Et maintenant les skieurs... Qui arrêtera le gouvernement dans sa folle (et sanitairement vaine) dérive sur les libertés publiques ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean Castex Olivier Véran libertés publiques skier à l'étranger déplacements citoyens français restrictions covid-19 ski
Jean Castex Olivier Véran libertés publiques skier à l'étranger déplacements citoyens français restrictions covid-19 ski
©LUDOVIC MARIN / AFP

Restrictions et nouvelles mesures

Jean Castex invoquait l’Etat de droit et l’absence de fondement légal pour expliquer que le gouvernement ne pouvait contraindre les cas positifs au Covid à s’isoler. Désormais il est prêt à mettre en quarantaine les Français qui seraient partis skier (mais pas les étrangers débarquant à Roissy)...

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico.fr : Jean Castex, après avoir autorisé la réouverture des stations de ski sans les remontées mécaniques, souhaite imposer un isolement de 7 jours aux Français partis skier à l’étranger, notamment en Suisse. Est-ce là une énième atteinte aux libertés individuelles que commet le gouvernement ?

Christophe Bouillaud : Oui, sans aucun doute. C’est d’ailleurs un peu bizarre comme mesure. Skier est une activité légale que je sache. Il ne s’agit pas d’aller en Asie profiter de la prostitution enfantine. Se rendre en Suisse, ou plus généralement sortir de France aussi. A tout prendre, la seule justification de ce genre de mesure serait que se rendre en Suisse suppose d’accepter une quarantaine au retour, parce qu’il s’agit d’un pays où le virus de la Covid-19 circule très fortement, ce qui est vrai par ailleurs.  Or, à ma connaissance, la frontière avec la Suisse n’est pas fermée, et l’on peut passer de Suisse en France. 

En tout cas, ce genre de déclaration « matamoresque » de la part de notre Premier Ministre n’aide guère dans la lutte contre la pandémie. Il aurait mieux valu expliquer pourquoi les stations de ski sont fermées en France. Or, justement, comme vous le savez, elles ne sont pas fermées, mais seules les remontées mécaniques le sont. Cette absurdité fondatrice en appelle une autre, avec cette menace contre les récalcitrants qui oseraient se rendre en Suisse pour skier. En effet, si l’on veut limiter les interactions sociales en intérieur de la part de personnes venant de régions différentes, il aurait fallu tout simplement fermer purement et simplement les stations, et interdire tout hébergement touristique dans ces dernières. Les Français, pas seulement les skieurs parmi eux, auraient alors compris que la situation sanitaire restait très grave, puisque les stations de notre pays étaient fermées à double tour. Avec la demi-mesure ubuesque choisie – stations ouvertes, mais remontées fermées -, les vacanciers se disent : mais pourquoi ne pas aller en Suisse ? Et le reste de la population se croit tirée d’affaire. 

Il est aussi vrai aussi que le gouvernement Castex n’ose peut-être pas évoquer une possible autre raison de la fermeture des remontées mécaniques : éviter autant que possible les accidents de ski qui encombreraient les urgences ou les accidents de voiture des vacanciers à l’aller et au retour. Si c’est bien cela, il faut le dire, mais, dans ce cas, les gens peuvent bien aller en Suisse et s’y faire soigner au cas où en cas d’accident. 

Edouard Husson : Tout d'abord, poussons un énorme éclat de rire ! Un siècle après que Courteline les avait mis en scène, les "ronds de cuir" sont définitivement entrés au gouvernement. L'un d'eux a même réussi à s'asseoir dans le siège du Premier ministre.  Et pour ne pas abandonner notre bonne humeur, commençons à imaginer que le gouvernement remette des contrôles aux frontières pour contrôler les skieurs récalcitrants; tout le printemps, la vox populi a réclamé le rétablissement des frontières pour éviter une diffusion encore plus grande de l'épidémie. On sait maintenant que ce qu'on appelle "seconde vague" a été en fait dû à l'importation, tout à fait inutile, de variantes du COVID 19, l'une venue d'Afrique du Nord, l'autre d'Europe du Nord, parce que des porteurs ont pénétré sur le territoire français. Il est donc bien temps pour le gouvernement de se préoccuper de contrôle aux frontières. Et fallait-il le faire de manière aussi grotesque? Depuis la crise des Gilets jaunes, nous savons que ce gouvernement est liberticide. Ce qui est nouveau, c'est qu'il s'en prenne, désormais, aussi à la liberté de circulation des classes moyennes et supérieures.  

