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Ces dénis grandissants de réalité qui asphyxient nos libertés
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Retrouver le sens du réel

Trente ans après la chute du Mur de Berlin, Edouard Husson décrypte les menaces qui pèsent sur les libertés en Occident et à travers la planète au regard de la crise du coronavirus, de la protection de l'environnement ou bien encore de la situation à Hong Kong.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Trente ans après....

C’était il y a très longtemps, il y a trente ans, une génération. Le Mur de Berlin s’effondrait, pacifiquement, les nations d’Europe centrale et orientale avaient renversé le communisme. Une fois n’est pas coutume, une classe dirigeante avait cédé la place sans verser le sang. L’Occident se réjouissait: Reagan, naguère honni, était soudain fêté comme le visionnaire organisateur du coup de boutoir final dans l’édifice vermoulu. Même les moins favorables au catholicisme, parmi les médias, ne pouvaient s’empêcher de mettre en avant le rôle du pape polonais dans la chute de l’abominable totalitarisme, assagi sur sa fin mais bien étouffant et qui n’avait pas résisté, finalement, au réveil des sociétés. 

Comment en sommes-nous arrivés, nous autres Occidentaux, à la situation désabusée qui est la nôtre aujourd’hui? Comment les Etats-Unis, fer de lance de la lutte contre le communisme en sont-ils arrivés à la situation où l’héritier de Ronald Reagan, Donald Trump, est à ce point haï par ses adversaires politiques qu’ils sont prêts à toutes les manoeuvres antidémocratiques pour l’empêcher d’être réélu, et ceci alors même qu’il a eu le courage de dénoncer, avant les autres, la résurgence totalitaire du Parti Communiste Chinois ? Comment en est-on arrivé, dans l’Eglise, à ce que le pontificat de Jean-Paul II, le pape des libertés, soit, littéralement, oublié, laissant la place à un affrontement très dur entre traditionalistes et sécularisateurs? Comment en est-on arrivé à la situation où le seul fait, pour les nations d’Europe centrale, de penser la démocratie dans la nation et de chérir les frontières comme la plus sûre protection des libertés civiques, vaut aux peuples il y a peu fêtés d’être honnis et même mis au ban de l’Union Européenne? 

En Occident aussi les libertés sont menacées

Il y a d’abord le constat: trente ans après, en Occident, les libertés sont menacées. La première de ces libertés, le droit de dire ce que l’on veut, est de plus en plus mise en cause par les pressions conjuguées de l’Etat et des géants du numérique. En cascade, ce sont toutes les libertés qui sont progressivement confisquées: en quelques jours, comme dans une sorte d’hallucination collective, les sociétés occidentales ont décidé d’arrêter, plus ou moins complètement, l’ensemble des activités de la nation pour lutter contre une épidémie venue de Chine, dont la gravité apparaît, après coup, avoir été surestimée, pour dire le moins. Il va mourir plus de personnes du SIDA dans le monde, en particulier en Afrique, des suites de traitements non acheminés pendant le confinement, qu’il y aura eu de victimes du COVID 19.  

La crise causée par le COVID 19 est instructive parce qu’elle nous permet de mieux comprendre ce qui est en jeu. Le débat rationnel, sans lequel il n’y a pas de démocratie, est devenu quasi-impossible. Imaginez qu’un des leaders politiques en vue se soit obstiné à refuser le confinement voulu par la « main invisible » des émotions collectives: il aurait été lynché. Tout le monde a fait l’éloge d’Angela Merkel pendant la crise du Coronavirus: mais personne n’a fait remarquer qu’elle avait une fois de plus excellé dans la capacité à ne pas aller contre le consensus mainstream? Aurait-elle été autant adulée en refusant le confinement?  D’ailleurs, n’est-ce pas ce qui est arrivé, non pas à un leader politique mais à une sommité médicale française, qui proposait un traitement d’urgence pour arrêter précocement le développement de la maladie? Il a été l’objet d’une campagne de dénigrement qui rappelle furieusement la politisation de la médecine dans feu le bloc soviétique - la violence d’Etat en moins.  La crise du COVID 19 nous a fait toucher du doigt ce qui est en jeu: le déni de liberté et le déni de réalité progressent d’un même pas dans nos sociétés. 

