Coronavirus : ces mesures prises ailleurs dont la France aurait grand besoin pour maîtriser une rentrée à risques <!-- --> | Atlantico.fr
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rentrée scolaire Jean-Michel Blanquer masque coronavirus covid-19 virus pandémie mesures crise sanitaire risques
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©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Anticipation

La France est-elle suffisamment préparée à la rentrée de septembre au regard du contexte de l'épidémie de coronavirus ? Quels exemples, en provenance d'autres pays, pourraient-être appliqués afin de réussir cette période de rentrée ? Les impacts économiques et sanitaires pourraient être lourds en cas d'impréparation.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico.fr : Comparativement aux autres pays de l'Union européenne, la France est-elle suffisamment préparée à la rentrée de septembre dans ce contexte d'épidémie de coronavirus ?

Stéphane Gayet : Le gouvernement tient à présent un double discours qui est déstabilisant.

D’un côté, on nous dit depuis une quinzaine de jours que l’épidémie montre des signes de reprise en France, ce qui pourtant n’apparaît pas clairement sur les courbes des deux indicateurs clefs (ci-dessous) : le taux quotidien de positivité des tests virologiques PCR pratiqués et le nombre quotidien de nouvelles hospitalisations pour CoVid-19.

Attention, ces deux indicateurs sont affectés d’un coefficient, afin de les faire apparaître avec la même échelle des ordonnées (échelle verticale) : le nombre d’hospitalisations est multiplié par 20, le taux de positivité des tests multiplié par 500. Ainsi, la ligne de valeur 3000 pour le nombre d’hospitalisations correspond en réalité à 3000 / 20 = 150 ; la ligne de valeur 1000 pour le taux de positivité des tests correspond en réalité à 1000 / 500 = 2, soit 2 % de positivité. Ce second indicateur était à 2 % les 3 et 4 août, les valeurs suivantes ne sont pas encore disponibles. Ce taux de positivité reste faible, mais il a légèrement augmenté depuis quelques jours, nous allons le suivre attentivement ; quoi qu’il en soit, on ne voit pas véritablement la reprise épidémique qu’on nous annonce. Toujours est-il que cette « reprise épidémique » est sensée légitimer les obligations de port de masque dans les rues fréquentées de certaines villes, mesure dont l’intérêt est tout à fait discutable (le masque est un dispositif – initialement médical – conçu pour prévenir la transmission respiratoire d’agents infectieux à l’intérieur des bâtiments et non pas à l’extérieur : son utilité et son efficacité n’ont pas été étudiées en plein air et elles paraissent a priori faibles) ; quant à l’obligation de port de masque pour l’activité physique en plein air, cela me paraît insensé et je l’ai déjà exprimé.

Je n’ai pas fait figurer le nombre quotidien de tests pratiqués ni le nombre quotidien de tests positifs : d’une part, le premier indicateur représenté ci-dessous (vert) intègre ces deux indicateurs ; d’autre part, on pratique de plus en plus de tests et fatalement, on trouve de plus en plus de personnes « positives », mais qui ne sont pas ipso facto malades au sens pathologique du terme (on sait aujourd’hui que la CoVid-19 donne beaucoup de formes avec très peu de manifestations, état qui permet en général de poursuivre ses activités).

De l’autre côté, on assouplit les mesures préventives pour la rentrée scolaire et universitaire. Certes, cette disposition s’appuie sur la connaissance assez récente du fait que les enfants (avant l’âge de 11 ans) ne sont en réalité que très peu excréteurs de virus, c’est-à-dire très peu contagieux, en raison de leur fréquente insensibilité à l’infection par le SARS-CoV-2 (insensibilité que l’on explique de différentes manières).

On le sait, la gestion de l’épidémie en France a été acrobatique, avec un manque de pertinence et de cohérence. La situation présente est le résultat de ce qui a été orchestré depuis fin janvier-début février. Le gouvernement louvoie entre deux tendances : lâcher un peu la bride aux mesures préventives, étant donné la catastrophe économique du confinement ainsi que ses conséquences très préjudiciables sur l’enseignement ; faire peur à la population et durcir les obligations de port de masque, là où la concentration humaine est importante, même à l’extérieur. Fatalement, dans cette ambiance de valse-hésitation, la rentrée scolaire et universitaire s’annonce pour le moins délicate.

