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Sanctionner les abus de pouvoir du confinement : mode d’emploi
©DENIS CHARLET / AFP

Effets néfastes du confinement

Dans de nombreuses situations, des abus de pouvoir ont été constatés lors de certains contrôles en cette période de confinement. Des sanctions pourraient-elles permettre de juguler de tels abus de pouvoir ?

Régis de Castelnau

Régis de Castelnau

Avocat depuis 1972, Régis de Castelnau a fondé son cabinet, en se spécialisant en droit social et économie sociale.

Membre fondateur du Syndicat des Avocats de France, il a développé une importante activité au plan international. Président de l’ONG « France Amérique latine », Il a également occupé le poste de Secrétaire Général Adjoint de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, organisation ayant statut consultatif auprès de l’ONU.

Régis de Castelnau est président de l’Institut Droit et Gestion Locale organisme de réflexion, de recherche et de formation dédié aux rapports entre l’Action Publique et le Droit.

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Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Atlantico.fr : Une femme âgée verbalisée pour avoir saluée son mari derrière la vitre de son Ehpad, deux personnels soignants verbalisés pour avoir oublié leur attestation en rentrant du travail, un femme sanctionnée pour être allée faire des courses à 5km de chez elle...  A ne rien faire ou à être trop  laxistes vis-à-vis des ces abus de pouvoir, ne risquons-nous pas de donner davantage de poids à ces petits chefs ? 

Didier Maus : Quelle que soit la réglementation, il y a toujours place pour une interprétation. C’est aujourd’hui le cas pour les règles du confinement. Il sera toujours difficile de définir avec précision les « produits de première nécessité » ou les véritables « urgences ». Les points de vue de l’agent de contrôle et de la personne contrôlée ne coïncident pas toujours. Par rapport aux cas que vous citez, il faut faire preuve de bon sens et tenter d’apprécier l’intention de contourner les interdictions ou simplement la négligence involontaire. Prenez l’exemple d’aller faire ses course à 5 km. En milieu urbain dense, il s’agit d’une grande distance ; en milieu rural, il s’agit d’une très petite distance.

Il serait utile que les autorités ministérielles fixent des principes cohérents d’application avec de très étroites marges de tolérance. Nous avons besoin d’une application uniforme (ou quasi uniforme) des contraintes imposées par la lutte contre l’épidémie. En tout état de cause, un procès-verbal peut toujours être contesté, soit devant le supérieur de l’agent verbalisateur en plaidant la bonne foi, soit devant un juge, mais pour une petite infraction, il y a une disproportion évidente entre l’infraction et la complexité d’une procédure. Dans beaucoup de matières, il existe désormais des mécanismes simples de contestation d’un procès-verbal de non respect d’une obligation. Il faut alors tenir compte de trois éléments principaux : l’existence de la règle, les conditions de fait de sa méconnaissance et la personnalité du contrôlé.

Régis de Castelnau : Les exemples que vous rappelez sont consternants. Et malheureusement il y en a beaucoup d’autres tout aussi lamentables qui remontent de toute la France et qui témoignent d’une volonté de répression complètement disproportionnée. Il y a bien sûr la volonté du pouvoir de faire respecter strictement le confinement, stratégie choisie par les autorités de l’État pour éviter une contagion exponentielle soumettant notre système de santé déjà bien malade à une pression insupportable. Dont acte, mais on va quand même rappeler que ce qui est imposé au peuple français dans sa totalité est d’une grande violence. Il y a d’abord tous ces travailleurs, appelés forts justement « premiers de corvée » qui sont montés au front avec au premier rang les soignants mais pas seulement et qui partent au travail avec un dévouement magnifique, et bien sûr la peur au ventre. Et comme l’a dit Rachida Dati : « finalement ce sont les gilets jaunes qui portent ce pays à bout de bras ». Mais il y a aussi tous les autres qui ont accepté sans barguigner les mesures qui leur sont imposées, et en particulier la première d’entre elles qui est l’enfermement. Par expérience professionnelle je sais ce qu’est la prison, je peux vous dire qu’actuellement il y a dans notre pays 50 millions de prisonniers. La moindre des choses pour l’État qui impose légitimement cette violence, et dont il n’est pas excessif de dire que la conduite a été pour le moins approximative dans la période, serait de tenir compte de cette situation. Or, avec les comptes-rendus quotidiens de l’évolution de la crise, le ministère de l’intérieure annonce triomphalement le bilan des amendes infligées aux contrevenants. Cette vision purement répressive et nettement punitive apparaît moins aux yeux de la population comme une volonté d’être rigoureux dans l’application du confinement, que comme un moyen de remplir les caisses qui ne sont plus alimentées par les infractions automobiles.

