Police, une institution à bout de souffle… républicain ?<!-- --> | Atlantico.fr
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police forces de l'ordre
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©Valery HACHE / AFP

Gardiens de la paix

Après les récents débats et les polémiques sur les violences commises par certains policiers, notamment lors de la récente interpellation d'un producteur de musique, Michel Fize décrypte les défis à relever pour la police et les membres des forces de l'ordre.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Le premier devoir du sociologue est d’examiner froidement le problème dont il s’empare, en s’extrayant le plus possible des préjugés qui s’attachent audit problème. Il n’est a priori ni pour ni contre une institution, un groupe, quels qu’ils soient (famille, école, armée…), malgré, il est vrai, son penchant marqué pour l’analyse des dysfonctionnements institutionnels ou groupaux, une démarche qui a pour unique objet de donner au « politique » les éléments et les moyens de la réforme.

Le second devoir du sociologue est de montrer les clivages qui opèrent dans une société donnée venant renforcer les clichés et solidifier les points de vue. Le clivage essentiel, majeur, aujourd’hui est celui qui distingue les « bien-pensants » et les autres qui, par définition, sont censés ne pas penser « correctement ». Pour les « bien-pensants », qui sont à la fois responsables politiques, idéologues, conscients ou « malgré eux », et médias, et pour en venir à notre sujet, il n’y a pas, pour ces gens-là, et ne saurait y avoir, de violence policière « systémique ». Soutenir le contraire, c’est aussitôt être rangé dans le camp des « mal-disant », pire encore des complotistes – mot fourre-tout qui désigne aujourd’hui tous les porteurs de pensée non-conformes, ceux qui s’écartent peu ou prou des idées et opinions du moment.

Signalons d’abord que les « bien-pensants », surtout les politiques - Emmanuel Macron et son ministre de l’Intérieur en tête -, rejettent (et encore aujourd’hui en dépit de la multiplication des exactions et dérapages) l’expression « violences policières ». A leurs yeux, l’Etat et son bras armé policier possèdent la « violence légitime », et mieux encore « le monopole » de cette violence, selon une terminologie très à la mode empruntée au sociologue allemand Max Weber, et qui, entre nous, est un vocabulaire fort peu démocratique.

Clarifions ce propos. Le pouvoir ne saurait user de violence à l’encontre de qui que ce soit. Son seul droit est, dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre, de pouvoir recourir à l’usage de la force, mais seulement dans les conditions fixées par la loi, à savoir, principalement la légitime défense et la proportionnalité de la riposte policière à une agression caractérisée à son encontre. Il n’y a pas de « violence légitime » au bénéfice de la police, ni au profit d’un « Etat de droit », mais une simple possibilité pour l’institution policière, et dans des circonstances données, d’user de techniques, elles aussi fixées par la loi, qui excluent cependant toute brutalité. Une police républicaine est d’abord une police de protection et de secours des citoyens.

S’agissant des dérapages policiers (ceux qui « déconnent » pour reprendre le mot de Gérald Darmanin) et que l’on appelait naguère « bavures », la position des « bien-pensants » est d’admettre aujourd’hui leur existence, tout en soulignant aussitôt qu’ils ne concernent qu’une petite minorité des policiers, appelés « brebis galeuses », que la très grande majorité des représentants des forces de l’ordre se comportent « correctement » envers les citoyens.

En réalité, nous n’en savons rien. Aucune étude scientifique n’a jamais été menée permettant de conclure dans un sens ou dans un autre. Il ne nous reste que les témoignages de citoyens ayant eu affaire à la police à un moment ou un autre de leur vie. Evidemment, la hiérarchie policière indique un nombre faible de recours à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) : 1678 en 2019 pour 3 millions d’interventions. Mais ce chiffre n’a aucune valeur. Déposer une plainte auprès de cette institution est extrêmement délicat, à la fois en l’absence de témoins ou de matériel de surveillance attestant les dires des plaignants, et plus encore par crainte de s’attaquer à une structure qui, par définition, est remplie de policiers ! Ajoutons que, dans les médias, il n’y a pas une seule intervention d’un représentant d’un syndicat de police ou d’un membre d’un « parti de l’ordre », qui, sur le sujet des « bavures » policières, ne fasse aussitôt allusion aux violences et aux brutalités dont sont eux-mêmes victimes les policiers dans l’exercice de leurs fonctions (en dehors de leur service parfois).

