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Un nouveau Premier ministre pour rien ? Pourquoi la France a plus besoin d’une vision assumée que d’un En-Même-Temps au carré
©Thomas COEX / AFP

Tous les nouveaux chemins mènent à Rome... ou nulle part

Jean Castex incarne-t-il le tournant politique annoncé par Emmanuel Macron au moment du déconfinement et attendu par les Français ? Le "En même temps" s'observe-t-il d'avantage dans la méthode de gestion politique que dans la vision politique qui est censée l'accompagner ?

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico.fr : Le nouveau Premier ministre choisi par Emmanuel Macron, Jean Castex, incarne-t-il le tournant politique annoncé par le président au moment du déconfinement et attendu par les Français ? 

Edouard Husson : Emmanuel Macron est face à plusieurs contradictions. L’une est liée à sa personne: le président de la République doit être, d’une manière ou d’une autre « l’homme de la nation »; or le président, fondamentalement, est mal à l’aise avec les électeurs français; d’où son besoin de premiers ministres apparemment plus proches des électeurs: Jean Castex, comme Edouard Philippe, est un élu local. La deuxième contradiction est liée au refus, qu’il partage avec ses prédécesseurs, d’assumer le modèle gaullien: l’homme de la nation devait, selon le modèle institué par le Général de Gaulle, vérifier régulièrement qu’il avait la confiance des Français. La crise des Gilets Jaunes a été une telle secousse qu’il était indispensable, à moins d’abimer encore un peu plus le système politique français, de provoquer des élections législatives ou une présidentielle anticipée. On dit d’ailleurs qu’Emmanuel Macron a joué avec ces deux idées depuis la fin du confinement; pour finalement proposer juste un changement de Premier ministre. La troisième contradiction, elle aussi partagée avec ses prédécesseurs - y compris le Général de Gaulle - vient du refus de l’importance des partis pour structurer la vie politique française. De Gaulle pensait avoir réintroduit l’héritage de la monarchie dans la République: le président devait être au-dessus des partis; mais dès l’élection de 1965, on a vu que l’élection présidentielle tend à polariser la vie politique française. Et il aurait fallu aller au bout de cette logique. La tradition anglo-saxonne sait bien qu’il n’y a pas de vie démocratique sans des partis solides pour canaliser l’opinion populaire, la polariser en mimant la guerre civile, pour mieux la résoudre. La Constitution de la Vè République permet de stabiliser la vie politique française, enfin, loin du rêve de l’unanimisme (comme si la monarchie n’avait pas été traversée de luttes de factions terribles) comme de l’émiettement de ce que de Gaulle appelait « système des partis ». C’est bien ainsi que les choses ont commencé sous Pompidou, Giscard et Mitterrand. Mais la cohabitation, pensée par Giscard et réalisée par Mitterrand, a cassé une véritable alternance à la française. On est entré dans une République hybride, où les petites manoeuvres au centre s’accompagnent d’une présidence forte et de l’exclusion d’une partie de l’opinion de la représentation (le Rassemblement National) au gouvernement. Voilà où en est Macron, qui finit par concentrer les dysfonctionnements de la Vè République, les caricature, avec son autoritarisme, d’une part, et ses manoeuvres au centre pour casser LR, d’autre part.

Mathieu Mucherie : Je n’en sais rien ; je ne soupçonnais pas l’existence de cet individu jusqu’à cette semaine. Comme Edouard Philippe avant le printemps 2017, en fait. Je ne sais pas bien quel est son métier, et comme il n’a pas publié grand-chose, allez savoir. Il parait qu’il est à la fois haut fonctionnaire et élu de terrain, sarkoziste et gaulliste social, et macronniste, en même temps, dans la même journée. Il existe aussi des poissons volants, même si ce ne sont pas les plus nombreux de l’espèce.