Ce qui a été décidé pour la rentrée

Stéphane Gayet : A un mois de la rentrée, plusieurs circulaires ministérielles ont été publiées. La rentrée se fera à la date prévue et a priori aucune école ne sera fermée. Les conditions d’accueil des élèves seront assouplies par rapport au mois de juin. Il est question d’adapter les mesures préventives au contexte propre à chaque école ou établissement.

La distanciation physique entre les élèves ne sera plus obligatoire dans les espaces clos, dès l’instant où elle ne sera pas « matériellement possible » ; les espaces clos concernés sont principalement les salles de classe, les salles d’activités, les bibliothèques et la cantine. Les enfants pourront également profiter des cours de récréations et des installations ludiques pendant les pauses. Mais le texte stipule que les enseignants devront veiller à éviter les regroupements d’élèves comme ceux de parents. Toutefois, le port de masque reste obligatoire pour tous les enfants âgés d’au moins 11 ans ; cela concerne les espaces clos, les espaces extérieurs et tous les déplacements dans l’établissement.

Les professeurs des écoles de classe maternelle (donc, avant le premier cours de l’enseignement primaire élémentaire ou cours préparatoire, CP) seront dispensés de port de masque, mais tous les autres devront le porter (donc, dès le cours préparatoire ou CP et pour tout l’enseignement secondaire : collèges et lycées).

Dans l’enseignement supérieur, il en sera différemment : ce sont plus des recommandations que des obligations. Dans les universités, une distanciation physique d’un mètre entre les étudiants est conseillée. Le port du masque sera simplement « recommandé » à l'université et dans les autres établissements supérieurs ; il sera de plus « fortement recommandé » pendant les cours et dans les salles d'enseignement ; de surcroît, il pourra devenir obligatoire dans les cas où il ne sera pas possible de laisser une place assise vide entre deux étudiants.

Les idées à retenir de ces dispositions sont les suivantes : à l’université, la place est généreuse et l’on s’appuie surtout sur la distanciation physique ; à l’école, la place est comptée et l’on s’appuie surtout sur le masque ; dans l’enseignement supérieur d’une façon générale, on part du principe que l’on a affaire à des personnes matures et responsables et ce sont dès lors surtout des recommandations ; à l’école, on considère qu’il faut davantage d’obligations eu égard à l’âge des élèves. Honnêtement, il est bien difficile de prédire ce que ces dispositions vont produire en termes d’évolution épidémique et d’efficacité de l’enseignement.

Si l’on veut esquisser une comparaison avec d’autres pays européens, on peut se tourner vers notre voisin l’Allemagne. Ce pays a, on le sait parfaitement, une tradition de discipline et de rigueur. La rentrée scolaire a déjà eu lieu dans certains länder (régions) situés au bord de la mer Baltique ; une école primaire a fermé après la rentrée parce qu’un élève s’est révélé positif au test de détection et un lycée a également fermé au motif qu’une enseignante s’est montrée positive au test de détection. Il s’agit dans les deux cas d’une fermeture complète pour plusieurs jours.

Plus loin de nous, les Etats-Unis d’Amérique ont une politique de rentrée qui varie beaucoup selon les Etats concernés.

Pour répondre à la question posée, la France est-elle suffisamment préparée à la rentrée ? Notre préparation à la rentrée est à l’image de la gestion de la CoVid-19 depuis fin janvier-début février : nous naviguons aux instruments dans un brouillard semi-épais. Il ne s’agit pas d’accabler le gouvernement ; un constat s’impose, celui que la science est très loin de répondre à toutes les questions que nous nous posons sur ce qui va arriver et sur ce qu’il faut faire. Il ne fait pas bon être ministre chargé de la santé à l’heure actuelle. La politique française à ce jour en matière de CoVid-19 est : masque au maximum et tests PCR larga manu. On s’est aperçu que la distanciation physique était assez utopique et que la décontamination des mains n’était qu’une mesure complémentaire et difficile elle aussi à bien appliquer.

Charles Reviens : Avant d’analyser le dispositif français, il est utile de regarder les modalités de la rentrée scolaire dans quatre autres pays occidentaux : Allemagne, Italie, Grande-Bretagne et Etats-Unis.

En Allemagne où l’on constate comme en France un léger rebond de la pandémie, l’éducation est la compétence des 15 Länder avec des dates de rentrée scolaire différentes. Le « Schulstart » a eu lieu le lundi 3 aout en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, aujourd’hui 10 aout dans cinq Länder et à Berlin pour le tiers de la population scolaire allemande.

