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Sauver une quarantaine d’entreprises peut-il être suffisant pour sauver la France ?
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Demi-mesure ?

Le gouvernement aurait identifié 36 entreprises menacées par la crise. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, promet de les sauver. François Hollande reçoit pour sa part ce lundi l'intersyndicale d'Arcelor Mittal dont le site de Florange est en danger. Mais agir en pompier est-il toujours la bonne stratégie ?

Hubert Bonin

Hubert Bonin

Professeur d'histoire économique à Sciences Po Bordeaux.

Chercheur au Groupe de recherche en économie théorique et appliquée du CNRS de Bordeaux.

 

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Le Premier Ministre a recensé environ quatre dizaines d’entreprises dont le sort était menacé en cette fin de printemps 2012 ! Et le ministre du redressement productif de se donner pour mission de sauver ces sociétés, ces sites, ces emplois...  Bien sûr, l’universitaire fonctionnaire qu'est l'auteur de ces lignes sera fustigé pour le « confort » de sa position… Pourtant, il doit bien dégonfler ces illusions ! 

Ces entreprises relèvent de trois ensembles informels. Le premier regroupe des entités issues de grands groupes, des filiales, des établissements industriels, qui sont, hélas, abandonnés par la maison mère, faute de « rentabilité » puisqu’ils ont été condamnés après avoir été mis en compétition.

Comment les sauver alors qu’il faudrait y édifier des leviers d’autonomie : une direction commerciale, une structure de recherche & développement ? Ces sites ou sociétés « orphelins » n’ont pas d’avenir, aussi douloureux que ce soit pour « les Fralib. » Ou alors, au-delà de quelques mois de sursis grâce à des contrats de survie et de sous-traitance avec l’ex-société mère, il faudrait que les salariés s’organisent en Société coopérative de production, avec des investisseurs… Mais est-ce possible en plein cœur de cette crise à rebonds incessants ? Comment convaincre ces «anges financiers» (blue angels) d’investir dans des entités où tout serait à faire, à structurer ?

Le deuxième ensemble réunit des entités qui sont devenues des sociétés indépendantes tout au long du processus terrible et implacable qui, depuis le milieu des années 1970, a détruit/rongé les branches d’activité rongées par la Grande Crise, celle de la transition entre la deuxième et la troisième révolution industrielle et celle du transfert intercontinental impulsé par la nouvelle division internationale du travail. Des sites ont pu survivre pendant quelques lustres, grâce à un positionnement sur des créneaux de valeur ajoutée moyenne ou élevée, sur des « niches »– comme cette société du Nord qui vient de déposer son bilan dans un textile de relative qualité. Or celles qui s’écroulent – car toutes ne sont pas malades ! –  semblent avoir atteint leur « plafond » de compétences ou de compétitivité. Comment les sauver sans dénicher un repreneur ? et comment en trouver un dans cette période de hautes tensions ?

Le troisième ensemble fédère un noyau de sociétés qui seraient bien positionnées, mais qui ont été gérées de façon lamentable, comme la grande entreprise de sécurité (5 000 salariés). Là, il suffit de trouver un nouveau « tour de table » d’investisseurs en capital, un nouveau patron, réellement compétent, et de relancer la machine. Mais l’économie de marché, la libre entreprise, interdisent une intervention ex ante de la part de la puissance publique, car seule l’économie bancaire et financière est soumise à une Autorité de contrôle prudentiel. Comment l’État ou tout comité d’experts pourrait-il intervenir dans une entreprise pour dénoncer l’incompétence de ses dirigeants ou les erreurs de la stratégie ? C’est inconcevable dans une économie de type libéral, même mâtinée de social-démocratie ! Le comité d’entreprise peut faire appel à des experts, mais c’est souvent trop tard !

Tous ces ensembles révèlent bien que même Superman ou toute l’équipe des Avengers ne suffirait pas sauver ces quatre dizaines d’entreprises ou de sites ! C’est désespérant, doit reconnaître l’universitaire humaniste. Pourtant, comment, au-delà de la démagogie du racolage politicien, réagir et agir ? Mais la puissance publique peut/doit-elle intervenir dans de tels cas ? Ne faut-il pas laisser jouer la « loi [d’airain] du marché » ou de la compétitivité ?

Certes, un haut fonctionnaire ou un ministre peut impulser le processus de négociation avec un repreneur investisseur, pour trouver des fonds, avec le pool des banquiers, pour alimenter un crédit de trésorerie sur quelques mois, avec tel ou tel client de l’entité en crise pour qu’il relance sa confiance et ses commandes, avec les fournisseurs afin de surmonter leur défiance et leur crainte de ne pas être payés à leur tour. L’on n’a pas besoin de ministre pour cela, car les tribunaux de commerce, les administrateurs judiciaires, les banquiers, les avocats des sociétés, sont déjà impliqués, en toute discrétion, dans un anonymat fort éloigné des lumières politiciennes, et cela, souvent, avec le patronage vigilant des services d’un préfet lui aussi tenu au silence. La médiatisation peut encourager la mobilisation virulente de groupuscules parmi les salariés et, à terme, intimider repreneurs et banquiers, espèces qui, quoi qu’on en pense, n’aiment gère les tensions proto révolutionnaires…

Pourtant, l’on pourra sauver telle ou telle société, parce que son modèle économique peut paraître viable, pendant quelques trimestres au moins (comme Pétroplus, la raffinerie). Cela dit, la majorité de ces sites ou entreprises sont destinées à être balayées par la guerre de la compétitivité. En fait, malgré quelques « effets de manche » syndicaux ou politique, une énorme quantité de sites ou de sociétés ont disparu en trente ans, au cœur de ce « chaos créatif » schumpétérien, et nul ministre, aussi affable et déterminé soit-il, ne pourra enrayer ce processus !

La véritable mission d’une équipe d’experts doit donc d’abord batailler avec ardeur pour la « revitalisation » économique et sociale des sites en perdition – et, d’ores et déjà, des textes de loi, des cabinets spécialisés – comme Altedia, par exemple, un grand expert dans ce domaine –, des procédures déconcentrées sont activés dans un parfait anonymat, alors qu’on se bat ici et là pour faire venir d’autres entreprises, susciter d’autres activités, dans l’industrie ou dans les services. Une seconde mission de ces experts engagés – et le parrainage du ministre ne peut qu’être utile dans ce sens – est de tout faire pour susciter les fameux « emplois de demain », issus des services de proximité ou de la recherche & développement, des incubateurs d’innovation régionaux, etc. « La loi du marché » condamne des sites et des sociétés, c’est l’évidence choquante, mais elle favorise aussi l’émergence et la venue de nouvelles entités au sein d’un système productif en constante mutation. 

On comprendra, au terme de notre propos – sincère mais contestable, nous l’admettons –, que la mission du ministre-sauveteur consiste surtout et avant tout à mettre en place la comité d’experts apte à concevoir et, surtout, à financer la reconversion douloureuse mais nécessaire des quelques centaines de salariés victimes de ces effondrements ou de ces restructurations. Les experts académiques pensent qu’il faut deux à trois milliards d’euros pour que Pôle Emploi puisse jouer un rôle efficace dans de tels programmes de « mise à niveau » : il faut trouver l’argent – en fait, en redéployant les fonds de la formation continue, trop souvent mal employés, sinon trop concentrés sur des strates de salariés non menacés par la restructuration – et en redéfinissant les priorités. Mais l’on travaille là sur un calendrier de plusieurs semestres, et l’on est fort loin des « scènes politiciennes »…

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