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"Zombie apocalypse" ? Ces morts vivants qui nous obsèdent...
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Glurp

Selon certains internautes, le début de l'invasion des zombis a commencé ! Mais que signifie la propagation de telles rumeurs sur notre psyché collective ?

Aurélien Lemant

Aurélien Lemant

Aurélien Lemant est l’auteur de TRAUM : Philip K. Dick, le martyr onirique, un essai poétique sur le doute, le rêve et la folie, publié chez Le Feu Sacré en mars 2012.

Chasseur de livres, Aurélien Lemant poursuit une certaine idée de la littérature au travers des nombreuses lectures publiques qu’il donne en Région Centre depuis 1999. Il est également dramaturge et comédien au sein de la troupe de La Carcasse ! Bactérie Théâtrale.


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Atlantico : Un cannibale à Miami, un autre en Chine, trois femmes dévorées au Brésil, un homme agressé à Seattle qui déclare avoir été attaqué par un groupe de lutins malfaisants… La confusion semble totale sur le net si bien que certains internautes évoquent l'imminence d'une « Zombie Apocalypse ». Que signifient de tels propos sur notre société ?

Aurélien Lémant : De quel film fantastique cet énoncé n'est-il pas le scénario ? C'est extraordinaire d'éprouver jusqu'à quel point, à force de poser toute actualité comme le rebondissement spectaculaire d'une saga, les diffuseurs d'information sont parvenus à littéralement transformer cette actualité en film.  Je dis « diffuseurs d'information », parce que le mot médium/média ne veut rien dire. Nous vivons à présent dans un long-métrage. Non que ce nous percevons soit faux : c'est notre perception elle-même qui est devenue celle d'un spectateur et/ou d'un critique de cinéma, projeté dans un environnement narratif au sein duquel la fiction n'est plus extrapolation de la vie, puisque c'est au contraire la vie qui semble la réalité augmentée d'une œuvre d'Art.

Quant à la fin du monde, imaginaires cinématographiques et romanesques à l'appui, elle prendra autant de visages qu'il y a d'êtres vivants. Le cannibalisme n'est que l'un de ces visages. Ce qui peut réjouir, c'est la constance avec laquelle les divers millénarismes réussissent à parcourir la distance qui sépare le réel de nos angoisses ou de nos espérances, en s'accaparant les mythes populaires, mais aussi les grandes œuvres de genre, puis en les superposant avec succès aux événements relayés par les diffuseurs d'information. Ajoutons à cela que tout être humain est aujourd'hui virtuellement l'un de ces diffuseurs, et la rumeur devient alors vérité potentielle. Au final, le monde poursuit sa course, bâtie à coups de légendes et de suppositions. C'est le nombre de conteurs qui a exponentiellement évolué.  Autrefois, ce rôle n'était dévolu qu'à une minorité. Aujourd'hui, nous sommes tous des dramaturges.

Votre question en appelle bien sûr une autre : qu'est-ce qui nous distingue encore du mort-vivant ? Si les scénaristes et les écrivains emploient tant d'énergie à inventer des récits d'extinction de l'humanité, c'est pour en retour leur opposer des solutions, des traverses, des alternatives. Le zombi ne cherche pas à guérir. Le vivant, en revanche, appelle sa perpétuation par tous les moyens. L'Homme, artisan de sa propre chute, sera aussi instrument de son propre salut, ce que Jurassic Park et les Pyjamasques à sa suite résument par : « La vie trouve toujours un chemin ». Un artiste est quelqu'un qui propose une nouvelle bifurcation au vivant. La solution à l'Apocalypse tant annoncée attend peut-être, imprimée, dans une vignette de bande dessinée de la fin du siècle précédent, allez savoir.

Que révèlent ces rumeurs de zombie sur la psyché collective ?

Psyché, ou psychose ? Cela vérifie une chose : c'est que nous sommes oublieux de ce que nous sommes. L'acte d'anthropophagie a toujours existé en tant que tabou parce qu'il a toujours existé en tant que coutume, qu'il s'agisse des déviances d'un sujet isolé ou des rituels d'une tribu, d'une secte comme d'une armée. Se nourrir, s'accaparer les forces de l'adversaire, en amour comme à la guerre, sont une base constituante de nos traditions érotiques et culinaires.