L’écosystème fédéral allemand n’empêche pas une coordination sur les modalités de mises en œuvre de la rentrée : reprise en présentiel, levée des restrictions concernant le nombre d’élèves en vigueur depuis la fin du confinement, règles de distanciation sociale (un mètre et demi d’écart entre les élèves en classe si possible) et de décontamination et d’hygiène (aération et nettoyage régulier des salles de cours, lavage régulier des mains…). La survenue de cas de contamination induit immédiatement la fermeture de l’établissement (quarantaine à domicile des élèves et des professeurs) avec deux établissements concernés depuis la reprise.

Concernant l’Italie, il n’y a pas eu de reprise des cours en présentiels depuis le confinement général décidé en février 2020. La rentrée scolaire et donc la réouverture des établissements sont prévues le 14 septembre prochain. La particularité du dispositif italien concerne l’allocation de moyens supplémentaires à l’école, un peu à l’instar du « Grenelle de la santé » français : allocation d’un financement public d’un milliard d’euros permettant à la fois d’embaucher 50 000 professeurs et assistants scolaires supplémentaires, mais également de donner une prime aux enseignants considérés comme les plus mal payés d’Europe.

En Grande-Bretagne, le Premier ministre Boris Johnson fait de la réouverture des écoles en septembre « une nécessité sociale, économique et morale » majeure. Les risques de reprise de la pandémie poussent le gouvernement à associer cette réouverture à une programme massif de dépistage des élèves et des enseignants avec l’objectif d’un test hebdomadaire covid-19 pour chacun.

La situation aux Etats-Unis, autre grand pays fédéral, semble plus confuse à la fois pour des raisons sanitaires et politiques. La grande variation sur la circulation du virus se couple avec le clivage très fort entre états démocrates et républicains. D’un côté, les plus grandes villes (New York Chicago, Houston, Los Angeles, Miami...) ont décidé que la rentrée serait massivement voir exclusivement virtuelle sans réouverture des classes pour le moment. De l’autre les gouverneurs de différents états républicains (Mississippi, Géorgie, Tennessee, Indiana…) ont réouvert leurs écoles quelque peu indépendamment de la situation sanitaire. Un état comme le Mississipi a dû mettre en œuvre un peu en catastrophe des mesures locales de quarantaine, la summa divisio étant finalement entre anti-Trump (principe de précaution et rentrée virtuelle) et pro-Trump (retour à une vie scolaire normale).

On voit bien l’impact sur chaque pays de l’état de la pandémie, du système institutionnel et de la configuration politique. Concernant la France, l’analyse des modalités de la reprise scolaire doit prendre en compte le fait qu’on ne constate pas à date une dégradation majeure des principaux indicateurs covid-19 mais qu’on demeure dans un contexte marqué par une forte incertitude.

La rentrée scolaire est fixée au mardi 1er septembre pour la totalité des élèves et le ministère à mis à joue début aout son protocole sanitaire : distanciation physique non obligatoire lorsqu’elle n’est « pas matériellement possible ou qu’elle ne permet pas d’accueillir la totalité des élèves », limitation du brassage entre classe et groupes d’élèves levée même si « les arrivées et départs sont particulièrement étudiés pour limiter au maximum les regroupements d’élèves et/ou de parents », port du masque recommandé, gestes d’hygiène renforcés.

Des mesures dérogatoires sont prévues dans les cas de suspicion d’un cas de covid-19 (isolement et évacuation de l’élève ou du personnel, après information des familles en lien avec le bureau de ville sanitaire et le SAMU pour évaluation médicale et programmation d'un tes) ou de cas avéré (fermeture de la classe et tests des élèves et des personnels identifiés, fermeture partielle ou totale de la structure scolaire et tests des personnels et des élèves si plusieurs cas sont confirmés).

L’état de préparation de la rentrée scolaire fait l’objet d’une critique virulente de la part de Hervé Morin, président de la région Normandie, qui évoque « un état d'impréparation absolument totale » concernant les sujets de la taille des classes, de l'enseignement à distance ou d7e la distanciation dans les transports scolaires et appelle au débat.

La France qui est à trois semaines de la reprise fait le choix d’une rentrée globale en présentiel de ses établissements scolaires et de ses universités, avec possibilité de mise en quarantaine de « clusters éducatifs » particuliers, sans moyens supplémentaires (beaucoup avait déjà été donné lors de la contestation de la réforme des retraites) à l’exception de la hausse de 100 € de l’allocation de rentrée scolaire pour les ménages.

