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Le gouvernement fait peser la totalité du poids de l’épidémie sur les soignants et sur les Français. Y a-t-il un moyen de le forcer à assumer enfin ses responsabilités ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Stratégie contre la Covid-19

Le triptyque que les pouvoirs publics ont eux-mêmes mis en avant il y a des mois "tester/ tracer/ isoler" n’est toujours pas mis en oeuvre de manière efficace. Peut-on vraiment envisager de subir un couvre-feu et des mesures de confinement pendant encore des mois.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Atlantico.fr : Le tryptique des pouvoirs publics "tester / tracer / isoler" est-il la clé pour lutter contre la Covid-19 ? En l’état, le poids de l’épidémie semble reposer totalement sur les épaules des soignants et des Français, qu’il s’agisse du poids économique ou de la charge mentale (et on sait que les dépressions sont en train d’exploser). 

Guy-André Pelouze : Le but de tester est d’isoler les porteurs positifs de manière certaine et avec un taux d’isolement élevé. Car la transmission devient quasi nulle. Le ministre Véran s’est félicité à un point presse récent de notre capacité à tester: “un des pays qui teste le plus en Europe”. Bien, mais qu’en est il de l'isolement? En réalité l’état ne divulgue ni le pourcentage de tracing des contacts ni de l’isolement des cas positifs. Les mesure-t-il? Oui des statistiques existent dans les ARS au sujet de l’activité des brigades. Si on se réfère aux expériences de pays qui comme nous ne pratiquent aucune assistance ni aucune contrainte à l'isolement, par exemple les Britanniques, il est très optimiste de considérer que 10% des cas positifs s’isolent. Et c’est bien le sujet majeur. 

Le confinement, même partiel, ralentit la transmission des cas porteurs mais aussi l’activité de milliers de personnes qui ne le sont pas. Il faut donc confiner beaucoup de personnes pour empêcher la transmission. Bien évidemment quand on n’a pas de test disponible, en urgence, devant une épidémie fulgurante c’est la seule mesure efficace. Mais aujourd’hui nous avons encore l'alternative: isoler à tout prix. Or l’étude des foyers épidémiques met en évidence que seulement 10% des nouveaux cas positifs apparaissent dans les foyers répertoriés. Il y a donc une sous estimation du nombre de foyers mais surtout une transmission de personne à personne diffuse et intense. Ce niveau de transmission est la cause de la perte de maîtrise de l'épidémie. Il est possible de circonscrire un foyer mais il est plus difficile de s’attaquer à cette transmission diffuse; la seule méthode est l’isolement d’un pourcentage élevé des nouveaux cas positifs qui sont parfaitement identifiés.

Il faut surveiller plus étroitement les isolements qui ne sont pas respectés. Sur 30 000 contaminés par jour, il y en a 2 000 qui le respectent. Comme en Allemagne, il faut appeler les gens tous les jours pour savoir où ils sont, comment ils vont, et mettre des amendes en cas de non-respect de l'isolement. L'isolement doit être strict. Sortir aller faire ses courses quand on est contaminés c'est dramatique. Être à l'isolement c'est d'abord être seul et ensuite ne pas sortir du tout. Si on est à la maison en famille, on doit vivre séparément dans une chambre, manger séparément, laver sa vaisselle séparément, etc.

Quand on veut se faire tester en France, il faut parfois attendre deux jours pour avoir un test. Pendant ces deux jours il faut s'isoler ! Et personne ne le fait parce que personne ne le dit. En Allemagne, dès qu'on demande un dépistage on prend votre numéro de téléphone et vous êtes rentrés dans un registre pour qu'on vous surveille. Oui c'est contraignant, mais il faut savoir ce qu'on veut.

Alors que l'on sait que le gouvernement ne met pas tout en oeuvre pour gérer la crise (toujours pas de véritable politique de tests, traçage et isolement strict), par quels moyens politiques (ou juridiques) peut-on contraindre le gouvernement à agir ?