Et cette impression est complètement renforcée par le comportement des forces de l’ordre qui rivalisent de zèle gendarmesque parfois le plus obtus. Ce qui est assez dramatique, c’est qu’avec cette fois-ci la gendarmerie au premier rang, c’est le règne des petits chefs ivres de la volonté de punir. On me dira qu’il ne faut pas généraliser, mais malheureusement les informations que nous recueillons montre que la répression obtuse est beaucoup trop souvent destinée à rappeler « qui c’est qui commande » en mode petit chef. Il est d’ailleurs intéressant de constater que ce comportement est largement partagé dans une partie de l’administration, que ce soit au niveau des préfectures ou des agences régionales de santé. Au moment du bilan, il faudra faire la clarté sur tous les mécomptes en termes de sécurité publique provoqués par un fonctionnement bureaucratique sans contrôle.

Dans tous les exemples qui nous sont donnés, il y a trois catégories. Tout d’abord le refus d’intégrer la violence des mesures qui sont imposées à notre peuple et de prévoir la moindre adaptation, la moindre souplesse, la moindre indulgence dès lors que la bonne foi est incontestable. L’image de la personne âgée saluant son mari derrière la fenêtre de l’EHPAD ou de cette infirmière rentrant de 24 heures de lutte contre le Covid dans son établissement et verbalisé pour un document oublié, ces images donc sont calamiteuses en ce qu’elles expriment la mentalité qui ne voit que la consigne et la volonté de faire du chiffre en frappant les citoyens.

Il y a ensuite les purs et simples excès de pouvoir. Les petits chefs qui s’arrogent le droit d’interpréter la loi à leur façon et fouillent les caddies pour y repérer les marchandises « de première nécessité » verbalisant pour deux paquets de biscuits ou des serviettes périodiques (!). C’est absolument insupportable d’arrogance et de volonté manifeste d’humilier. Alors on va rappeler que le seul qui peut interpréter la loi, c’est le juge. Et encore faut-il que cette loi soit suffisamment précise.

Et il y a bien sûr enfin le laxisme à faire respecter les règles du confinement dans les quartiers dits « difficiles ». Le Canard enchaîné nous avait dit que le ministère lui-même avait ordonné de ne pas essayer par peur des incidents. On ne sait pas s’il s’agit réellement d’une consigne gouvernementale, mais il y a suffisamment de vidéos en circulation pour que saute aux yeux le « deux poids deux mesures ». Qui aggrave encore le sentiment d’arbitraire des excès dont nous parlons.

Il est clair pour répondre à votre question que nous ne devons pas accepter ces comportements. La période du confinement n’est pas favorable évidemment à une riposte organisée à ces dérives, il faut cependant toutes les recenser dans la perspective du « jour d’après » ou sur ce point également il faudra faire les comptes.

Y-a-t-il des sanctions déjà existantes qui pourraient être appliquées lorsque de tels abus de pouvoir ont lieu ? 

Didier Maus : À partir du moment où il y a contestation, donc litige, c’est-à-dire un désaccord sur l’application d’une norme, il faut trouver un tiers indépendant, individu ou instance collégiale, pour entendre les éléments du dossier et tenter de trouver une solution équitable et rapide. 

Si la hiérarchie administrative considère qu’un agent n’adopte pas un comportement normal et humain, il lui appartient, en premier lieu, de lui faire comprendre ses torts, en deuxième lieu de faire usage de ses pouvoirs disciplinaires pour l’obliger à exercer ses missions dans de meilleures conditions. Il faut alors se méfier de l’arbitraire, qu’il émane de l’agent ou de ses supérieurs. La limite est parfois délicate à apprécier. La vie est ainsi faite que chacune et chacun d’entre nous peut avoir une conception différente de son rôle, y compris de justicier. 