Mais il ne faut pas confondre zombification et cannibalisme, les deux s'étant surtout liés dans la fantasmatique occidentale à travers la représentation hollywoodienne, puis pseudo-underground, du mort-vivant affamé de cervelle humaine. Dans le rite Vaudou dont il est originaire, le zombi est avant tout un serviteur, un défunt ressuscité et exhumé temporairement par le prêtre ougan à l'issue d'invocations – non exemptes il est vrai de dimensions sexuelles et sacrificielles, puisque l'on parle alors de « nécrophilie astrale ».

La figure du zombi, parce qu'elle est attachée à celle de l'esclave, et donc d'un maître caché possiblement malfaisant, devient un vecteur, cumule puis cristalliseplusieurs frayeurs qui dépassent les seuls cadres offerts par la monstruosité cinématographique ou la transgression : phobie de la maladie (si le vampire peut symboliquement être associé aux infections vénériennes, visuellement le zombi est volontiers assimilé au cancer ou à la lèpre), phobie de la mutation génétique, phobie de l'accident nucléaire (catalyseur récurrent des peurs liées aux dites mutations), phobie d'une invasion étrangère ou extraterrestre, phobie du mind-control, cette forme scientifique et politique de la possession, subie par l'ingestion involontaire de drogue ou d'aliments, la respiration de gaz inodores et incolores, ou l'exposition à des ondes, telles qu'émissions télévisuelles ou radiophoniques néfastes. On le comprend, le zombi a de l'avenir, parce qu'il est la manifestation anthropomorphe la plus floue et la plus adaptable de la peur de la mort.



Comment définir un "zombi" aujourd'hui ?

David Pujadas me semble idéalement convenir, dans la francophonie, à la description du zombi. Un individu dont actes et paroles sont impulsés par d'autres que lui, figé dans une succession d'acquiescements et d'automatismes. Je regarde autour de moi et j'aperçois une multitude de David Pujadas. Il y a épidémie.

La rumeur d'une imminente "zombie apocalypse", très forte aux États-Unis, peut-elle se propager en France ?

Le foyer de rumeurs prend sur Internet. Il s'ensuit que la rumeur est mondiale. Donc la France attend les premiers signes d'invasion. Elle les percevra.

Cette problématique ne concerne-t-elle que des "marginaux" ou touche-t-elle toute la population ? Peut-on envisager une psychose collective, et si oui, pourquoi ?

Il faut se souvenir qu'après la fuite du dictateur haïtien Duvalier vers la France, une terrifiante chasse aux sorcières fit rage en Haïti. Des prêtres Vaudou furent accusés d'avoir la faculté de se changer en loups-garous et d'avoir dévoré des enfants. On les traina dans la rue, où ils furent abattus les uns après les autres. Comme le souligne Laënnec Hurbon dans "Comprendre Haïti", les catholiques, protestants et autres athées qui se livrèrent à ces exactions les commirent sur la base de croyances fortes en le Vaudou qu'ils prétendaient éradiquer.

Tout repose sur une tautologie essentielle : nous croyons en ce que nous croyons. La foi en une idée, en une image répétée avec force dans notre esprit, finit par se matérialiser sous une forme ou une autre parce que nous avons préparé son arrivée, parce que nous nous sommes préparés à l'accueillir, et ce, que nous la souhaitions ou la craignions. Le conditionnement narratif orchestré par les diffuseurs d'information favorise aujourd'hui de façon décuplée le développement des croyances. Un simple exemple de psychose collective de grandes envergure et magnitude aisément prévisible : le vingt-deux décembre 2012, date avancée par un calendrier Maya puis par Terence McKenna comme étant l'arrêt total du monde. Ce jour-là, deux types de comportements marginaux vont globalement se massifier, qui sont en réalité deux expressions de la peur : l'ultra-violence de ceux qui vont tout détruire, piller, violer, massacrer, parce que c'est pour eux le dernier jour de l'humanité, et le repli dans les temples de ceux qui vont prier, pour exactement la même raison. Au milieu, une majorité de gens qui assisteront, mi-paniqués, mi-amusés, à un crossover international entre Mad Max et La Guerre des Mondes.

Une croyance, fondée ou non sur des faits observés, fonctionne comme une épidémie. C'est en voyant les autres vivre leurs croyances comme des réalités advenues, que nous en venons nous-mêmes à douter de nos convictions. Puis nous interprétons des phénomènes, parfois naturels, parfois politiques, avec une grille de lecture qui nous a été glissée en douce, autant dire par la force. Comment alors ne pas se surprendre à constater, tel le téléspectateur devant l'image des pieux et des barbares, au soir d'un vingt-deux décembre, que c'est bel et bien la fin des temps.

