Ces malencontreux facteurs économiques qui annulent d’ores et déjà l’impact du grand plan de relance européen<!-- --> | Atlantico.fr
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Angela Merkel Emmanuel Macron sommet européen plan de relance europe
Angela Merkel Emmanuel Macron sommet européen plan de relance europe
©JOHN THYS / POOL / AFP

Milliards à l'eau

Alors que les Ving-Sept Etats de l'Union européenne sont confrontés à une récession historique face à la crise du coronavirus, le plan de relance ne sera opérationnel qu'à la fin du premier trimestre 2021. Les Etats vont multiplier les mesures nationales. Le plan voit ses effets bénéfiques potentiels être éliminés par la hausse de l’euro.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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On a entendu bien des choses sur le plan européen, je me focalise ici sur 3 aspects très vilains qui n’ont pas fait l’objet d’une grande publicité dans nos médias mimétiques :

1/ à peine négocié, le plan voit ses effets bénéfiques potentiels être éliminés par la hausse de l’euro

Pour que les 750 milliards de transferts et de prêts puissent avoir un impact supérieur à zéro sur les variables agrégées européennes, ils ne doivent pas être annihilés d’emblée par des restrictions monétaires dans l’autre sens : une hausse de 5% de l’euro peut (ceteris paribus) être équivalente à une hausse des taux d’intérêt de près de 1%, c'est-à-dire ralentir la croissance nominale de la zone d’un montant égal aux déboursements budgétaires annuels de l’Union. Dit autrement, le fait que l’euro monte depuis deux mois (on passe de 1,08 à 1,18 contre le dollar) est un Exocet (ou un Scud) envoyé directement dans la face du plan de relance ; et ne me dites pas que c’est un vote de confiance des marchés des changes internationaux en faveur de l’euro, lui-même signe de confiance envers l’économie européenne : l’euro monte contre toutes les monnaies alors que l’économie est au tapis (c’est de loin la zone la plus affectée au monde, à l’exception peut-être du Brésil), et alors que la cible d’inflation de la BCE est violée massivement vers le bas (encore plus qu’au cours des 8 années précédentes, c’est dire), ce qui me fait dire que c’est une monnaie chère et non une monnaie forte.

Ce n’est pas la première fois qu’une telle incohérence macroéconomique aboutit à des déceptions, nationales ou continentales : nos élites continuent de sous-estimer les aspects monétaires, elles ont confié ces derniers à un acteur « indépendant » qui ne s’y intéresse pas beaucoup plus (la BCE régule les banques, contrôle les bonus des traders, et participe à des symposiums sur la limitation du Co2 dans l’atmosphère en 2100), et à la fin on s’étonne que des mesurettes budgétaires aient pu être entravées. Christine Lagarde le 16 juillet a martelé que la politique de la BCE mise en œuvre depuis mars avait participé à augmenter le PIB de la zone de 1,3% à horizon 2022 et l’inflation de 0,8% au même horizon : pourquoi alors ne redouble-t-elle pas d’efforts ? et pourquoi ces efforts ne sont pas mis en commun avec ceux des autorités budgétaires ? n’oublie-t-on pas que le choc Covid correspond à une douzaine de points de PIB nominal en moins ?

Encore une fois, l’Europe est la grande cocu monétaire, et les autorités répondent comme les japonais des années 90 : par des déficits budgétaires. Les résultats seront les mêmes.  

2/ si le plan est officiellement « européen », ni sa mise en œuvre ni son financement concret ne le sont

Primo, le financement. Si le packaging est labellisé UE, les sousous viennent du contribuable (les dettes d’aujourd’hui sont les impôts de demain si elles ne sont pas achetées puis détruites par la BCE), et ce contribuable n’est pas européen : il est bassement national. Les « ressources propres » ne sont ni épaisses ni très extensibles. A moins de créer un impôt européen (sur quelle assiette ? voté et contrôle par qui ? prélevé par quelle administration ?), ce qui de nos jours paraitrait politiquement osé même pour un fédéraliste plein de fougue et d’acné. Ou à moins de croire à la fable de Thierry Breton selon laquelle (je cite) « le plan européen ne sera pas payé par les européens » (j’ai consacré un article à la réfutation de cette thèse d’ufologue, sur Atlantico). Les européens vont payer, mais pas à l’échelle de l’UE : soit le consommateur, localement, si on s’enfonce dans une vision trumpienne et péroniste des échanges, soit le contribuable national.