Mais ce comparatif n’a pas de sens. Donnant l’impression de vouloir atténuer la responsabilité des violences commises par les policiers, les propos des « défenseurs à tout prix » de la police ne sont tout simplement pas recevables. Ne faut-il pas rappeler en effet que la Justice sanctionne toutes les violences : les violences commises par les policiers comme celles qu’ils subissent ? Mais, ne faut-il pas tout de même rappeler avec force qu’une violence d’un agent dépositaire de l’autorité est d’une particulière gravité, qu’un fonctionnaire de police a un devoir d’exemplarité, qu’il doit faire preuve de « maîtrise de soi » en toute circonstance ? Le préfet de police de Paris, Maurice Grimaud, dans une Lettre aux policiers, en date du 29 mai 1968, le rappelait explicitement : « Etre policier, écrivait-il, n'est pas un métier comme les autres ; quand on l'a choisi, on en a accepté les dures exigences. »

Disons-le clairement. Sans atteindre toujours les sommets de la violence exercée sur le producteur Michel Zecler, le 21 novembre dernier, les brutalités policières, verbales ou physiques, existent (et depuis longtemps), et elles existent quotidiennement, mais, on le sait, le plus souvent, à l’abri des regards et des caméras, donc sans témoins. Tutoiement méprisant, menaces, insultes, injures, provocations, coups ou menaces de coups, attentats sexuels parfois, se produisent en mains endroits : dans la rue, dans les voitures ou cars de police, dans les salles (souvent infectes et obscures) de garde à vue. Si toute interpellation actuelle pouvait faire l’objet d’un filmage, les dérives langagières et comportementales y apparaitraient à l’évidence dans un plus grand nombre de cas. Autant dire que l’équipement des policiers en caméras-piétons (à batteries longue durée et à déclenchement automatique sans possibilité d’intervention de l’équipé) semble une piste à privilégier pour l’avenir, et ce afin d’éviter toute dérive. On pourrait aussi imaginer une inscription du matricule, en grosses lettres, au-dos de la tunique des policiers.

Qu’en est-il des faux procès-verbaux révélés par l’affaire Zecler ? L’accusation d’« outrage et rébellion à agent », qui accompagne souvent une interpellation délicate (ou pas) (l’interpellé ne veut pas se laisser appréhender), est plus fréquente qu’on le croit, mais surtout mensongère dans de nombreux cas. Permettez-moi de vous livrer ici un souvenir d’ancien chercheur pénitentiaire. Enquêtant, à la fin des années 1970, à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis auprès de jeunes détenus, je demandais à ceux poursuivis pour cette infraction de me raconter ce qui s’était passé avec les policiers. Plus de 90 % me répondirent qu’ils n’avaient « outragé » personne, qu’ils avaient en revanche été insultés lors de leur arrestation, souvent été « provoqués », et, qu’ayant protesté de façon plus ou loin véhémente aux propos insultant ou injurieux dont ils étaient victimes, s’étaient retrouvés accusés de « rébellion ». Les agents de police étant assermentés, c’est en effet toujours « parole contre parole » devant le juge, et donc généralement la non-prise en compte de la parole de l’appréhendé. Redisons ici que, sans la caméra de surveillance, Michel Zecler aurait été poursuivi pour outrage et rébellion contre agent de la force publique.

Restons un instant sur cette affaire. Le juge des libertés et la détention vient de décider l’écrou de deux des quatre policiers auteurs du « déconnage ». Il ressort du dossier que le brigadier de 44 ans et l’agent de 23 ans étaient bien, voire très bien notés, de leur hiérarchie. N’est-ce pas plutôt inquiétant ? Si de bons policiers sont en effet capables de telles exactions, que peut-on redouter des mauvais policiers : inexpérimentés, inadaptés à la fonction – ceux que l’actuelle formation ne permet pas de détecter ?

Protéger les policiers est un souci légitime de l’Etat. La loi sur « l’insécurité globale » - en réalité une loi sur la protection de la police – n’est cependant pas sans poser question. Il y a bien sûr ce fameux article 24 qui prévoit l’interdiction de diffuser toute image de policier dont le but manifeste serait de porter atteinte à son intégrité physique et psychique [atteintes déjà punissables par le Code pénal]. Cet article jugé « liberticide » ayant donné lieu à d’importantes manifestations, le 29 novembre dernier, manifestations qui ont réuni entre 133 000 personnes (chiffre du ministère de l’Intérieur) et 500 000 personnes (chiffre des organisateurs), le gouvernement vient d’accepter la proposition de l’Assemblée nationale de le réécrire totalement. Sa rédaction initiale posait vraiment un problème : d’abord, en érigeant une simple intention en infraction, ce qui est contraire au Code pénal, d’autre part en raison des potentielles dérives auxquelles cet article pouvait donner lieu lors d’une manifestation, comme la confiscation voire la destruction par des policiers des caméras et appareils de photos - à titre préventif en quelque sorte, juste pour éviter d’éventuelles problèmes ultérieurs de diffusion plus ou moins malveillante.

