Mais qu’est-ce que ce néo-libéralisme accusé d’être la cause de tous les maux du monde d’aujourd’hui ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Lionel Jospin néolibéralisme
Lionel Jospin néolibéralisme
©ERIC FEFERBERG / AFP

Idéologie

Lors d'une récente interview, Lionel Jospin a critiqué la politique d'Emmanuel Macron en utilisant l'expression néo-libéralisme. De quoi parle-t-on vraiment lorsque l'on parle de néo-libéralisme ?

Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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De quoi parle-t-on vraiment quand on parle de néo-liberalisme ?

Frédéric Mas : Le terme « néo-libéralisme » a été forgé dans l’entre-deux guerres par des intellectuels libéraux cherchant à trouver une troisième voie entre le libéralisme classique, centrée sur le laissez-faire, et le planisme économique, qui estime que l’intervention étatique est légitime à organiser l’économie. Le colloque Lippmann de 1938 a impulsé une dynamique intellectuelle nouvelle parmi les libéraux qui s’est ensuite perpétuée au sein de certaines sociétés savantes comme le Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme créé en 1939 ou la Société du Mont Pèlerin en 1947.

Aujourd’hui, l’étiquette désigne beaucoup plus de choses, et sa connotation est devenue négative. Les politiques publiques poursuivies par Margaret Thatcher et Ronald Reagan à partir du début des années 1980, la critique libérale de l’interventionnisme et de l’Etat providence d’après-guerre, le renouveau intellectuel du libéralisme depuis les années 1970 autour des figures de Friedrich Hayek et Milton Friedman, le mitterrandisme après 1983, etc. Tout semble être devenu néo-libéral, si on en croit ceux qui reprenne son idiome dans le débat public.

L’étiquette est donc devenue assez floue au fil du temps et de ses usages, et renvoie à des discussions savantes comme à des prises de position idéologiques qui ont toutes en commun de se présenter aujourd’hui comme critiques du capitalisme, du libéralisme et de la mondialisation.

Lionel Jospin analyse le quinquennat sous le prisme du neo-liberalisme. Ce courant de pensée est-il devenu un concept fourre-tout pour les adversaires du liberalisme ?

Plus qu’un concept fourre-tout, le néo-libéralisme est devenu à partir des années 1990 une stratégie rhétorique commune à l’ensemble de la classe politique, de Jacques Chirac à Lionel Jospin, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche visant à bloquer toute réforme d’envergure dans le pays. Comme l’a très bien vu Timothy Smith dans son excellent essai La France injuste. Pourquoi le modèle social français ne fonctionne plus (2006), le néo-libéralisme est devenu l’ennemi imaginaire visant à détourner l’attention de la crise profonde subie par l’Etat social français.

Plutôt que de s’interroger sur les causes proprement nationales de notre déclin politique et économique, notre classe politique a préféré se dédouaner en faisant porter le chapeau au néo-libéralisme, ce produit d’importation anglo-saxonne qui en aurait comme corrompu les fondements.

La manière dont Lionel Jospin fait usage de cette rhétorique rappelle deux choses : il est un homme politique des années 1990, et les ressorts idéologiques critiques du néo-libéralisme ainsi compris sont totalement fantaisistes. Qui pour croire que François Hollande ou Emmanuel Macron se sont lancés dans des programmes de dérégulation économique ou de libéralisation radicale ? Les faits sont têtus, et il suffit de voir le progrès constant, depuis 2002, du nombre de fonctionnaires, de la règlementation, de l’endettement comme de la pression fiscale pour revenir sur terre. Tout ceci relève de la même idéologie interventionniste et classiquement social-démocrate que nos édiles semblent incapables d’abandonner, et cela malgré son essoufflement intellectuel et politique avéré.

Devenu un objet dans le discours politique pour autant est-il si influent que cela dans notre histoire ?

Malgré les efforts des historiens, des essayistes et des sociologues pour en dresser la généalogie historique, l’influence sur les pratiques politiques communes et la cartographie des influences sur le pouvoir, il faut admettre que la place du néo-libéralisme est assez modeste en France.

La raison porte essentiellement sur la place donnée à l’Etat en France, qui interdit toute expérience politique de libéralisme politique véritable, néo ou pas. Tocqueville estimait même dans L’Ancien Régime et la Révolution que le poids de l’Etat administratif, qui par son étendue rend toute économie libre suspecte, est ce qui fait le trait d’union entre l’ancienne Monarchie et les gouvernements d’après la révolution française.

Plus proche de nous, l’après-guerre a vu le triomphe en France du planisme et du corporatisme économique. Les deux modes d’organisation ont en commun de donner à l’administration le soin de « piloter » l’économie et d’en quadriller le fonctionnement par la règlementation et la limitation du libre-échange. On est loin du libéralisme politique fonctionnant sur l’autonomie de la société civile et la compétition, le tout sous l’égide d’un Etat limité aux seules fonctions régaliennes.

Si l’Etat est un acteur central dans l’organisation économique du pays, alors les discours et les pratiques véritablement libérales sont dans le meilleur des cas cantonnés à sa critique intellectuelle, et dans le pire à la marginalité politique. De fait, les libéraux sont restés très minoritaires dans le débat public d’après-guerre, à l’image d’un Raymond Aron certes lu et admiré, mais assigné à la place de « l’intellectuel de droite » du régime gaulliste. Puis, dans l’histoire récente du pays, l’aventure des nouveaux économistes à partir de 1977 a donné une visibilité scientifique nouvelle au néolibéralisme en France et a permis aux nouvelles générations de s’approprier les outils pour la nécessaire critique de l’Etat bureaucratique français. Politiquement, la décennie suivante, c’est Alain Madelin qui assure la passation de flambeau néolibérale en France au sein de la droite et du centre. Depuis, c’est essentiellement dans le débat d’idées qu’on peut déceler l’influence du néo-libéralisme, mais toujours à bonne distance des centres de décision politique.

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