Comment l’écologie a été confisquée par les idéologues

Regardons ce qui se joue sur le front de l’écologie. La France est l’un des pays les plus soucieux de son environnement, depuis au moins les années 1970. Tous y contribuent, des militants écologistes aux chasseurs; des ingénieurs de l’industrie nucléaire aux chercheurs de niveau mondial qui travaillent sur le stockage de l’énergie. La protection de l’environnement demande que l’on soit attentif à la complexité du réel. Ce qui était modèle scientifique hier est nié aujourd’hui; certaines innovations technologiques tournent court, des procédés industriels anciens sont redécouverts et adaptés aux exigences du moment. Dans tous les cas, notre pays est véritablement pionnier en Europe. Ou plutôt, l’était: en effet l’écologie est progressivement confisquée par une avant-garde bien peu éclairée, qui s’accroche aux modèles scientifiquement dépassés du changement climatique, qui procède à des exclusions arbitraires et à des choix non moins douteux et qui prétend mettre le pays en coupe réglée. Cette nouvelle «dictature du prolétariat » a provoqué une première révolte populaire, celle des Gilets Jaunes. Qu’à cela ne tienne, elle est prête à remettre le couvert. L’abstention aux élections municipales a été massive, les écologistes auto-proclamés ont été élus par une infime minorité d’électeurs et uniquement dans quelques grandes villes: nos médias en font un raz-de-marée vert et le président de la République en profite pour faire passer les propositions d’une commission « citoyenne » sans aucune légitimité, habilement conduite, en coulisses, par des activistes. Comme pour la crise du Coronavirus, le déni de réalité conduit au déni de liberté. Peu importe à nos nouveaux apparatchiks que l’automobile soit aujourd’hui un moyen de déplacement toujours plus propre: il faut supprimer la voiture pour tous sous prétexte que quelques habitants privilégiés de centre-ville n’ont jamais passé leur permis de conduire ou bien ont des angoisses religieuses de substitution: ils n’adorent plus le Dieu des Juifs et des chrétiens mais Gaïa, la Terre-Mère. 

Ce « En même temps » liberticide 

On pourrait multiplier les exemples: partout en Occident s’est installé, dans la partie de la société la plus riche, celle qui a accès aux leviers du pouvoir, un universel déni de réalité: la Chine populaire n’est pas un Etat dangereux pour l’équilibre du monde; l’industrie nucléaire n’est pas une industrie propre; il existe un racisme systémique des sociétés blanches; Un enfant n’a pas besoin pour grandir dans l’équilibre, d’un père et d’une mère; la France est mieux gouvernée par des décisions prises à Francfort ou à Paris qu’au plus près du terrain, là où les gens habitent et travaillent; une société ne soit pas chercher à assimiler les étrangers qui sont sur son sol; une société n’a pas besoin de secteur industriel pour être prospère etc....Partout s’est installé le déni de la complexité du réel et, avec lui, du débat qui nourrit la démocratie. Le « en même temps» macronien est faussement inclusif puisque son objectif est toujours d’embrasser un point de vue adverse pour mieux l’étouffer. Le président centriste est ... en même temps celui d’une loi sur les « fake news ». Lui même a un déni de réalité qui l’emporte sur tous les autres: il ne cesse de répéter qu’il faut plus d’Union Européenne pour pallier les échecs de l’Union Européenne. C’était la logique des dirigeants soviétiques: le communisme ne marchait pas parce qu’on ne l’avait pas suffisamment mis en oeuvre. 

Lorsque Christophe Castaner - j’en parle encore avant qu’il sombre dans l’oubli -  a expliqué que l’émotion pouvait l’emporter sur la justice, il révélait à son insu le mécanisme auquel nous assistons: le mariage de l’idéologie et de l’émotion aboutit à la destruction de la liberté et de la raison. Cela a un impact dévastateur sur les jeunes générations, qui sont plongées par leurs parents et leurs instructeurs scolaires dans l’angoisse permanente de lendemains hostiles. Au lieu que nous formions nos enfants à affronter le réel et accepter le débat, nous les conditionnons et les rendons prêts à accepter toutes les dictatures de la pensée et les tyrannies sociales. 

Trente ans après le printemps des peuples européens, et au moment où le valeureux peuple de Hong Kong se fait écraser par les héritiers de Mao, il serait temps, en Occident, de retrouver le sens du réel, sans quoi notre démocratie et nos libertés individuelles continueront de s’étioler. 

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