Question. Protéger la police passe-t-il nécessairement par une augmentation de ses pouvoirs ? C’est en effet clairement l’objectif de la loi susnommée, qui prévoit une augmentation des compétences des membres de la police municipale et des agents de sécurité privée, les autorisant par exemple à procéder à des contrôles d’identité. Loi légitime pour le ministre Darmanin se posant en « ministre des policiers », comme, il y a peu, M. Blanquer se définissait comme « ministre des enseignants ». Or, dans une démocratie, un ministre de l’Intérieur est d’abord au service des citoyens dont il doit assurer la protection.

C’est ici l’occasion de rappeler quelles sont, ou devraient être, les véritables missions d’une police républicaine.

La police est un service, un service, répétons-le, moins de l’Etat que des citoyens. Un service, pas un pouvoir. Mais, à regarder la pratique de ses agents, la dimension « pouvoir » paraît toujours essentielle.

Le premier rôle de la police est de protéger et de porter secours aux citoyens. « Secours », comme il était inscrit sur les véhicules de police en un temps aujourd’hui révolu. Véhicules qui étaient emplis de ces agents qu’on appelait alors « gardiens de la paix » (si on les appelle toujours ainsi dans les textes, ils sont avant tout devenus des « agents de l’ordre »). « Police-secours », « gardiens de la paix », la sémantique de ce temps était rassurante. Les pratiques policières l’étaient dans leur grande majorité. Protéger donc, mais sans discriminer les citoyens par des contrôles au faciès par exemple.          

Le second rôle de la police est de maintenir l’ordre et de réprimer les infractions. Cette police quadrille un territoire, pourchasse les fauteurs de trouble et les auteurs d’infraction. C’est une police inquiétante, au sens où elle a vocation à « inquiéter » celles et ceux qu’elle traque. C’est une police de répression, qui agit au nom de la loi, incarne la « sécurité réactive ».

Ces deux polices – voilà une réforme - devraient être impérativement dissociées. Un même agent, selon nous, ne saurait remplir les deux rôles, de protection et de répression. Il n’est jamais souhaitable d’être dans la « confusion des rôles ».

Pour le reste, il faut indiquer que la police est confrontée aujourd’hui à un quadruple problème : de recrutement, de formation, d’encadrement et de transparence.

Problème de recrutement. En trente ou quarante ans, nous sommes passés d’un système de vocation professionnelle à une logique de « choix alimentaire ». De même que, dans les années 1980 ou 1990, l’on devenait encore surveillant pénitentiaire par vocation, l’on devenait aussi gardien de la paix par passion du métier. Le chômage a bouleversé complètement la donne. Désormais, le but est d’abord de trouver un emploi – quel qu’il soit - pour se nourrir et nourrir sa famille. Sans doute, est-il désormais hautement souhaitable de sortir de cette « logique alimentaire ». Comme le rappelait le préfet Maurice Grimaud, être policier n’est pas un métier comme un autre. Sans parler de « vocation », peut-être serait-il opportun aussi de remarquer les candidats-policiers ayant manifestement en vue la « grandeur » (Grimaud encore) de la fonction policière et d’écarter tous les autres. Peut-être, à cette fin, par exemple faudrait-il retarder l’âge minimum de présentation au concours, qui est aujourd’hui de 17 ans. L’expérience devrait assurément être un critère essentiel de sélection. Dans ce cas, un report d’incorporation de quelques années pourrait être envisagé, avec un âge au concours fixé à 21 ou 22 ans.

Problème de formation. Celle-ci, de l’avis général, est trop courte (la formation allemande est par exemple quatre fois plus longue que la formation française), et trop sommaire. En fait, la formation policière manque à la fois d’écoles est de contenus. Un renforcement de l’enseignement des sciences humaines et sociales (psychologie, sociologie, techniques de communication…) serait probablement utile.

Problème d’encadrement. Les manifestations révèlent un manque de lien criant entre la base, souvent livrée à elle-même, condamnée par conséquent, très souvent, à l’improvisation, et la hiérarchie, lointaine, trop hésitante peut-être dans les choix à faire sur le terrain.

Problème de transparence enfin. Le rôle de l’IGPN est ici en point de mire. Structure de policiers conduite à juger d’autres policiers, des voix appellent à son remplacement par une institution totalement indépendante, à l’image de ce qui se fait en Angleterre par exemple. Si le ministre de l’Intérieur se montre favorable à une réforme de la structure actuelle, il ne semble pas disposé à aller plus loin.

Une chose est certaine, changer la structure policière – ce qui représente un immense chantier – est devenu, dans un contexte de répétition des exactions et dérapages des forces de l’ordre, un « impératif » de plus en plus « catégorique ».        

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