Open space : la Covid m’a tué<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
open space entreprises services de santé Espagne Barcelone coronavirus covid-19 masques distanciation sociale
open space entreprises services de santé Espagne Barcelone coronavirus covid-19 masques distanciation sociale
©PAU BARRENA / AFP

Réorganisation des entreprises

La crise du coronavirus en cette année 2020 a forcé les entreprises à se réadapter après la généralisation des open space. La reprise du travail a été complexe depuis la fin du confinement en raison de l'architecture et de l'agencement des bureaux. La tendance des open space est-elle amenée à disparaître face à la pandémie de Covid-19 ?

Xavier  Camby

Xavier Camby

Xavier Camby est l’auteur de 48 clés pour un management durable - Bien-être et performance, publié aux éditions Yves Briend Ed. Il dirige à Genève la société Essentiel Management qui intervient en Belgique, en France, au Québec et en Suisse. Il anime également le site Essentiel Management .

Voir la bio »

Atlantico.fr : Au cours des dernières décennies, les espaces intérieurs autrefois divisés se sont beaucoup plus ouverts. Ces agencements ont marqué le début de la fin des espaces de travail privés. D'où est née cette mode de l'open space et en quoi peuvent-ils être contestés ? 

Xavier Camby : Avant de parler de nos open-space "modernes", de nos bureaux paysagés -comme disent les français, jamais en mal d'illusions sémantiques- il convient de préciser que ce n'est pas la première fois dans l'histoire des organisations laborieuses qu'en apparaît un nouvel avatar. Les manufactures de la Grèce antique ou de la Renaissance européenne, les scriptorium de l'Egypte impériale ou ceux des monastères médiévaux, l'immense majorité des ateliers d'artistes de toute époque, ont pareillement organisé le partage d'un même espace de travail, afin de veiller à la meilleure transmission possible des savoirs (savoirs, savoir-faire, savoir-vivre, savoir-être, savoir-devenir). Dans le cadre le plus souvent d'un simple et libre monitorat d'évidence : le plus expérimenté enseigne, autant qu'il peut et soutient les audaces, comme un imprescriptible droit à l'essai (donc au talent particulier).

Nos open-space, abâtardis d'un taylorisme radicalisé, n'ont plus cet objectif premier de partage libre et permanent du savoir et des connaissances, des idées comme des initiatives. L'intelligence collaborative n'est plus le sujet : ceux qui ont le savoir -ou qui croient l'avoir- le garde et enjoignent aux autres, avec force directives, d'exécuter normativement des tâches plus ou moins répétitives... en montrant le moins d'initiative possible. Enfermé dans un cahier des charges ou une description de fonction de 47 pages, nos malheureux open-spacés peuvent légitimement se sentir enstabulés, encagés dans des espaces restreints (là où l'OMS affirme que 8 m2 sont nécessaire à la bonne santé psychique -traduisons : l'équilibre émotionnel et la motivation- de chaque collaborateur !).

C'est dans les années 1980 aux USA, puis dans les années 1990 en Angleterre, que le modèle va s'imposer comme étant le nec plus ultra d'une pseudo organisation "scientifique et rationnelle" du travail salarié. Et cette mode -pourtant bien démodée et obsolète- continue de vouloir s'imposer, partout en économie occidentale ! Quand bien même s'il a été prouvé que la perception d'intrusions (moins de 8 m2 d'espace vital), le bruit constant (même faible ou diffus), les interruptions ou les perturbations renouvelées (imprévisibles mais certaines)... constituaient des micro-stress, consommant en moyenne environ 25% de l'énergie individuelle (nécessaire à la bonne exécution du travail). Une étude plus récente encore, publiée par la Harvard Business Review (pourtant jamais en mal d'idées managériales toxiques), démontre que le premier impact du passage en open-space est l'augmentation instantanée de 73% des courriels ! Les gens n'osent en effet plus appeler ni se parler. Pour finir, la rotation de personnel ou l'absentéisme est -en moyenne- 3 fois plus élevé en open-space !

L'efficacité, l'efficience, la productivité ou la performance ne constituent donc pas les raisons réelles d'un open-space (sauf en quelques rares exceptions que j'ai eu le plaisir d'observer). 

Alors quoi donc ?

Je redoute pour ma part qu'il ne s'agisse hélas que d'une volonté renforcée et assez hypocrite d'augmenter le contrôle ! L'auto-contrôle, premièrement. Le contrôle collectif, du fait des "collègues". Le contrôle immédiat du "superviseur" enfin, qui peut tout observer, depuis son bocal en verre. Et par des remarques publiques, humilier qui il veut...