On en revient toujours aux mêmes problèmes avec Macron : a/ le manque d’épaisseur du banc (en lien avec une victoire volée en 2017), les difficultés RH en dépit d’une cour pléthorique, un vivier qui n’est qu’un marigot, b/ étant donné le manque total d’idées, la sur-communication sur les questions de personnes, mais en contradiction entre elles, et en contradiction avec le point a/. Le simple fait d’avoir eu Castaner de Toulon au ministère de l’intérieur donne une idée du vide et du danger. Heureusement pour Macron, la droite classique et lettrée, conservatrice ou libérale, n’existe plus vraiment dans le pays : elle a été remplacée par une élite managériale complètement débile ; sans quoi il serait soumis à une pensée critique et à de vrais contrôles (je n’appelle pas contrôle un Conseil d’Etat qui annule de justesse une grave menace contre la liberté d’expression ; ça c’est le minimum).

Etant donnée la situation des finances publiques, de la sécurité publique et du débat public après 3 années de macronneries diverses, il faudrait un premier ministre légitime, une figure, une autorité susceptible d’équilibrer un gamin narcissique et de remettre un peu d’ordre dans la pagaille des conflits d’intérêts (dans le secteur de la santé, et au-delà), et capable de peser suffisamment dans les arbitrages pour ne pas avoir à créer un caca-nerveux compensatoire comme les 80 km/h par exemple. Un choix aux antipodes vient d’être effectué, avec un personnage qui n’a pas de consistance politique propre ; ce qui m’incite à penser que le but du jeu est de gérer vaguement le pays, et d’éviter au passage toute concurrence interne potentielle, pour préparer les seules choses qui comptent, les élections en 2022. Une présidence de classes prépas, de bout en bout, nous le disions il y a quelques temps dans ces colonnes ; sans priorités, puisque tout y est prioritairement prioritaire. 

Ce n’est pas un tournant, c’est le tournis. Et les chaises musicales, dans l’indifférence générale. La toupie Macron continue, protégée par des institutions dont le but d’origine était de protéger la décision, non l’indécision. On a eu droit à la convention citoyenne toute truquée, on aura peut-être droit à un référendum à choix multiples (mais sans sanction : gaullisme de pacotilles), et à des initiatives pseudo-vertes contre notre pouvoir d’achat et contre nos libertés, mais on n’aura pas le droit à un vrai moment de vérité démocratique (des législatives anticipées, ou mieux : des présidentielles sans trop d’intrusion du parquet socialiste financier), ou à de vrais choix publics assumés (discours plus vert que vert, subventions à Airbus, Renault et Air France… ; statues indéboulonnables, mais pas vraiment).  

Le "en même temps" si cher à Emmanuel Macron s'observe-t-il d'avantage dans la méthode de gestion politique que dans la vision politique qui est censée l'accompagner ? Emmanuel Macron sait-il où mène le chemin qu'il souhaite tracer ? 

Edouard Husson : Il y a plusieurs composantes dans le radical-socialisme autoritaire de l’actuel président. Nous venons de voir comment la Vè République a évolué loin du point d’équilibre qu’elle aurait dû atteindre après l’élection de François Mitterrand, celui d’une vraie alternance entre la droite et la gauche. Il y a aussi la composante personnelle. Emmanuel Macron est un enfant de 1968. Il est victime de l’effondrement du système d’éducation et du système scolaire consécutif à la poussée hyperindividualiste des années 1960. Le « en même temps » est fils du « Il est interdit d’interdire ». On ne doit pas faire de choix car le choix exclut en choisissant un des termes aux dépens des autres. Les soixante-huitards ont adhéré à l’Europe sans frontières et à la domination de la finance car cela permettait d’assouvir tous les désirs. Emmanuel Macron est un concentré de volonté de puissance, mais non pas celle qui construirait pour un dessein plus grand que lui. Non, il ne veut rien, au fond, pour la nation; il n’est pas non plus un constructeur d’empire. Il veut assouvir une ambition purement personnelle, qui ne mène nulle part. Le « en même temps » et le gouvernement au centre sont une manière de tout attirer à lui, de vampiriser le système politique. Le président est beaucoup plus habile pour détruire le système politique existant qu’en construire un nouveau. Il sait détruire LR, progressivement. En revanche il n’a rien construit avec LREM, qui reste un assemblage hétéroclite. 

