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Bruno Le Maire : "Historiquement, la stratégie qu'emploie François Hollande face à l'Allemagne n’a jamais fonctionné"
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Passage en force

L'ancien secrétaire d'Etat aux Affaires européennes sous le gouvernement de François Fillon porte un regard sévère sur la politique menée par François Hollande pour tenter de résoudre la crise de l'euro. Fustigeant la stratégie offensive actuellement menée à l'égard de l'Allemagne, Bruno Le Maire parle de "maladresses", d'"arrogance" et de "supercherie".

Bruno Le Maire

Bruno Le Maire

Bruno Le Maire est député LR de l'Eure, et candidat à la primaire de la droite et du centre.

Il a été successivement directeur de cabinet de Dominique de Villepin, secrétaire d'État aux Affaires européennes et ministre de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche.

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Atlantico : Après le G20 en début de semaine, François Hollande rencontre ce vendredi Angela Merkel, Mario Monti et Mariano Rajoy pour une réunion où il sera question de l'avenir de la zone euro. Vous avez été secrétaire d'Etat aux Affaires européennes dans le gouvernement de François Fillon. Comment jugez-vous l'action du gouvernement Hollande et notamment son attitude à l'égard de l'Allemagne, les relations du couple franco-allemand semblant plus tendues aujourd'hui que sous Nicolas Sarkozy, après les différends de ces dernières semaines ?

Bruno Le Maire : Je pense qu’il y a eu beaucoup de maladresses dans les propos qui ont été tenus par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault et par certains de ses ministres. Ils ont été très critiques à l’égard de Mme Merkel et je ne suis pas sûr que cela constitue le bon comportement vis-à-vis des responsables allemands en place.

Autre maladresse : la manière dont François Hollande a reçu, en grand pompe, l’opposition socialiste allemande. En phase de crise, l’essentiel est d’abord de trouver un accord avec la chancelière en place qu’elle soit de votre majorité ou non. C’est ce qu’a réussi François Mitterrand avec Helmut Kohl et Jacques Chirac avec Gerhard Schröder alors qu’ils n’étaient pas de la même famille politique.

Angela Merkel avait refusé de recevoir le candidat socialiste pendant la campagne présidentielle française...

Certes, mais il faut sortir de ce jeu-là. Nous nous trouvons dans une situation de crise sans précédent. La responsabilité voudrait qu’on dépasse ces petites querelles et qu’on arrive à trouver des accords avec la chancelière.

Vous qui connaissez bien l’Allemagne, estimez-vous préférable de négocier avec ce pays de façon frontale, en s'alliant par exemple avec l'Italie et l'Espagne comme semble le faire François Hollande, ou plutôt de tenter de s'assurer sa confiance pour essayer ensuite de faire passer ses idées, comme a pu vouloir le faire Nicolas Sarkozy ?

La stratégie du contournement de l’Allemagne, qui a été retenue par presque tous les présidents de la République en arrivant en fonction, n’a jamais fonctionné. Je peux vous le dire en connaissance de cause : quand je suis arrivé au ministère des Affaires européennes, la stratégie qui avait été suivie par Nicolas Sarkozy consistait à essayer de construire un axe avec Londres et Madrid pour peser face à Berlin. Très vite Nicolas Sarkozy est revenu à un travail de diplomatie politique en forme de "tête à tête" avec l’Allemagne. J'ai beaucoup œuvré dans ce sens. Cela me parait constituer la seule attitude raisonnable. 

Pour quelles raisons ? Pourquoi n'y aurait-il pas d'alternative au seul couple franco-allemand ?

Parce qu'il existe des réalités politiques et économiques. Politiquement, nous sommes tellement différents de l’Allemagne que, lorsqu’on arrive à trouver un accord avec eux, cela constitue une bonne base de travail pour l’ensemble des pays européens.

Ensuite, la réalité économique montre bien que l’Allemagne est le pays qui donne le « la » à la situation économique dans toute l’Europe, qu’on le veuille ou non. Il vaut mieux travailler avec le pays qui donne le « la » à la situation économique que d’essayer de le contourner avec des pays, soit qui ne sont pas membres de la zone euro comme la Grande Bretagne, soit qui sont dans une situation de crise majeure comme l’Espagne.