Alors que les cas positifs ne sont encore contraints par aucune mesure d’isolement – Jean Castex expliquait manquer d’un fondement légal…-, le gouvernement n’hésite pas une seconde pour mettre en quarantaine les vacanciers partis skier. L’efficacité sanitaire ne semble plus justifier la politique du gouvernement : le message est-il définitivement brouillé ?

Christophe Bouillaud : Oui, le gouvernement Castex peine à expliquer ces décisions. La fixation sur les skieurs allant en Suisse est liée au fait que cette affaire et très médiatisée, alors que, malheureusement, bien peu de Français  (moins de 10%) peuvent se payer des vacances de ce genre. Il est vrai que sa doctrine en matière de maîtrise des interactions sociales « inutiles », à l’économie suppose-t-on, est pour le moins fluctuante. Les centres commerciaux sont rouverts, et l’on essaye d’interdire aux gens de faire un sport de plein air comme le ski de piste. Comment ne pas trouver cela absurde à première vue.  Je ne sais pas d’ailleurs, pour ne pas avoir compris ce qu’il en était, du ski de fond, des sorties en raquette, ou simplement des promenades en montagne. 

Pour ce qui est de l’isolement obligatoire des cas positifs, permettez-moi d’exprimer des doutes face à une telle stratégie dans un pays comme la France, où les citoyens restent un peu attachés à leur chez eux et où les services de l’Etat ne sont pas réputés pour leur capacité à accueillir dans de bonnes conditions leur propre personnel. Le résultat inévitable d’une telle mesure coercitive serait une tendance lourde des gens à cacher leur état. Le volontariat et les incitations me paraissent bien plus raisonnables en la matière.  

Edouard Husson : Le contrôle des skieurs est la touche louffoque et grinçante à la fois qui manquait à l'absurde gestion de l'épidémie du COVID 19. Rappelons-nous la série, tout de même: envoi de masques à la Chine et destruction des stocks de masques considérés périmés puis proclamation par le Ministre de la Santé que les masques sont inutiles, avant d'arriver au port obligatoire du masque ; refus pendant de longues semaines d'acheter des tests à la Corée du Sud puis achat en panique de tests à la Chine - en même temps que de masques. Confinement qui fait reculer l'économie française de 20%, essentiellement parce qu'on a refusé de fermer les frontières puis déconfinement toujours sans fermeture des frontières puis reconfinement toujours frontières ouvertes avant de déconfiner en mettant un contrôle aux frontières pour...les Français partis skier à l'étranger. Ajoutons qu'on a reconfiné au moment où la "deuxième vague" reculait. Si l'on se rappelle aussi que la France a la chance de compter sur son territoire le virologue le plus cité au monde dans les revues médicales scientifiques (Didier Raoult) et que le gouvernement a purement et simplement interdit aux médecins de ville de prescrire le traitement recommandé par le professeur marseillais, que le même gouvernement a fait la publicité d'un médicament qui ne servait à rien contre le COVID 19 (le remdesivir) et n'a apparemment rien fait pour encourager les scientifiques français dans la course au vaccin, on a les éléments les plus importants d'un tableau qui est celui du plus mauvais gouvernement français de l'histoire en temps de paix et dont le président n'a cessé de jouer au chef de guerre. Alors l'interdiction d'aller skier à l'étranger vient ajouter une touche à l'absurdité. Avec, j'y reviens, la cerise sur le gâteau: un gouvernement caractérisé par une forme de "haine de soi" dès qu'il s'agit de défendre l'héritage français, le "made in France", l'art de vivre national, le patrimoine etc... finit par s'en prendre à la classe sociale qui l'a porté au pouvoir, cette grande bourgeoisie qui est bien la seule, à vrai dire, à pouvoir se payer le luxe de vacances d'hiver à l'étranger.     

Dans le paysage politique, pourquoi personne ne semble monter au créneau pour défendre les libertés individuelles en France ?

Christophe Bouillaud : Effectivement, au cours de la crise sanitaire, on a l’impression que seule la « société civile » (secteurs professionnels, associations sociales ou caritatives, représentants légaux des cultes, etc.) se risque à se plaindre de ces restrictions. Ces diverses composantes de la « société civile », une fois constaté la surdité du pouvoir, le font, soit par la voie de la médiatisation, soit par celle du Conseil d’Etat. Quelques maires ou autres responsables locaux ont parfois essayé de jouer cette carte de la défense des droits des citoyens, souvent en lien avec l’activité économique à préserver dans leur collectivité. 

Par contre, au niveau national, les partis sont restés globalement peu actifs. Je pense que, faute de disposer de moyens d’investigation propres, ils sont tous très dépendants des ressources de l’Etat ou de la parole publique des spécialistes médicaux ou des épidémiologistes. Ils ont du coup bien du mal à développer une stratégie alternative à ce que met en place le gouvernement. Du coup, comme effectivement, il n’y a à ce stade guère d’autres solutions pour contenir l’épidémie que des restrictions de libertés individuelles, ils s’y sont pliés. 

Surtout, ils ne veulent pas apparaître ex post comme ceux qui ont poussé à faire des erreurs de gestion de l’épidémie qui auraient coûté des milliers de vies humaines. Il est frappant de voir qu’en France personne parmi les partis dans l’opposition n’a assumé une position « virile » à la Trump ou à la Bolsonaro. Il n’y a eu aucun acteur partisan pour porter un mouvement « anti-masques ». Tout se passe du coup dans des mouvements hors partis. En Allemagne, l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) a joué cette partition du « même pas peur », sans grand succès apparemment, et se trouve du coup divisée entre les pro-« science normale » qui croient en la gravité de l’épidémie et les pro-« fake news » qui y voient un complot contre l’Occident ou je ne sais quoi d’autre. En France, le RN est resté prudent. Ses dirigeants ont vite compris que l’attitude « négationniste » face à la réalité de cette pandémie provoquerait une trop grande perte  de légitimité, et, du côté, PS, EELV ou FI, l’aspect de lutte contre les problèmes économiques et sociaux liés à la pandémie l’a emporté. La droite classique aurait pu défendre les libertés individuelles, mais, dans un tel contexte, ce sont plutôt les médecins de son camp qui ont eu la main sur les discours tenus. 

En fait, ne nous leurrons pas : partout dans le monde, pour limiter les interactions sociales afin de contenir l’épidémie, il a fallu restreindre les libertés individuelles, même en Suède. Cependant, certains l’ont fait avec plus d’explications et de tact que d’autres, comme nos voisins allemands. 

Edouard Husson : A gauche, la social-démocratie n'intéresse plus personne. On est soit rallié, comme Emmanuel Macron, au mondialisme qui met en place un système post-démocratique où les décisions politiques sont supposées être prises par une minorité de technocrates orientée prétendument par les données massives que lui fournit la Big Tech avec comme horizon l'avènement d'un contrôle total des individus par le cartel des banques centrales, des activistes du climat et la bureaucratie sanitaire; soit on sombre dans le gauchisme post-marxiste, totalement idéologisé par le "gender", les études postcoloniales et l'hostilité à la libre entreprise. Les deux gauches convergent dans la fascination pour le transhumanisme. A droite, c'est à la fois plus simple et plus grave. La droite a complètement oublié qu'elle est historiquement le refuge des libertés en France: guerres de Vendée, défense de la liberté religieuse et scolaire au XIXè siècle, choix de la Résistance par de Gaulle quand un parlement de gauche votait les pleins pouvoirs à Pétain etc..., la droite française aurait toutes les raisons de se situer aujourd'hui dans le grand courant conservateur qui, à l'échelle occidentale, se bat pour la défense des libertés contre ce que le fondateur du Forum de Davos, Klaus Schwab, appelle "la grande réinitialisation" sociale et politique à l'occasion de la crise du COVID 19. Mais LR est tiraillé entre le ralliement à Macron et l'illusion de mieux incarner "le parti de l'ordre" que l'actuel Président de la République. Quant au Rassemblement National de Marine Le Pen, il vit dans une vision idéalisée de l'Etat et des politiques publiques, très loin de la réalité contemporaine, courtelinesque, que nous évoquions en commençant: celle d'un Etat obèse, omniprésent et impuissant à la fois.   

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