Deusio, la mise en œuvre. Elle reste aux mains des pays de l’UE, ce qui peut très bien se justifier mais c’est encore une pierre dans le jardin de ceux qui rêvaient d’infrastructures transeuropéennes, etc. Pour ma part je crois qu’investir massivement pour que l’Europe spatiale ne soit pas définitivement disruptée aurait pu être utile, aussi bien pour les constellations de satellites que pour les vols habités ; mais cela aurait demandé de l’imagination, un sens de l’intérêt général et du long terme, et une purge stalinienne préalable (donner de l’argent à des bureaucrates qui n’ont pas cru dans les fusées réutilisables, et à des myriades de sous-traitants qui profitent de la fragmentation du processus de production européen… ne me dit rien qui vaille). Ne vous inquiétez pas, le plan « européen » va soupoudrer, et ne jamais vraiment choisir.    

Parlons donc de l’application, à l’échelle nationale ; et en zoomant sur la France, pays toujours irréprochable dans la qualité de ses dépenses publiques pas du tout pharaoniques. Le plan de relance (je ne sais même pas pourquoi j’utilise le singulier) arrose tout azimut, il ressemble à un inventaire à la Prévert (ou à un programme de Bruno Le Maire aux primaires de LR), et sa seule priorité nette est la préservation statique des emplois en CDI d’ici à mai 2022 : il se prétend stratégique, c’est juste du mauvais keynésianisme dans l’urgence ; et le tout sans une sortie crédible : car à moins de prétendre que le plan s’autofinance, ce que même un communiste ne soutiendrait pas, ou à moins de faire pression sur la BCE pour une vaste remise des dettes, ce que pas un officiel Français ne compte faire, il faudra bien remonter les impôts dans deux ou trois ans, précisément ce que le pouvoir a érigé en tabou (mais ce que pressentent confusément les français). Il est justifié de dépenser, vu le cataclysme économique et vu le niveau des taux d’intérêt, mais que la bonne dépense doit être ciblée, longtermiste et évaluée, ne pas relever de l’achat de la paix sociale à court terme, ou de la poudre aux yeux. Un exemple récent de poudre aux yeux :

On nous dit sans rire que la France ambitionne grâce à ses plans de relance de devenir « leader mondial de la production de véhicules propres ». Ayant mis mon argent sur Tesla avant que cela ne devienne une pratique presque consensuelle, je connais un peu le secteur ; et je peux vous assurer que même cette entreprise ultra-dynamique a connu un parcours du combattant pour en arriver là où elle en est, que nos constructeurs nationaux en sont désormais bien incapables (c’est aussi le jugement persistant des marchés…), que les réseaux de super-chargeurs et les usines de batteries ne sont même pas chez nous dans le pipeline (là où les chinois mettent le paquet, et les norvégiens aussi à leur petite échelle), et que l’hydrogène est encore de la science-fiction au-delà du petit monde des concept cars. Tesla produira vers 2025 plus de deux millions de véhicules électriques par an, dans 5 ou 6 sites géants dont trois sont déjà opérationnels, le tout avec une vraie stratégie, des tuiles solaires jusqu’à l’autopilote : nous n’avons pas posé la première brique du premier site, et pas la première puce du premier logiciel. Au moins les dirigeants de Audi et de Volkswagen reconnaissent l’avance de Tesla et engagent de gros moyens pour rester dans la course : l’attitude hexagonale est plutôt celle de Stéphane Israël (Arianespace) face aux succès de SpaceX, un mélange de négationnisme, de jalousie et de diversions. Autrement dit : le gouvernement français nous fait encore une promesse qu’il est incapable de tenir parce qu’il n’y mettra jamais vraiment les moyens, comme pour le « Google européen » de jadis, ou le « zéro SDF » des premiers mois du macronistan. Et le plus inquiétant, c’est que pas un média parisien ne s’est moqué des propos donquichottesques de nos officiels sur les véhicules propres ; mais qui donc les inspire dans leur analyse économique et dans leur compréhension des rapports de force industriels et internationaux ? Nicolas Bouzou ? un autre conférencier pour croisières du 3e âge ?  

3/ un plan aussi sympathique dans ses intentions que hors-sujet

Il était sans doute indispensable de faire croire que les institutions européennes avaient encore une prise avec le réel, ce qui n’a pas été évident tout au long de la séquence Covid. Au point de non-solidarité où on était arrivé, le moindre plan même mal conçu, non-coordonné et non-financé, peut apparaitre comme une manifestation d’affectio societatis. Voilà pour l’aspect sympathique, dopé à la dramaturgie du bord du gouffre pendant les 4 jours du sommet, et salué par tout le personnel politique mainstream (et par les marchés financiers qui ne crachent pas sur un peu d’argent en plus ; mais pendant quelques heures à peine) : pour parler comme H16, du grain à moudre pour la « ouin-ouinosphère ». Mais quel rapport a ce plan avec les vrais problèmes européens ? Pour rappel nous avons un gros souci conjoncturel, des problèmes structurels et une crise institutionnelle, et le plan ne change rien à rien :