Il est donc impératif d’établir un dialogue approfondi avec les Allemands. Or, dans la plupart des cas, nous avons du mal à conduire ce dialogue.

Comment alors expliquer la stratégie offensive du président de la République à l’égard de la position allemande ? Il connait pourtant l'histoire et la science politique sur le bout des doigts... Péche-t-il par orgueil ou faut-il y voir une tactique politique plus complexe de sa part ?

Il existe deux hypothèses. Soit il péche par ignorance des réalités diplomatiques et par manque d’expérience et dans ce cas-là il reviendra vite à la réalité. Comme Jean-Marc Ayrault qui a déclaré mercredi que les eurobonds n'étaient finalement pas pour tout de suite et que cela allait être compliqué. Ce serait l’hypothèse la moins grave.

Soit il fait un calcul politique de court terme qui consiste à dire qu’il y aura un changement de majorité dans un an en Allemagne, et donc qu’il peut faire pression sur Mme Merkel en utilisant le SPD allemand qui se présente comme une alternative à la chancelière. Cette hypothèse serait dangereuse et irresponsable car nous n’avons pas le temps d’attendre les élections allemandes pour faire un saut d’intégration européenne majeur pour résoudre la crise actuelle. 

De plus, une éventuelle arrivée du SPD au pouvoir ne changerait pas fondamentalement la donne, notamment sur la discipline budgétaire. En fait, j’ai peur qu’on perde du temps et qu’on fasse du bricolage là où on a besoin d’une grande ambition politique et de projets clairs pour les citoyens.

En période électorale, les gens nous posent des questions telles que : "Pourquoi arrivons-nous à trouver 100 milliards d’euros pour les banques espagnoles et pas un euro pour aider ceux qui sont au chômage ou dans la précarité ?" Il est vraiment nécessaire qu’on arrête de prendre des décisions au fil de l’eau sans présenter de politiques crédibles sur le long terme.

J’attends de la part de François Hollande des propositions claires sur le long terme pour l’intégration européenne : des transferts de souveraineté, la mise en place d’un ministre de l’Economie et des Finances européen, une convergence des politiques économiques, une vraie gouvernance économique de la zone euro, la possibilité d’avoir un contrôle des budgets par l’Europe pour s'assurer que les différents Etats membres respectent les règles...

Et quelle est votre position sur la mutualisation des dettes que défend François Hollande ?

Je pense que ce n’est pas une mauvaise idée. Il faut cependant savoir de quelle mutualisation des dettes on parle ? Comment la met-on en place ? Quelles contreparties donnons-nous en matière de contrôle des budgets nationaux ? Mutualiser des dettes sans s’assurer que les règles budgétaires sont respectées par tous les Etats membres dont on mutualise les dette : je dis clairement non ! Mutualiser les dettes sans s’assurer que les régimes fiscaux sont les mêmes d’un pays à l’autre de la zone euro : là encore, non ! On ne peut mutualiser des dettes avec les Grecs sans avoir un certain nombre de garanties, sans s’assurer que des impôts soient payés par les armateurs grecs, les commerçants et l’Eglise Orthodoxe grecque. Il faut des garanties.

Les Allemands n’ont-ils pas eux-aussi une part de responsabilité ? Angela Merkel n'aurait-elle pas dû faire preuve de davantage de souplesse ces derniers mois quant à sa position intransigeante voire dogmatique en matière de rigueur ?

Je ne suis pas le défenseur de toutes les propositions prises par Angela Merkel. Je pense que dans la capacité à avoir une vision de long terme et être prêt à faire un certain nombre de concessions, on aurait pu effectivement attendre plus du côté du gouvernement allemand. Ils ont été bloqués sur un certain nombre de sujets, à nous de débloquer cela en montrant que nous sommes prêts pour la discipline budgétaire. Si personne ne fait un pas vers l’autre en faisant une concession majeure nous n’arriverons pas à percer l’abcès.

Mais pourquoi serait-ce à François Hollande, qui vient d'être élu au suffrage universel et bénéficie donc de la légitimité populaire, de faire ce pas en avant et non à Angela Merkel ?