La vraie confiance exclut le contrôle et permet le droit à l'essai (malgré quelques adages ineptes autant que apocryphes). Je pense que nous sommes en train de le re-découvrir. Dans les faits.

Le début de l'année 2020 a mis un arrêt ferme aux open space. Au printemps, la reprise du travail a été complexe en raison de l'architecture et de l'agencement des bureaux. Certaines entreprises ont dû réadapter leur mise en place. Pensez-vous que la tendance des open space va se terminer aussi rapidement qu'elle est arrivée dans nos bureaux ? 

Non, je redoute que beaucoup, bénéficiant encore d'un bureau fermé et s'autorisant à décider pour les autres, sans même prendre le temps de les interroger ou de les entendre, voudront réaffirmer leur dominance par un retour à la contrainte qu'est l'open-space. Le confinement a cependant démontré plusieurs faits essentiels. Les entreprises qui le comprendront garderont leurs meilleurs collaborateurs et passeront sans trop de dommages les prochaines années, lesquelles ne manqueront pas de nous faire vivre plusieurs crises (autant de menaces que d'opportunités...). 

La première des évidences imposées par le confinement est l'extraordinaire productivité du travail à domicile, ne serait-ce qu'en économie de temps, d'argent, d'énergie fossile ou psychique ! Beaucoup de ceux qui exercent un métier le permettant ne feront plus marche arrière.

La deuxième, non moins essentielle, consiste en la performance de l'a-synchronocité du travail collaboratif. Il n'est pas nécessaire d'être tous ensemble au même moment en un même lieu pour produire un maximum de valeur ajoutée (voire même au contraire).

Troisième bénéfice : nous avons besoin d'interactions humaines réelles (pour environ 50% de notre temps de travail). Les vidéo-conférences, les appels, les courriels ou les sms... ne nous suffisent absolument pas. Nous sommes des animaux grégaires et notre intelligence est fondamentalement sociale.

Quatrième découverte - une évidence pourtant : l'équilibre vie professionnelle - vie privée passe par une libre détermination de ses propres horaires de travail, en fonction du service de ses clients (internes ou externes).

Ainsi donc, les horaires imposés -même flottants- se sont révélés complètement ineptes (mais toujours constitutifs d'un outils de contrôle, affirmant la méfiance outrée d'un encadrement déformé, usant encore de méthodes paléolithiques).

L'argument le plus souvent pour imposer un open-space est souvent le manque de place, ou la cherté du m2. Le home-office, avec une superbe économie de moyens, a désormais mondialement fait ses preuves, éliminant définitivement tout crédit à ce méchant prétexte, le réduisant à néant. Une autre affirmation erronée, en forme de justification ? Celui du décloisonnement entre services. Celle-là ne manque pas d'être tout aussi fallacieuse : les comptables ont leur propre open-space, de même que les commerciaux, les logisticiens ou les ingénieurs...

Il semblerait donc qu'avec la pandémie mondiale que nous vivons actuellement, l'espace personnel soit de nouveau à la mode. Pensez-vous que le recréer après deux décennies de destruction va-t-il être difficile ? 

Oui, la reconquête de l'auto-organisation personnelle et collective du travail collaboratif risque fort d'être longue et complexe : trop de managers-ne-sachant-pas-manager restent invinciblement persuadés que celles et ceux qui leurs sont confiés ne pourraient absolument pas travailler ni créer la moindre valeur ajoutée, sans leur -bienveillante et généreuse- supervision. Ils trouvent là hélas la seule justification de leur statut et de leur grade...

Alors qu'il s'agit précisément de l'inverse ! Un manager-sachant-manager fera sienne cette citation de Steeve Jobs : "nous payons les gens que nous recrutons bien trop cher pour leur dire comment travailler." Favoriser la libre auto-organisation au sein d'équipe et entre équipe fût initialement le principe du Lean. L'intuition était excellente, les résultats probants : il s'agissait là d'une des plus belles audaces authentiquement managériales. Repackagé pourtant ensuite dans les universités usasiennes, le Lean perdit peu à peu toute son essence... pour redevenir un bête outil de contrôle...

La pandémie, qui demeure hélas encore invaincue, la nécessité croissante d'être économe de son temps et des énergies fossiles, l'émergence d'espaces libres de co-working (sans être nécessairement des open-space), les aspirations légitimes des nouvelles générations, un nouveau style de management qui peu à peu s'impose, loin des théories éculées... favoriseront sans aucun doute la disparition définitive des comportements imposés, ringards même si encore enseignés, et datant d'un autre siècle...

En ce sens, je suis très confiant, la tyrannie sans cesse outrée et augmentée, des méthodes inventées il y a plus de 150 ans, est en train de s'effondrer.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !