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Coronaufrage : la crédibilité française à l’international victime collatérale du Covid-19
©YOAN VALAT / POOL / AFP

Critiques

Les articles dans la presse étrangère se multiplient sur la manière dont la France et son gouvernement ont raté la gestion de cette épidémie. Et l’image autrefois étincelante d’Emmanuel Macron s’en voit heurtée...

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico.fr : Les articles dans la presse étrangère se multiplient sur la manière dont la France et son gouvernement ont raté la gestion de cette épidémie. 

Alors qu'en 2017 Emmanuel Macron était perçu comme le champion du progressisme, du monde libre et de l'Europe, pouvez-vous nous décrire comment le vent a tourné envers lui ?

Christophe Bouillaud : Il est un peu difficile de reconstituer les trois dernières années et d’y discerner vraiment tous les moments qui ont fini par aboutir à ce retournement d’image, mais on peut se risquer à une première synthèse. 

Premièrement, il me semble que, sur le plan des politiques publiques, au niveau français, Emmanuel Macron avait annoncé une rupture, une « révolution », comme disait son livre-programme, or, finalement, la politique d’Emmanuel Macron a accentué les politiques déjà engagées avant lui. Loin d’innover, comme le « en même temps » le promettait, il a fini par offrir le spectacle d’un dirigeant très classique, sans grande imagination. En particulier, il a accentué le tournant néo-libéral, engagé par l’Etat français dès les années 1980 et jamais abandonné depuis, en lui donnant de surcroît un caractère particulièrement désagréable, voire revanchard, à l’encontre des classes populaires et moyennes. Le mépris à l’encontre des « Gaulois réfractaires », des classes populaires et moyennes de ce pays, a été en plus accompagné d’une incapacité à mettre en œuvre quelque transition écologique que ce soit. Le premier coup fatal à la Présidence Macron fut sans doute la démission de Nicolas Hulot à l’automne 2018, et, depuis lors, un doute s’est fait dans les esprits sur la réalité de la conversion d’Emmanuel Macron à une vision écologique des choses. C’est vrai qu’Emmanuel Macron avait marqué un grand point au niveau international  au tout début de son mandat avec son slogan en forme de défi, « Make Our Planet Great Again », pour contrer le slogan nationaliste de Donald Trump, « Make America Great Again », mais ensuite rien de bien concret n’a suivi. On ne peut pas dire que la diplomatie française ait particulièrement brillé sur le sujet, comme lors des COP organisés pendant le mandat d’E. Macron. Le mouvement des Gilets jaunes qui a commencé par un refus de la hausse de la taxe carbone a plutôt montré au monde que le gouvernement français ne savait guère lui-même comment concilier, sur son propre sol, contraintes économiques, sociales et écologiques, ce que d’autres pays savent mieux faire, comme la Suède par exemple. La mise en place de la Convention citoyenne sur le climat est une tentative de se rattraper en faisant appel à une procédure participative innovante pour notre pays, mais, pour l’instant, la France n’apparait pas comme le pays leader d’un monde sachant vraiment concilier contraintes écologiques, économiques et sociales. 

Deuxièmement, Emmanuel Macron a tout de même réussi à déclencher, comme je viens d’y faire allusion, un mouvement social inédit, celui des Gilets jaunes, dont le monde entier a entendu parler et dont tout le monde conserve en tête les images, comme celle du saccage de l’Arc de Triomphe. Certes, il n’y a pas eu au final de révolution jaune, contrairement à la crainte de certains éditorialistes français au plus fort de la crise, mais le pouvoir d’Emmanuel Macron a paru singulièrement déphasé, et c’est là un euphémisme, par rapport à toute une partie de la population française, sans compter que le niveau de répression à l’encontre de ce mouvement social a été inédit pour un pays démocratique depuis des décennies : en réprimant les manifestations, les forces de l’ordre ont au final blessés gravement, mutilés ou éborgnés quelques dizaines de personnes. 

Troisièmement, à ce mouvement inédit des Gilets jaunes, a suivi à l’automne 2019 une contestation, certes bien plus classique, menée par la majorité des syndicats représentatifs, autour de la réforme des retraites. Comme on le sait, cette réforme et sa contestation se sont arrêtés nets avec la pandémie. Ce qu’on voit peut-être moins bien peut-être, c’est que l’ensemble des personnes qui protestaient lors du mouvement des Gilets jaunes puis lors du mouvement contre la réforme des retraites se retrouvent aujourd’hui en première ligne face à la pandémie. Je pense bien sûr aux personnels hospitaliers, ou bien à ceux des EPHAD. Plus généralement, toutes les personnes mobilisées depuis le 5 décembre 2019 ou qui soutenaient ce mouvement sans oser ou pouvoir y participer ne le faisaient pas tant pour leurs propres retraites que par exaspération vis-à-vis de l’incapacité des managers, en particulier dans tout le secteur public et parapublic, à faire autre chose que penser bêtement à faire des économies de bout de chandelle sans véritable stratégie partagée avec leur personnel. C’était la question du sens du travail qui était posé à ce moment-là. Nos élites n’apparaissent pas du coup sous un très bon éclairage à l’étranger, et, dans le fond, E. Macron, même s’il se veut un « homme nouveau », un « self made man »,  représente la quintessence de ces dernières, comme Enarque et Inspecteur des Finances, le top du top des élites français, comme le serait le fait d’être issu d’ « Oxbridge » au Royaume-Uni.

Quatrièmement, sur le plan proprement européen, la France d’Emmanuel Macron est apparue singulièrement isolée dans ses propositions de réforme. Emmanuel Macron a fait des discours fondateurs d’une grandiloquence sans pareille, mais ils ont été accueillis par des silences polis, ils ont abouti au mieux à des compromis des plus traditionnels, et des complications nouvelles sont apparues, comme lors de la nomination de la Présidente de la Commission. En plus, sur la question de la gestion des migrations, la France d’Emmanuel Macron est apparue comme singulièrement hypocrite à tous les autres pays de l’Union : de beaux discours sur les droits de l’Homme, et, en même temps, des refus de voir des bateaux humanitaires rejoindre les ports corses ou provençaux. Certes, par la suite, la France a pris sa part des migrants arrivés par mer en Italie, mais non sans discussion de marchands de tapis. Le mouvement sur le plan interne d’un discours ouvert aux migrations en 2017 vers un discours proche au pire de celui tenu par le Rassemblement national et au mieux des Républicains n’a peut-être pas non plus échappé aux observateurs internationaux : à quoi bon poser dans l’arène européenne en antithèse « progressiste » de Viktor Orban ou de Matteo Salvini si c’est pour ensuite essayer de faire chez soi ce que les deux « nationalistes » proposent ou mettent en œuvre?  

En fait, Emmanuel Macron a fini par incarner la face sombre du grand dirigeant français, certes jeune brillant et entreprenant, rappelant certes notre grand Bonaparte ou quelque jeune monarque, mais aussi arrogant, hypocrite, incapable de tenir ses promesses, tout ce que nos partenaires européens adorent détester chez nous. 

Jean-Sylvestre Mongrenier : Cela fait beaucoup pour un seul homme. Au vrai, il n’a pas parlé de « Monde libre », ce qui a dû ravir les « gaullo-mitterrandistes » si tant est que cette expression ait un sens. Enfin, cette perception était avant tout française. Dans les capitales européennes, il est évident que la préférence allait à Emmanuel Macron plutôt qu’à Marine Le Pen, sans « macronmania » toutefois (vanité française ?). Disons que le préjugé était favorable, mais qu’on allait juger sur pièce. En matière de politique européenne, Emmanuel Macron a péché par volontarisme et constructivisme (voir le discours de la Sorbonne, 26 septembre 2017). Sur la zone euro ou le thème de la défense européenne, il a repris les positions françaises des années 2000. Pensant que sa fougue et sa jeunesse allaient convaincre Angela Merkel, le président français a élaboré sur cette base un schéma idéal de l’Europe future. 

Sa vision avait une certaine cohérence interne, mais elle négligeait la contrainte externe, i.e. les opinions publiques et les positions des autres gouvernements européens, y compris du partenaire allemand. Reprenant à l’échelon européen la politique de rupture expérimentée en France, Emmanuel Macron a simultanément durci les antagonismes en présentant l’élection européenne de 2019 comme un affrontement entre « populistes » et « progressistes ». Bref, il a voulu prendre l’Europe à la hussarde, mais s’est heurté à la force des choses. S’il lui a bien fallu composer, il n’a pourtant pas renoncé à donner des leçons aux uns et aux autres, à prétendre parler au nom de tous, à prendre des initiatives unilatérales tout en invoquant le multilatéralisme. Une variante de plus du syndrome bonapartiste ? 

A sa décharge, il ne manque pas de « héros de bistrot » et de « casseurs d’assiettes » parmi ses opposants, prompts aux coups de menton, aux gasconnades et aux recettes toutes faites. N’en sommes-nous pas à faire du kolkhoze, repeint en bleu-blanc-rouge pour certains, l’avenir de la France ? La paille et la poutre ! En contrepoint, la prudence et l’empirisme d’Angela Merkel, non sans constance dans sa ligne politique, se révèlent plus empiriques et performants que le panlogisme et l’apriorisme d’Emmanuel Macron. Au demeurant, la « disruption » érigée en méthode ne signifie-t-elle pas plutôt l’absence de méthode ? Reportons-nous à l’étymologie du terme. 

Quels peuvent être les effets de cette perte de crédibilité sur l'industrie française ? Comment se traduisent-ils ?

Jean-Paul Betbeze : Que la presse étrangère critique la France et son gouvernement ne doit pas nous surprendre : toutes les presses dans les pays démocratiques critiquent d’autres pays et leurs gouvernements, plus les leurs ! Lisons par exemple la presse anglaise sur les problèmes de fonctionnement du NHS, NHS aujourd’hui encensé par Boris Johnson. Lisons la presse italienne, critique chez elle et aussi de l’Allemagne et des Pays-Bas. Lisons la presse américaine, critique de la lenteur d’arrivée des crédits aux PME. C’est partout pareil, sauf sans doute en Corée du Sud ou au Japon, par meilleure préparation et réactivité.

L’économie française a été frappée avec retard, n’ayant pas vu venir la menace (comme d’autres) et ayant pensé aussi (comme d’autres) que la réaction de l’illibéralisme chinois à Wuhan la protégerait. Nous avons suivi avec assez de soin les tergiversations (pour être polis) de l’OMS, tout comme d’autres. C’était « un autres SRAS », et la réaction, chinoise d’abord, serait suffisante. 

Notre impréparation est mentale : nous avons oublié que les épidémies existent toujours, prennent l’avion et deviennent pandémies et que nos marchés financiers sur-réagissent. Dans ce contexte, les industries françaises, souvent mondialisées, n’ont pas le choix. Elles vont ouvrir dans les pays où elles sont implantées, et qui ouvrent. Ne pas participer aux rebonds est la pire perte possible de crédibilité : toutes les entreprises vont se précipiter pour maintenir au moins, sinon renforcer, leurs relations clientèles. C’est la vraie vie. Elles aideront ainsi les entreprises installées en France qui travaillent avec elles. Si la Chine et  d’autres pays d’Asie repartent les premiers, ils limiteront ici le plongeon. 

Bien sûr, ceci ne suffira pas : les soutiens publics et les crédits vont partout permettre de remonter la pente en France et en zone euro. Mais dans une période de guerre sanitaire, financière et économique, il  faut tout sauf être surpris, inquiet, affecté par la guerre médiatique. Y répondre de manière technique et mesurée, y résister est notre meilleure réponse en termes de crédibilité.

La bureaucratie française en est-elle la cause principale ? Est-ce notre incapacité à réagir vite qui a eu raison de nous ? N’est-ce pas encore un mauvais coup pour l’industrie française d’avoir donné cette image d’une France bureaucrate, incapable de réagir vite ?

Jean-Paul Betbeze : Nous avons oublié la guerre, après 70 ans de paix, et avons partout développé des « statuts », croyant nous protéger, alors que c’est l’inverse. La ligne Maginot d’aujourd’hui, les protections statutaires, droits de retrait, « principe de précaution », souci de la biodiversité et autres luttes contre le réchauffement climatique… n’ont de sens que si les autres pays en font autant, avec les normes qu’il faut, globales et sans excès local. 

La bureaucratie est toujours le succès des petit-chefs qui vivent en freinant déjà par temps de paix. Nous faisons face aujourd’hui, pour sortir de cette crise, à la possibilité historique d’une simplification-responsabilisation majeure, alors que d’autres forces (syndicales compte tenu de la crise des partis extrêmes) rêvent d’un arrêt total, prémisse à des nationalisations massives.

Notre incapacité à réagir vient au fond de la méconnaissance de ce qui se passe dans le monde et des tournants que prend la mondialisation, avec la capacité actuelle de croissance de la Chine et de l’Asie, et la révolution technologique en cours. Nous n’analysons pas l’essentiel, pris par l’accessoire, le secondaire, le fake que l’ennemi nous envoie ou que nous créons nous-mêmes. « La véritable école du commandement est donc la culture générale. Par elle la pensée est mise à même de s'exercer avec ordre, de discerner dans les choses l'essentiel de l'accessoire, d'apercevoir les prolongements et les interférences, bref de s'élever à ce degré où les ensembles apparaissent sans préjudice des nuances » écrivait Charles de Gaulle dans Vers l’Armée de métier en 1934. Ainsi, sans comprendre comment le monde change, nous n’osons pas demander d’efforts. Au nom de quoi le ferions-nous ? L’économie fait toujours payer les erreurs, et plus elle tarde, plus c’est cher : les 35 heures, la retraite à 60 ans, la montée des frais fixes publics frappent à notre porte. Nous ouvrons, le virus en profite. Il faut avoir le courage d’ouvrir les yeux.

Michel Ruimy : Notre grande fragilité face à la crise résulte notamment de la lourdeur bureaucratique de l’Etat, déjà pénalisante en temps normal, totalement inadaptée à une situation de crise qui demande agilité et décentralisation. Le temps de réaction de l’administration face à la crise sanitaire a rappelé sa grande difficulté à intégrer l’incertitude et à sortir des procédures qu’elle a elle-même instauré. Il ne s’agit pas ici de dénoncer l’ensemble des protections et normes posées par l’administration, qui en temps normal, peuvent être utiles à la protection des droits individuels sous les conditions et limites posées par la Constitution, mais d’indiquer que son inflation nuit aussi à leur efficacité. Cette nuisance en situation exceptionnelle, devient elle-même exceptionnelle. 

La gestion de la crise, en amont, par les autorités est aujourd’hui épinglée. Ce constat ne va pas sans impact économique. La France gardera certes certains atouts : fortes spécificités sectorielles (aéronautique, luxe, biotechnologies…), rayonnement touristique certain, capacité d’innovation et de recherche, accessibilité internationale, infrastructures... Elle devra, par contre, intensifier en profondeur l’action de simplification administrative pour les entreprises. Car il ne faut pas oublier que la crise sanitaire n’a pas eu que des conséquences effroyables. Elle aura également des répercussions économiques d’une puissance rare. 

En dépit de la multiplication des mesures de soutien favorables aux entreprises, la reprise économique va dépendre, en particulier, de l’état de l’appareil productif. C’est pourquoi, il faut d’urgence envisager une doctrine d’intervention de l’État pour éviter les faillites pour un certain nombre d’entreprises déjà fragilisées. Plus le temps passe, plus les conséquences seront néfastes pour l’économie réelle tant aux plan national et international. Mais cela ne suffit pas, il faudra restaurer l’image dégradée de la France d’autant plus, dans le « monde d’après », notre système économique et commercial devra faire preuve d’inventivité et de rebond devant les dégâts causés par cette crise.

Avec cette gestion de crise des plus critiquées, la France est-elle toujours audible au niveau de l'Europe ? Des institutions internationales ? Quels sont les conséquences de cette perte de crédibilité sur le rayonnement de la France dans le monde post-COVID-19 ?

Christophe Bouillaud : Au niveau européen, la situation est paradoxale : la France officielle plaide depuis les années 1990 pour une vision macroéconomique européenne, pour qu’à la monnaie unique et à sa politique monétaire unique, corresponde aussi une politique budgétaire commune. La plupart des économistes voient bien que les pays européens doivent comme les Etats-Unis ou le Japon mettre le paquet, en matière budgétaire, s’ils veulent éviter une dépression en Europe. Or, à en juger par les résultats des dernières discussions européennes, l’affaire avance très lentement. Même si, maintenant, un ministre comme Bruno Le Maire, dit bien que, si le sud de l’Europe est victime de la récession et n’arrive pas à en sortir, faute de marges budgétaires suffisantes, la zone Euro finira par exploser, il reste que la France n’arrive toujours pas à imposer son idée d’une vraie capacité budgétaire européenne. Tout n’est sans doute pas perdu à ce stade, mais il me semble que, là, c’est l’occasion ou jamais. Si un vrai fédéralisme budgétaire européen ne nait pas d’une crise d’une telle ampleur, il n’y aura plus rien à espérer, et les élites françaises devront admettre qu’il leur faut une toute autre stratégie. 

Au niveau plus concret de l’image du pays sur la scène internationale à l’occasion de cette crise sanitaire, il est par ailleurs certain que la France d’Emmanuel Macron n’en sort pas grandie. La stratégie française de lutte contre la pandémie n’apparait pas pour le moment comme un modèle, comme la Corée du sud, ni même comme un pari, comme la Suède. Surtout, cela commence à se savoir à l’étranger que nos autorités n’ont pas été particulièrement réactives, et qu’en plus, elles ont vraiment dit n’importe quoi à la population française sous prétexte de la rassurer. La question des masques – en avoir ou pas, les mettre ou non – devient presque une immense comédie de boulevard. D’autres pays européens ont des masques, comme la République tchèque ou le Portugal, et il faut bien le constater, ils ne sont pas nécessairement plus riches que la France, au contraire. C’est donc vraiment un drame organisationnel franco-français de ne pas être capable de vendre ou de distribuer des masques à toute la population. Et je ne parle pas des tests, du flou de la stratégie de déconfinement, autant de sujets qui semblent être traité de manière bien peu rationnelle en France, sous l’égide d’un bon plaisir royal tout à fait étonnant pour un pays démocratique.

On verra si la suite de l’histoire de cette pandémie et de sa gestion permet aux autorités françaises et à la France de redorer leur blason, mais, pour l’instant, l’affaire paraît donc bien mal engagée. J’ajouterai que si la France apparaissait à terme aux yeux de ses voisins immédiats et des pays européens en général, comme l’un des pays du continent les moins capables de gérer sans trop de casse l’épidémie, nous risquons d’en ressentir fortement les effets économiques : en effet, qui voudra faire du tourisme en France si l’épidémie continue à se répandre chez nous, alors qu’elle serait maîtrisée ailleurs ? Comme nous sommes une société ouverte sur le monde, il faudra bien que le gouvernement arrive à maîtriser vraiment l’épidémie, sinon nous pouvons dire adieu pour longtemps à notre industrie touristique…, et en particulier à la manne représentée pour elle par les touristes asiatiques. Et, plus encore, la France fait par sa géographie la liaison routière entre le nord et l’est de l’Europe et la péninsule ibérique, il faudrait prendre garde à ne pas devenir le pays qu’il ne faut pas traverser… 

Bref, ce n’est pas très difficile de redouter qu’une France empêtrée dans la pandémie et ses conséquences aura du mal à peser sur la scène européenne et mondiale. 

Jean-Paul Betbeze : Aucun des chefs des démocraties ne sort indemne d’une telle épreuve. On reprochera à Emmanuel Macron d’avoir hésité, tardé, annoncé une date de déconfinement trop proche… Il va s’agir d’expliquer et d’avancer, pour la France et la zone euro. Ainsi, la demande d’Eurobonds était forte, difficile à absorber par la Hollande et l’Allemagne, mais ce qui a été obtenu (450 milliards sous des formes diverses) est déjà un financement mutualisé, et ce n’est pas fini. Loin de là : le rendement du bon du trésor à 10 ans italien est remonté à 1,9%. La France « se tient » à 0.04% et un CAC 40 à 4360 point, qui a perdu plus du quart de sa valeur depuis janvier mais semble avoir arrêté sa chute. La crédibilité du Président est certes affaire politique, mais ses opposants sont loin de proposer des alternatives construites : les critiques sont partielles, sans plan alternatif. Dans le cadre de la zone euro, tous les chefs sont faibles, notamment Angela Merkel. On oublie les risques du Royaume-Uni avec le Brexit et la nécessité de restructurer les appareils productifs, avec les champions européens. La crainte « anti champion » de Bruxelles va s’estomper. 