a/ conjoncturellement : le plan arrivera à pleine puissance vers 2022-2023 (il s’égraine jusqu’en 2026), à peine suffisant pour stimuler le vote Macron, et bien trop tardif pour percuter la crise de Covid19 (du moins, espérons-le). Autrement dit : ce plan a des propriétés pro-cycliques, et non contra-cycliques. Il ajoutera de l’huile sur le feu, et n’arrosera pas pendant la période de vaches maigres : une vulgaire baisse des impôts aurait fait mieux, et une détente monétaire bien mieux.  

b/ structurellement : Les maillons les plus faibles ont besoin d’un euro moins cher pendant des années, a fortiori si l’on souhaite que la « relocalisation » industrielle ne se limite pas à quelques anecdotes lilliputiennes. Les plus pauvres ont besoin d’une remise des dettes, ou au moins d’un moratoire sur les crédits aux taux d’intérêt d’un autre âge. Les territoires les plus désespérés ont besoin de fonds privés, pas de fonds publics : si ces derniers faisaient le bonheur, les régions en pointe depuis 40 ans seraient la Wallonie, la Sicile et l’Andalousie. Voulez-vous que l’Italie devienne pour toute l’Europe ce que le Mezzogiorno est devenu pour l’Italie ? Pour faire revenir les fonds privés et stimuler la productivité, les pistes ne manquent pas (renforcer les fonds propres des entreprises au lieu de toujours favoriser le financement par endettement, réformer la réglementation, aider à de vastes plans de participation et d’intéressement…), mais ne comptez pas sur ce plan de relance des vieilles idées pour avancer dans ces directions nouvelles. Peut-être la prochaine fois, après une comète qui dévasterait les trois quarts du continent ?

c/ institutionnellement : suis-je le seul sur ce continent de désolation intellectuelle à remarquer qu’il y a un petit sujet de manque de coordination avec la BCE ? et un gros sujet d’inactivité japonisante de cette dernière, en lien avec son statut indépendantiste (comment peut-on être « accommodant » monétairement avec une inflation à 0% cette année et à 0,8%/an en tendance) ? et une dégradation récente de ces problèmes du fait du tribunal constitutionnel allemand, qui certes fait semblant de gober le QE mou mais pour mieux prévenir des formes plus innovantes de détente monétaire ?  

En somme le plan européen est une vieille technologie budgétaire pleine de rustines, il relève du « trop peu et trop tard » typique de nos décideurs depuis 2008, il ne répond à aucune question stratégique sur la demande comme sur l’offre ; qu’on arrête d’en faire un « moment Hamiltonien » (cette expression très à la mode est d’autant plus ridicule que, 7 décennies après Hamilton, c’était encore la guerre civile aux Etats-Unis ; mutualisation des dettes et fédéralisme budgétaire n’ont jamais provoqué la paix et l’amitié éternelle, ni sur les rives du Potomac, ni en Yougoslavie, ni ailleurs).           

Concluons par une anecdote que vous trouverez je l’espère révélatrice. Puisque l’on parle souvent dans le marketing des plans de relance de la « croissance potentielle » (chaque initiative européenne depuis 30 ans est censée la doper d’un demi-point : à force, nous devrions doubler le taux de croissance annuel de la Chine…), juste un exemple récent. Des remous ont eu lieu à Hong-Kong, je ne me prononce pas sur le fond (je suis diablement pro-chinois mais amoureux de la liberté d’expression, « en même temps »…) : eh bien, admirez le contraste : le Royaume-Uni offre aux 3 millions de Hongkongais nés avant 1997 (soit 40% de la population du territoire) la possibilité de vivre, travailler ou étudier au Royaume-Uni pendant 5 ans à l’issue desquels ils pourront demander la pleine citoyenneté. Quant à l’UE, elle "déplore" l’initiative chinoise (Charles Michel) et déclare qu’elle va discuter un jour avec ses "partenaires internationaux" de possibles mesures à prendre (Ursula von der Leyen). Je gage qu’une stratégie britannique fourbe et opportuniste consistant à attirer des Hongkongais bien formés n’aura pas le même impact sur la croissance potentielle que l’attitude européenne consistant au fil de l’eau à laisser vaguement entrer sans trop le dire et sans rien préparer des africains pas formés du tout. Mais comme ils rouleront sans doute par millions avec des véhicules propres « made in France », il est fort possible que je me trompe du tout au tout.    

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