation sur les licenciements. De même, pas d'espoir de retour à la croissance sans davantage d'ouverture à la concurrence (problème par exemple du travail du dimanche dans la distribution, retour d'une vision industrielle de type « planiste »). Enfin, peut-être encore plus important que toute autre chose, nos espoirs de croissance resteront déçus tant que nos dirigeants n'auront pas compris que l'instabilité (et donc l'incertitude) fiscale est sans aucun doute l'un des freins à la croissance les plus puissants dont souffre aujourd'hui le pays.

A côté de ces facteurs essentiels, le débat sur les heures supplémentaires ne pèse que de peu de poids. C'est une chose bien secondaire. La présidence de Nicolas Sarkozy a été à de nombreuses reprises marquée par l'annonce d'intentions de réformes qui allaient dans le bon sens. D'où les espoirs que l'ancien Président, du moins pendant la première partie de son quinquennat, a suscité chez nombre de ses partisans. Mais, malheureusement, tout cela n'a bien souvent accouché que de mesures partielles et isolées – comme cette fameuse détaxe – qui, certes, pouvaient apporter certains avantages, mais en aucun cas constituer une véritable politique de croissance ; et, surtout, qui contribuaient à accentuer  la complexité et l'instabilité structurelle de notre fiscalité, si caractéristique quand on compare avec nos grands partenaires. Or, la suppression de cette détaxe est une décision qui, à son tour, contribue à entretenir cette instabilité – comme tant d'autres malheureusement que la nouvelle majorité est en train de nous concocter.

Alors, très sincèrement, je vous le dis, voilà certainement une mesure que l'on peut peut-être regretter pour son aspect « revenchard » dans le contexte politique actuel, mais certainement pas une mesure qui vaille qu'on verse une larme sur ce qu'elle va faire disparaître (sauf pour ceux, bien évidemment, que cela va pénaliser). Gardons notre énergie pour des combats qui en vaudront  bien plus la peine.

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