L’Euro fort, bonne ou (très) mauvaise nouvelle pour la reprise ? Le match des arguments<!-- --> | Atlantico.fr
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©Reuters

Relance européenne

La devise européenne a "profité" ces dernières semaines sur les marchés des difficultés propres au dollar, liées à la pandémie de coronavirus. Quel pourrait être l'impact de la hausse de l'euro sur la tentative de relance économique européenne ? Quels secteurs seraient affectés en priorité par l'échec de la reprise économique européenne ?

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico.fr : Quel pourrait être l'impact de la hausse de l'euro sur la tentative de relance économique européenne, alors même que nous sommes encore au cœur d'une crise sanitaire grave ?

Jean-Paul Betbeze : L’essentiel est que la relance européenne réussisse, alors l’euro montera plus encore ! On ne peut demander une chose et son contraire : une économie de la zone euro qui aille mieux, notamment parce que le plan décidé fin juillet à Bruxelles se mettrait à fonctionner et un euro qui baisse, parce qu’il marche peu ! Donc ce sera un peu plus dur avec un euro un peu plus fort, mais ce sera bon signe. 

Pour avancer, il faut regarder ce que disent les chiffres et, en même temps, ce que regardent les marchés financiers. En effet, l’euro est certes monté de 5,3 % par rapport au dollar depuis janvier, mais à partir de juillet. C’est surtout l’inquiétude qui naît aux États-Unis sur la reprise, face à la résurgence de l’épidémie qui joue aujourd’hui, en même temps que Donald Trump inquiète, un peu par rapport à la Chine et plus par rapport à sa gestion de la pandémie. L’euro monte donc surtout parce que le dollar baisse et le dollar baisse parce que l’économie américaine inquiète, ce qui est au fond une mauvaise nouvelle pour l’Europe. A preuve, l’once d’or a gagné 35% en 7 mois depuis janvier, surtout depuis juillet. L’euro et l’or marchent ensemble mais l’or plus vite, parce qu’il bénéficie plus de la peur !

Evidemment, rien n’est fini. Aux États-Unis, tout dépend à très court terme des milliards de dollars déversés pour soutenir l’économie et aider les chômeurs, à cent jours des élections. En Europe et en zone euro il faudra des acceptations, par les Parlements nationaux, des accords de fin juillet. Mais les marchés regardent ailleurs : les chiffres de cas de COVID-19. Cyniquement, les résurgences de cas vont réduire les oppositions politiques, aux États-Unis et en Europe, sur la nécessité des relances, avec quand même l’idée que les États-Unis ont des poches plus profondes et une économie plus réactive. A preuve, le Nasdaq est à +26% depuis janvier, quand le DAX est à -4% , comme le DOW Jones et le CAC 40 à -19 %. Donc, si l’épicentre de la pandémie s’éloigne des Etats-Unis, c’est le dollar qui gagnera le plus, avec davantage de capacités pour trouver un vaccin. Le dollar reste, de très loin, la première monnaie mondiale de réserve : sa part de marché (deux tiers) ne bouge pas.

Alexandre Delaigue : On pourrait noter ici une forme de paradoxe dans la hausse de la valeur de la monnaie européenne. En réalité, plus la réaction européenne est satisfaisante plus la situation globale s’améliore (accord autour du plan de relance européen, baisse globale du nombre de cas…), plus la valeur de la monnaie augmente. Depuis la création de l’euro, la valeur de la devise a été un réel problème : en réunissant des pays aux caractéristiques économiques parfois très différentes, la politique monétaire européenne a constitué des déséquilibres économiques structurels au sein de la zone euro. Dans la situation actuelle, si l’euro se mettait subitement à fortement augmenter cela aurait un effet négatif pour l’ensemble de la zone : les pays qui auraient besoin que l’euro s’affaiblisse n’y gagneraient rien, tandis que pour les pays exportateurs, la hausse de l’euro aurait un impact négatif sur leurs secteurs exportateurs. 

Devons-nous stabiliser, baisser artificiellement le cours de l'euro afin de l'aligner au plus près du cours du dollar ?

Jean-Paul Betbeze : Pour influer sur un taux de change, rien de tel que la croissance de l’un par rapport à l’autre ! Une économie forte va avec un taux de change fort, et symétriquement. Inutile de rêver que le taux de change de l’euro, par exemple, baisse gentiment pour faire repartir l’économie européenne ! S’il baisse, il faut vite en profiter, car ça ne durera pas si on agit ! Ainsi, à côté de ces croissances comparées des économies, liées aux capacités des entreprises d’abord, aux politiques de flexibilisation et de simplification budgétaires ensuite, viennent les politiques monétaires. Elles jouent toutes sur les taux d’intérêt et sur les mots, forward guidance, pour baliser le futur. Mais chacune fait sa course dans ses lignes, sans viser (officiellement) à faire faiblir sa devise par rapport à une autre, par exemple le dollar par rapport à l’euro. Autrement, ce serait la guerre des changes !