Quels seront les impacts économiques et sanitaires de l'impréparation française à la rentrée de septembre ?

Stéphane Gayet : Il ne faut plus jouer les Cassandre, c’est facile, un peu dépassé et contreproductif en matière de CoVid-19. Notre situation économique est assez désastreuse, et la moitié de l’année scolaire et universitaire a été sacrifiée. C’est la vérité, mais regardons maintenant la réalité en face. La situation épidémique en France (courbe ci-dessus) est plutôt sous contrôle (nous verrons bien si la petite reprise épidémique se confirme ou pas) et la rentrée scolaire et universitaire se fera en présentiel, dans des conditions beaucoup plus proches de la normale et de l’efficacité, que pendant la longue période de confinement de l’enseignement.

Quant à la rentrée professionnelle de fin de vacances, je crois qu’il existe des signes d’optimisme. Le confinement a été un coup très dur, mais le peuple français a montré que lui aussi savait être résilient après un tel désastre. Souhaitons que ce soit bien le cas et espérons vivement une rentrée active, peu infectieuse et surtout non confinée. La période des masques va encore un peu durer, pas trop longtemps j’espère.

Charles Reviens : Le procès d’une impréparation française particulière semble un peu rapide et lapidaire à l’aune des comparaisons internationales et on peut espérer que les pouvoirs publics ont tiré les leçons de la gestion approximative dans de nombreux domaines qui a caractérisé la politique française (mais également celle des nombreux pays occidentaux) en février-mars 2020.

Le principe d’un retour à la normale - donc une rentrée scolaire en présentiel - semble relever du bon sens pour retourner au fonctionnement le plus normal de la société tout en gérant au mieux le risque sanitaire covid-19. Il faut rappeler que cette solution permet aux parents de retourner à leur activité professionnelle sans se soucier de la garde de leurs enfants, situation qui a fortement perturbé la reprise d’activité entre la fin de confinement le 11 mai dernier et la période estivale.

Le vrai point d’attention concerne les dispositifs prévus concernant la résurgence locale de cas de contamination pour lesquels il serait sage de disposer de protocole précis couplant identification et dépistage des cas et quarantaine pour limiter les risques de propagation du virus sur les périmètres les plus limités possibles.

Comment la France peut-elle s'inspirer des autres pays pour réussir sa rentrée scolaire ?

Stéphane Gayet : Au stade où nous en sommes, je crois que nous ne pouvons que continuer dans notre politique CoVid-19. Les mesures prises par circulaire ministérielle concernant la rentrée scolaire et la rentrée universitaire sont en demi-teinte et on peut tout de même espérer qu’elles fonctionnent. A priori, rien d’autre ne sera fait en France pour l’enseignement, dans ce contexte actuel de pénurie et de difficultés. On ne peut que souhaiter que les uns et les autres fassent preuve de responsabilité, de civisme et de discipline et que les mesures demandées portent leurs fruits. Il faut surveiller très régulièrement les courbes du site « Géodes Santé publique France » pour vérifier que les deux indicateurs développés plus haut restent stables à un niveau bas.

Charles Reviens : Reprenons la revue des différents pays faite plus haut.

Concernant l’Allemagne, leur bonne gestion de la crise sanitaire sur le premier semestre 2020 leur accord une présomption de solidité dans la gestion du « Schulstart ». Surtout, la France pourrait regarder avec intérêt la façon dont la rentrée scolaire se déroule puisque les allemands ont un mois d’avance et en tirer des enseignements pour son propre dispositif.

L’Italie octroie des moyens financiers supplémentaires au système scolaire à l’occasion de cette rentrée, une sorte de « Grenelle de l’école » à l’italienne. Sur ce point, il faut rappeler que le ministère de l’éducation nationale avait déjà fait l’objet de prodigalité à l’occasion de la réforme des retraites et que la gestion française de la crise sanitaire a démontré à l’envi l’écart entre efficacité opérationnelle et moyens octroyés.

Concernant la Grande-Bretagne, le point d’intérêt peut concerner le dispositif de dépistage massif et systématique que les pouvoirs publics souhaitent mettre en œuvre.

Enfin il est difficile de voir quelque chose de réutilisable dans la situation des Etats-Unis au vue de l’accumulation des particularités : un système fédéral non coordonné et non coopératifs, une situation de pandémie désormais très différente de ce qu’elle est en Europe, enfin l’impact majeur des clivages politiques agressifs à trois mois de l’élection présidentielle.

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