Sur le fond, la position de François Hollande ne tient pas la route. La crise actuelle est une crise de la dette. Tant que nous n’avons pas réglé le problème de l’endettement successif et du contrôle budgétaire, tout ce que nous pouvons proposer sur la croissance ne tient pas la route. La discipline budgétaire est un passage obligatoire pour arriver à construire une croissance économique plus forte.

Par ailleurs, il y a beaucoup de supercherie dans la position de François Hollande sur la croissance. Comment voulez-vous décréter la croissance sans prendre certaines décisions économiques indispensables ? Eurostat révèle que le coût du travail en France a explosé par rapport à celui des autres pays européens. Nous avons perdu notre compétitivité. Or que vient de proposer François Hollande ? D'alourdir à nouveau le coût du travail avec la retraite à 60 ans et d’augmenter le Smic. On veut la croissance mais on fait le contraire de ce qui est bon pour elle… Cela n'a pas échappé à Madame Merkel...

Vous évoquez des "décisions économiques indispensables", mais les politiques d’austérité menées en Grèce ou en Espagne peinent à porter leurs fruits, voire se révèlent contre-productives....

Il faut évidemment arriver à créer un espoir autre que la seule austérité. Mais on ne bâtit pas l'espoir en mentant aux gens. L’idée que la croissance va revenir sans des décisions fortes sur le coût du travail, sur l’organisation de notre marché du travail, sur la qualité des produits, sur l’innovation et sur la recherche est clairement une supercherie.

Est-ce que la France colle, selon vous, une fois de plus, à l'une de ses tristes réputations internationales : péchons-nous par arrogance en voulant mener l'Europe à notre façon ?

Oui et je trouve cela insupportable ! On péche clairement par arrogance en pensant que la France peut définir le modèle européen à elle toute seule. On ne peut prétendre prendre la tête des nations européennes sans être capable de faire le ménage chez soi. Ce penchant français insupporte nos voisins européens.

J'ai des années d'expérience diplomatique et d'expérience franco-allemande. J’avais l’habitude de me rendre à Berlin quasiment une fois par mois. Un parlementaire français a dit un jour devant le groupe Christlich Demokratische Union Deutschlands (CDU) : « Vous êtes bien sympathiques mais votre austérité nous gêne, ce que fait la France est bien mieux, cela permettra de relancer la croissance etc. » Il a été alors interrompu par un député du CDU qui lui a demandé de lui rappeler le montant de l’excédent commercial allemand et celui du déficit commercial français… A un moment donné, au lieu de faire des leçons, il vaudrait mieux comparer nos chiffres à ceux des autres...

La récente polémique entre François Hollande et David Cameron participe selon vous de cette même arrogance française ?

Bien sûr. Je connais bien David Cameron et le gouvernement britannique : ils se frottent les mains, ils peuvent enfin nous faire la leçon !

Avec le léger recul dont vous pouvez disposer aujourd'hui, quel regard portez-vous sur l’action du président Sarkozy en matière de relations européennes ? Vous qui avez été aux affaires, avez-vous des regrets ?

Le positif tient à la capacité de Nicolas Sarkozy à trouver des compromis avec Angela Merkel pour sauver l’euro et aller vers une gouvernance économique européenne. Ce n’était pas facile car derrière la chancelière il y a de redoutables négociateurs comme Jens Weidmann le président de la Bundesbank et d'autres conseillers que je connais très bien et qui ne sont pas faciles quand on négocie avec eux.

Je regrette toutefois qu’on n’ait pas réussi à être la famille politique qui porte une vraie ambition des États-Unis d’Europe. C'est une idée que je porte désormais - je ne pouvais malheureusement pas le faire lorsque j'étais ministre, car ce n'était pas de ma responsabilité - et qui forge un réel espoir politique, autre que le seul règlement conjoncturel de la crise. Sans espoir politique, nous ne sortirons pas de la crise.

Un dernier mot sur un sujet radicalement différent : l'élection de Christian Jacob à la tête du groupe UMP à l’Assemblée nationale. On a l'impression que la campagne n'a duré qu'une fraction de seconde et qu'il est déjà élu...

Je suis très content pour Christian qui est un ami. Il ne faut pas en tirer des conséquences politiques excessives comme le font certains sur la future présidence de l’UMP. Cela correspond surtout à une confiance personnelle à l’égard de Christian Jacob. 

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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