Mathieu Mucherie : Macron trace un chemin, le sien. Mais c’est un chemin assez sinueux, plus un typhon qu’une voie à suivre. La question vers 2017 était : cette toupie du Touquet qui ne manque pas de toupet va-t-elle agréger assez de monde assez longtemps ? et puis : pour faire quoi, au juste ? Les éléments de réponse commencent à apparaitre de plus en plus clairement (ils étaient très clairs pour moi dès le départ…) : en trichant un peu avec une formule de Churchill : Macron, c’est comme Christophe Colomb, en beaucoup moins bien ; il sait où il voudrait aller (a) mais il ne sait pas vraiment où il se trouve, et quel est le bon chemin (b), il en est fier, et tout cela se fait avec l’argent du contribuable (c).   

a/ il sait où il voudrait aller : la République eurolandaise franco-allemande. Un machin encore en vogue chez nos énarques de centre-droit et de centre-gauche, qui se figurent que c’est la dernière chance pour eux de peser un peu dans les affaires du monde ; alors qu’en réalité l’Europe féfédérale ne se fait pas, et quand elle se fait c’est à Francfort et à Luxembourg, sur des bases très peu avouables. Dans les faits, l’Allemagne n’en fait qu’à sa tête (depuis 20 ans, on ne parle plus du « couple » que dans les médias parisiens), et 25 peuples sur 30 n’ont pas l’air franchement enthousiastes, et Macron lui-même flirte depuis quelques semaines avec des notions souverainistes et protectionnistes pratiquement à chaque phrase, en contradiction totale avec ses discours d’il y a moins de trois ans !   

b/ il ne sait ni où il est, ni quel est le bon chemin : comme un navigateur qui débarquerait aux Bahamas en pensant trouver la Chine (mais il a moins d’excuses que le Génois), Macron débarque dans une contrée en crise (un pays qu’il connait mal, et un pays peu estimable en plus, puisque selon lui coupable de crime contre l’humanité en Algérie !), pays qu’il confond un temps avec une start-up ; et il commence son œuvre par une loi de moralisation de la vie publique sans rien faire contre le pantouflage, sujet qu’il connait pourtant par cœur ; puis il se dit que la seule façon d’aligner de faire converger cette meute de réfractaires avec les donneurs de leçons germaniques est de moderniser les entreprises françaises depuis l’Elysée (contre-sens total : c’est l’Etat qu’il faudrait réformer en France !) ; le plus drôle est qu’il n’a aucune chance d’atteindre son but tant que les allemands garderont la même mentalité (et la même constitution, comme nous l’a rappelé la Cour de Karlsruhe début mai), a fortiori depuis notre confinement raté. Drôle en effet, sauf qu’il met tous ses échecs sur le compte de l’équipage, ou du gros temps, sans jamais trop se poser des questions dérangeantes ni sur la fiabilité de sa boussole, ni sur la compétence de ses officiers de bateaux-lavoirs (c’est toutefois assez logique de sa part : quand Amélie de Montchalin parle de Macron, on croirait qu’elle a vu le Christ), 