Le scénario de la propagation d'un virus-zombi est-il envisageable ? Ou de la zombification due à une drogue ?

Vous parlez de scénario ! Nous sommes parfaitement d'accord. Commençons par la drogue. Nous avons à notre disposition une pléiade de substances capables de modifier notre comportement ou celui de nos congénères, de façon légale ou non, presque toujours toxique. C'est la toxicité qui nous intéresse. Quand on réalise ce que quelques aspersions d'un simple sent-bon peuvent produire, en terme de santé physique sur la peau parfumée, et en terme de manipulation mentale sur l'individu à séduire, il paraît évident à la longue que nous nous promenons avec dans le sang et la tête un fabuleux arsenal. On peut s'imaginer que toute commercialisation d'un produit, qu'il soit cosmétique, alimentaire, médical... est un test à l'échelle de la population – et de fait, sur la durée, cela en devient un.L'affaire des sels de bain récemment estimés à tort comme responsables, entre autres faits divers, du comportement cannibale d'un homme de Miami, devient à la fois, de manière perverse, une mise en garde et un appel d'offres : baignée dans l'image de l'automutilation et de la haine de soi (les films Saw, Hostel) comme dans un Halloween permanent, la jeunesse américaine, et ses émules mondialisés après elle, risque de se jeter à corps perdu dans cette pratique insolite du sniffing de sels de bains. Pourquoi ? Parce que l'interdiction associée à une sur-médiatisation passionnée est toujours le meilleur dealer qui soit. Et qu'enfin, si se déguiser en créature de cinéma est sympathique, en épouser le comportement comme une seconde nature est autrement plus stimulant. Le Vaudou lui-même se décrète comme une pratique physique et métaphysique, d'où toute psychologie est absente, et le ougan se doit d'aborder son rituel comme un artiste : les symboles qu'il utilise sont sensés être débarrassés de tout référent intellectuel, et devenir le véhicule d'un pouvoir autonome et bien réel. « La métaphore n'est pas pour le vrai poète une figure de rhétorique, mais une image substituée qu'il place réellement devant ses yeux à la place d'une idée », écrit Nietzsche dans La Naissance de la tragédie, et ce qui est vrai en théâtre est vrai en religion.

D'aucuns diront que c'est de la pensée magique mais, une dernière fois, c'est en investissant la réalité par l'assaut répété de nos croyances que nous parvenons à faire, au moins un peu, plier cette réalité. Dans le cas de la zombification, chimique ou psychiatrique, le monstre est symbole de danger, donc de puissance. Grande est la tentation de devenir un monstre.

Y a-t-il une volonté concertée derrière cela ? Le complot, on le sait, est l'autre nom de la politique. Cependant, comme l'explique Pierre-André Taguieff dans plusieurs de ses ouvrages, c'est l'abandon du sacré, appelez-ça le désenchantement, qui conduit les peuples à se remodeler des théologies de substitution, des cosmogonies incluant aussi bien les traditions perdues que les crises contemporaines affrontées par les hommes, afin de s'inventer des raisons paranormales à leur malheur national ou socioéconomique, tout en se désignant des coupables bien incarnés dans le monde. La théorie du complot provient toute entière de là : d'un coup, d'un seul, les brusques changements de climat dépendent de la volonté d'un consortium bénéficiant d'une technologie secrète, les attaques recrudescentes de requin deviennent le fruit des recherches d'un complexe militaro-industriel visant à dresser les squales comme engins de mort – ce qu'ils sont déjà, si on le désire vraiment. Je vous renvoie à la théorie du SIDA comme arme biologique accidentellement – ou volontairement – inoculée aux Africains. C'est épouvantable et fascinant. Mais admettons que c'est fascinant d'abord parce que c'est épouvantable.

Oui, la totalité des conspirations politiques avérées s'est servi de la théorie du (ou des) complot(s) comme écran pour masquer sa tangibilité. Mais quel serait concrètement l'intérêt de zombifier tout ou partie de la population par injection de virus ou distribution de drogues, alors que notre organisation sociale, temporelle comme spirituelle, ressemble déjà à un train fantôme ?

Propos recueillis par Ania Nussbaum

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