La vraie question qui se posera sur la crédibilité du Président est sa capacité à ne pas trop s’éloigner du modèle mixte européen, social-libéral, pour une logique plus « sociale », avec ses coûts et rigidités, donc perte de compétitivité. L’enjeu de crédibilité d’Emmanuel Macron va donc être de retrouver le dosage économique et politique qui l’avait fait élire, et de voir comment il traitera les dossiers « repoussés », notamment celui des retraites. Aller vers des choix plus limités sera une bonne chose, mais le temps n’est plus trop aux réformes. On verra ce qui se passe avec Air France ou Renault, quels liens auront lieu avec des groupes industriels ou financiers allemands. Etre patron n’est pas être rigide mais de retrouver son cap, quand il a fallu s’en éloigner. Ce sera très difficile et c’est là que tout le monde l’attend et, à l’heure actuelle, il semble que les grandes et moyennes entreprises sont prêtes à résister. Au fond, en France comme ailleurs, la crédibilité des politiques vient largement de la force des entreprises !

Jean-Sylvestre Mongrenier : Audible et perceptible, la France l’est bien si on parle d’elle à l’étranger, mais en quels termes ? De prime abord, nombre de pays sur la scène internationale semblent dépassés par le « virus de Wuhan » et les développements de la pandémie. Cette pagaille n’entre-t-elle pas dans la définition même de ce qu’est une crise ? « Tout a toujours très mal marché » (Bainville). Il est vrai cependant que la désorganisation et les lacunes en matière d’infrastructures et d’équipements médicaux ne sont pas toujours équivalentes. L’Allemagne, l’Autriche et quelques autres pays d’Europe du Nord ou du Centre-Est semblent mieux relever le défi. Notons que ce sont les pays les plus vertueux dans le domaine de la dépense publique, également réputés les mieux organisés, qui font la différence. On ne s’en étonnera pas. Quant à la France, elle est rattrapée par des « fondamentaux » qui sont mauvais : poids des prélèvements obligatoires, niveau élevé des déficits publics, poids de la dette souveraine. Mais la limitation des déficits, gage d’une plus grande liberté d’action en temps de crise, était d’un autre temps (E. Macron, The Economist, 7 novembre 2019). Il est désormais prouvé que le Schwarze Null n’interdit pas l’efficacité. 

Comment prétendre à l’exercice d’un leadership moral en Europe avec un passif aussi lourd et le spectacle d’une telle improvisation ? A fortiori sur le plan mondial ? La réalité nous renvoie à la sagesse traditionnelle, exprimée par un ancien dicton : « Quand on veut grimper au mât de cocagne, il faut avoir les culottes propres ». Malheureusement, bien des critiques français ne rassurent pas quant à une éventuelle alternance politique.

C’est à qui dénoncera le « néo-libéralisme », bientôt responsable du prochain tremblement de terre, le commerce mondial, l’insuffisance des impôts, Amazon et consorts… Peu ou prou, le monde extérieur et l’arithmétique sont fautifs. Et d’en appeler à la puissance publique contre le marché et la société civile, alors même que l’expérience quotidienne dissipe l’illusion d’un Etat omniscient, omnipotent et bienveillant. Quand les nostalgiques du communisme immense et rouge attendent le petit matin du grand soir, les victimes du « syndrome du Puy-du-Fou » expliquent que, dans le monde d’après, les dizaines de millions de citadins iront chercher leur pot de lait chez la fermière d’à côté ! Perrette doit se retourner dans sa tombe. 

En vérité, cette crise gravissime est surtout le révélateur du « mal français » (Alain Peyrefitte). Procédons à une expérience mentale : qui d’autre qu’Emmanuel Macron et son gouvernement aurait mieux fait ?

L’expérience vaut aussi dans le domaine de la politique étrangère. Quant aux conséquences d’une perte de crédibilité internationale, c’est une fragilisation de nos positions diplomatiques. Ne nous leurrons pas cependant : la montée en puissance de la Chine populaire, la formation d’un « Sud global » dont Pékin prend la tête et l’enhardissement des puissances révisionnistes remettent en cause l’Occident dans son ensemble. Sans renouveau et reconstitution d’un front occidental, les plus vertueux en subiront également les effets et désagréments (doux euphémisme). Mais l’on criera au « néo-conservatisme » ! Le « virus de Wuhan » et ses méfaits seront-ils instrumentalisés pour légitimer un titisme à la française, voire une diplomatie eurasienne faisant de nous des Asiates de l’Ouest ? 

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