 c/ et tout cela se fait avec l’argent du contribuable : Toutanmakron lâche des milliards aux classes moyennes face aux gilets jaunes (là où il ne coutait rien de se débarrasser de dizaines de lois liberticides et vexatoires, là où il coûtait très peu de remettre une partie de leurs dettes issues du crédit revolving à l’âge des taux « bas »), en contradiction avec sa « stratégie allemande », puis il lâche tout le budget de 180 dynasties égyptiennes pour réparer ses erreurs épidémiologiques face au coronavirus (le confinement le plus absurde du monde, des gens verbalisés sur des plages désertes en plein vent, plusieurs points de PIB perdus bêtement), en attendant de nouvelles bacchanales budgétaires et réglementaires pour les besoins de la triangulation plus-vert-que-moi-tu-meurs-de-chaud (en contradiction, bien souvent, avec le « redressement » des entreprises françaises ; passons). Après tout, pourquoi pas diront les cyniques : les taux d’intérêt sont nuls ou négatifs, et il faut bien arroser en vue d’une qualification du chef au 2e tour de 2022. Mais alors, par pitié, pas dans le cadre le plus hypocrite jamais vu depuis au moins Toutmosys III : en déclarant tous les jours qu’on ne montera pas les impôts (!), mais que, dans le même temps, la BCE n’annulera jamais les dettes placées à son bilan (!!) ; et puis quoi encore, se dit le bas peuple, qui épargne donc logiquement en vue du choc fiscal dans 24 mois. 

Ce n’est donc pas que Macron n’a aucune vision politique, c’est que cette vision est si datée et contradictoire (et impossible à financer durablement) qu’elle en devient ridicule et comme inexprimable. Il lui faut désormais avancer masqué (je veux dire, encore plus que d’habitude), et colorer son « action » des dernières modes, le vert et le néo-souverainisme politiquement correct en ce moment, et tout ce qui passera à hauteur à peu près mainstream d’ici 2022, le tout « en même temps ». Il va suivre le mouvement et feindre de l’organiser, comme les français font semblant de consommer et comme les parlementaires font semblant d’auditionner Buzyn ou Bachelot. Je le vois bien demander une commission d’enquête internationale sur le virus en Chine, et nommer Benjamin Stora ambassadeur du FLN à Paris, si ce n’est pas déjà fait. Puis en 2022 il demandera à être jugé sur ses intentions, pas sur ses réalisations. Et il continuera, au maximum, à faire du bruit en présentant de multiples facettes. C’est le destin de la toupie de continuer tant qu’il lui reste de l’énergie, et même si cela n’a plus aucun sens. 

Alors qu'Emmanuel Macron renforce ses responsabilités présentielles par la nomination de Jean Castex au poste du chef de gouvernement, peut-il proposer aux Français la vision dont ils ont besoin ?

Edouard Husson : Emmanuel Macron ne sait pas ce qu’est la France. Il est capable un jour d’aller célébrer Jeanne d’Arc à Orléans et quelques jours plus tard d’expliquer en Algérie que la colonisation française est un « crime contre l’humanité ». Le président attend de Jean Castex que, mieux encore qu’Edouard Philippe, il s’occupe des Français pour que lui-même puisse se projeter sur la scène européenne et mondiale - au moins en paroles. C’est pourquoi je crois plutôt qu’il va laisser un espace à son nouveau Premier ministre, exactement comme pour Edouard Philippe. Il faut bien quelqu’un pour s’occuper des Français ! Emmanuel Macron ne s’intéresse pas aux Français. Il a été élu par effraction, suite au suicide de LR (lorsque Nicolas Sarkozy et Alain Juppé se sont entendus pour tuer François Fillon) et il entend profiter de ce cadeau inattendu de la « droite la plus bête du monde » pour rester au pouvoir coûte que coûte, alors même que sa façon d’être, une arrogance assumée, et ses centres d’intérêt européistes et mondialistes, devraient le mener tout droit à la défaite. Jean Castex est un système de réassurance pour un Emmanuel Macron qui se préoccupe moins de la vision des Français que de sa propre projection sur la scène internationale. Si tout se passe comme le président de la République l’espère, il finira son second mandat à l’âge de cinquante ans ! Au même âge, Giscard était au début de son septennat et aucun des autres présidents de la Vè République n’avait été élu. Il serait en position de choisir le poste qu’il veut dans la gouvernance mondiale qu’il appelle de ses voeux. La réélection en 2022 vaut bien un Jean Castex. 

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