Dans le cadre de la politique monétaire de la zone euro, il s’agit officiellement d’atteindre 2% d’inflation à moyen terme, mais les prévisions à long terme sont à 1,3%. Les taux resteront à zéro pour longtemps. Ensuite, pour maintenir la solidité des systèmes bancaires et financiers, la Banque Centrale Européenne doit continuer à financer les banques à taux négatifs et à racheter largement des bons du trésor, notamment italiens et espagnols. Si elle cesse, la zone explose : il y a donc toujours une chape qui pèse sur la montée de l’euro. C’est une monnaie fragile car intrinsèquement politique, liée à l’appui de l’Allemagne… jusqu’à ce qu’elle en soit affectée par un excès de soutien qui inquièterait les marchés et les agences de rating, ce qui ferait chuter l’euro ! Mais avec un rendement à -0.6% sur le bund allemand, nous n’y sommes pas. Dit autrement : ce n’est pas l’euro qui monte mais le dollar qui baisse, largement pour des raisons internes et politiques. Et l’ « autre monnaie », l’euro, monte un peu, ce dont elle devrait profiter plus en se finançant pas cher, sachant que le yuan se colle au dollar.

Alexandre Delaigue : Le problème ainsi posé suppose que nous avons une capacité de le faire. Pour la BCE il n’y a pas d’objectif de parité de devise, nous ne sommes pas comme la Chine des années 2000 ou Hong Kong qui utilisent la parité de la monnaie comme un instrument explicite. De plus, tenter de baisser mécaniquement la valeur de l’euro pourrait avoir des effets contraires aux objectifs d’inflation. Par ailleurs, il faut également noter qu’une telle action dans le contexte actuel serait immédiatement interprétée comme une action agressive pour des États-Unis. Cela pourrait entraîner un certain nombre de sanctions économiques qui viendraient amoindrir les effets favorables que cela pourrait avoir. 

Quels secteurs seraient affectés en priorité par l'échec de la reprise économique européenne ?

Jean-Paul Betbeze : Il est évidemment trop tôt pour mesurer ce risque d’échec, sachant en outre que le mot officiel est « résilience ». Il ne s’agit donc pas du tout d’une politique keynésienne de soutien à court terme à la demande, c’est l’objet d’autres programmes, notamment de soutien au chômage partiel, mais d’une politique industrielle. On en voit quelques aspects avec l’automobile et le soutien aux batteries électriques ou à l’hydrogène, ce qui tient aussi à des politiques vertes, qui impliqueront des politiques d’électricité verte… Ceci implique deux ans au moins pour les batteries, plus sans doute pour l’hydrogène. 

La résilience posera un problème plus sérieux pour le renforcement des chaînes de production et leur digitalisation, début de leur solidification et de leur raccourcissement. Il y aura aussi, pour les activités stratégiques : santé, militaire, information et renseignement, des mesures à prendre, essentiellement à partir des « champions européens » qu’il faudra concentrer et renforcer, peut-être avec des fonds européens. 

La question de la résilience sera plus complexe encore pour le secteur du tourisme-loisir, décisif pour les pays et régions du sud : elle passera par des concentrations. Enfin, pour soutenir de nouveaux investissements, il faudra avancer dans l’union bancaire et l’union de capitaux, avec des banques et compagnies d’assurances réellement européennes. On le voit, l’accord européen de fin juillet est peut-être  ou sans doute un succès, on le verra dans les mois qui viennent, mais ce qui reste à faire sera bien plus compliqué encore. Pour autant, le COVID-19 n’attendra pas, il pourrait même aider à aller plus vite.

Alexandre Delaigue : Les premiers secteurs impactés par la hausse de l’euro sont très clairement les secteurs manufacturiers exportateurs : automobile, aéronautique, agriculture, luxe. On oublie aussi souvent les secteurs touristiques qui seraient touchés de plein fouet par une hausse brutale du cours de l’euro, et les effets seront assez immédiats. Toutes les entreprises de ces secteurs-là ne modifient pas leurs prix : LVMH, par exemple, a des prix déterminés par le secteur et, de fait, ne peut pas modifier directement ses prix. 

Pour le secteur agricole et de matières premières en général — où la réactivité au marché est beaucoup plus forte — cela se manifestera directement en obligeant les agriculteurs à vendre beaucoup moins cher, impactant directement leur profitabilité. 

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