Edouard Husson : Le problème structurel que nous avons en france, c’est que des réponses gouvernementales qui marchent dans d’autres pays ne fonctionnent pas chez nous à cause de notre excès de centralisme. Je ne crois pas du tout qu’il faille introduire une politique de traçage. La politique de tests est déjà une catastrophe. Je suis bien d’accord que tests et traçages ont marché ailleurs. Mais regardez comment notre gouvernement a fait fabriquer une application qui est incompatible avec celles de nos voisins européens. Par sa communication alarmiste, le gouvernement conduit les Français à multiplier les tests. Au lieu de compter sur la liberté de prescription des médecins pour permettre, sur le terrain, de trouver les bonnes thérapies, la bureaucratie de l’avenue de Ségur a interdit pendant de longues semaines la prescription d’hydroxychloroquine, tandis que les médias publics déversaient jour après jour des tonnes d’insanité sur le médecin spécialiste des virus le plus cité au monde par ses pairs - Didier Raoult. Faisons confiance à la société française, laissons les médecins travailler. C’est d’autant plus important qu’il semble bien que le COVID de cet automne ne soit plus le même que celui du printemps; il a muté et son taux de mortalité est (encore) inférieur à ce qu’il était au printemps. Mais enfermés dans leur dogmatisme technocratique, encouragés par les bureaucraties des ONG et l’effet miroir de médias complaisants, nos dirigeants ne s’en apercevront qu’après avoir décrété un nouveau confinement et donc tué notre économie.

Que peut faire l’Etat? D’abord, demander à nos forces armées de mettre en place des hôpitaux de campagne pour soulager les hôpitaux. Ensuite, remettre en cause la politique de la santé publique. Ce sera difficile puisque Jean Castex est l’un des concepteurs des ARS. Mais on voit bien que le système est lancé dans une logique folle. D'importantes dépenses publiques sont affectées essentiellement à la création d’une technostructure, aux dépens des lits d’hôpital et de l’emploi et des salaires infirmiers. Il n’y a pas, il n’y a plus de crise du COVID 19 en France: il y a le désastre d’une gestion hypercentralisée de l’hôpital public et digne, par sa compréhension de la maladie, des médecins de Molière; Il y a la scandaleuse continuation de la politique de pseudo-rationalisation des coûts et du management en pleine poussée virale automnale, après une poussée épidémique au printemps et alors que le manque de lits est criant depuis des années: il y avait autant d’engorgement des hôpitaux ces années passées du fait de la grippe !

Didier Maus : Le seul outil qu'on ait c'est la loi : faire des propositions de loi en espérant qu'elles soient adoptées. Les chances sont faibles. Il y a également les pressions politiques, les questions aux gouvernements, etc. Une motion de censure au motif que le gouvernement n'est pas assez actif pourrait se soutenir mais n'a aucune chance d'être adopté. En tout cas, ça ouvrirait le débat. Le problème ressenti par beaucoup c'est qu'il n'y a pas de vrai débat, y compris à l'assemblée, sur la façon de combattre la crise sanitaire.

Le débat pourrait avoir lieu ce week-end à l’occasion des discussions du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire. C'est la première discussion sur le sujet depuis juillet. C’est un cadre approprié pour des amendements et ajouter de nouvelles mesures. Même si ça a peu de chances de passer, ce n'est pas une raison pour ne pas le tenter. 

Sur le plan judiciaire, il y a eu des recours devant le conseil d'Etat sur le fait que les décrets n'étaient pas suffisants. Ça a peu de chance d'aboutir. Dans le détail un juge pourrait avoir une influence mais pas au niveau global. Il faudrait vraiment une abstention totale de mesures pour dire que le gouvernement ne remplit pas sa mission et mettre en cause sa responsabilité.

Le Premier ministre Jean Castex s'est exprimé ce jeudi lors d'une conférence sur l'évolution de la pandémie de Covid-19. Le couvre-feu va notamment être étendu à 38 nouveaux départements. La méthode du gouvernemet est-elle la bonne ? 

Guy-André Pelouze : Le gouvernement augmente graduellement la baisse indifférenciée de l'activité humaine. Mais ça va être difficile de faire une politique différenciée sectorisée. Malheureusement en France, on préfère que notre voisin soit aussi pénalisé que nous plutôt qu'il le soit moins et continue à faire du chiffre. Ils vont se heurter à ça. Je prédis de nombreux recours pour savoir pourquoi un tel est pénalisé et pas un autre

Ils envisagent aussi une politique différenciée selon les quartiers grâce à la granulométrie (voir la nouvelle carte de Santé publique France) Jusque-là ils ne publiaient pas ces données qui pouvaient être attentatoires au vivre-ensemble. C'est comme pour le taux réel d'isolements, ce n'est pas parce qu'on ne nous donne pas certaines données qu'on ne les a pas. Le couvre-feu, comme tout ralentissement de l'activité économique est efficace. Mais le plus important ce sera l'après. Va-t-on enfin avoir une politique sérieuse sur les tests et l'isolement ? On n'en prend pas le chemin.

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