Régis de Castelnau : Concernant la question des sanctions, nous sommes d’ores et déjà confrontés aux problèmes liés au confinement, et en particulier l’impossibilité d’accès aux tribunaux., Mais il y en a également un autre qui est celui de l’appui des autorités de l’État à ces dérives. Chaque fois qu’un scandale concernant des contrôles abusifs éclate, on voit les préfectures se précipiter au secours des pandores. Mais il y a également le plus haut niveau de l’État. Avons-nous entendu Christophe Castaner s’exprimer sur autre chose que le bilan triomphal du nombre d’amendes délivrées ? Bien sûr que non, une partie des forces de l’ordre se croit autorisée à tous ces excès car elle a l’expérience de ce qui s’est passé avec les mouvements sociaux des gilets jaunes, du projet de loi retraite, des manifestations des hospitaliers et des pompiers. Une répression sans mesure, assortie de violences qui ont scandalisé la presse étrangère, et qui ont fait l’objet d’un déni systématique du pouvoir exécutif à commencer par son chef Emmanuel Macron. Et bien évidemment du refus par la justice de les sanctionner. Il n’est pas abusif de dire que les excès actuels ne sont d’une certaine façon la continuation de ceux qui se sont produits dans la période précédente. Comment voulez-vous dans ces conditions que certains membres des forces de l’ordre ne se croient pas tout permis ?

La première sanction de ces abus devrait être d’abord et avant tout disciplinaire. Quelques mises à pied et quelques procédures immédiates assorties de sanctions seraient de nature à en calmer beaucoup. 

Malheureusement il n’y a aucune illusion à se faire sur ce point, le pouvoir actuel a trop besoin des forces de l’ordre et de leurs syndicats pour affronter la suite et « le jour d’après ».

Alors on ne saurait trop conseiller, d’abord à ceux victimes d’abus de pouvoir de contester immédiatement les procès-verbaux. Il existe plusieurs plates-formes qui expliquent la procédure à suivre et qui fournissent des lettres types pour le faire. Et en cas de saisine des tribunaux on peut espérer que ceux-ci adoptent et généralisent le refus d’appliquer ces textes sans qu’auparavant le Conseil constitutionnel ait pu être consulté sur leur conformité à la Constitution.

Est-ce que d'autres sanctions pourraient être imaginées ? Quelles nouvelles sanctions devraient être mises en place pour dissuader certains fonctionnaires de faire des abus de pouvoir ? 

Didier Maus : En cas de véritable abus de pouvoir, il faut faire appel à un juge. C’est la seule solution. En règle générale, il apparient aux autorités responsables (ministre, préfet, maire…) de veiller à ce que les personnes chargées de surveiller la bonne application des règles du confinement exercent leurs contrôles de manière raisonnable, à la fois ferme et attentive à la réalité. Ce n’est pas toujours simple. Il n’en demeure pas moins que dans une situation comme celle d’aujourd’hui,  il ne peut pas y avoir deux poids et deux mesures. L’effet positif, à terme, des contraintes n’a de valeur que si ces dernières sont appliquées très strictement, ce qui ne veut pas dire n’importe comment.

Régis de Castelnau : Il existe dans le Code pénal des infractions spécifiques aux abus d’autorité. À commencer par le fameux article 432-4 du Code pénal relatif aux actes attentatoires à la liberté individuelle. Celle d’aller et venir en fait partie et est fondamentale. Les pouvoirs publics l’ont restreinte et en ont décrit les limites. Le fait pour les gendarmes de dépasser les limites fixées par la loi relève de cette infraction particulièrement grave. Le cas de cet homme verbalisé parce qu’il se rendait au chevet de son père mourant et à qui, une fois le procès-verbal dressé, on a imposé de faire demi-tour est une atteinte à la liberté de circuler qui ne fait en aucun cas partie des restrictions imposées par le texte conjoncturel du confinement. Alors bien sûr, cette décision imbécile ne devrait pas faire l’objet de cette lourde procédure pénale, qui s’apparenterait au marteau pilon destiné à écraser une mouche, mais plutôt d’une procédure disciplinaire assortie de la sanction qu’elle mérite. 

Plus intéressant, on peut imaginer le délit de concussion prévu par l’article 432-10 du Code pénal qui réprime : «Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir à titre de droits ou contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu'elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû ». Parmi toutes les histoires qu’on apprend, il est clair qu’un certain nombre de membres des forces de l’ordre ont appliqué des amendes pour faire du chiffre sachant qu’elles n’étaient pas dues. Un gendarme sait très bien, où doit savoir, il n’a pas le droit de fouiller les caddies ou de s’instituer juge de savoir si des paquets de biscuits ou des serviettes périodiques féminines sont de première nécessité ou pas…

La période de confinement est un moment absolument extraordinaire au sens premier du terme. Mais il faut être clair les dérives arbitraires des petits chefs qui sont autant de désordres, ne sont possibles que parce qu’elles sont couvertes par les autorités supérieures. Sans l’appui et la complaisance du ministère de l’intérieur, elles ne pourraient pas se produire avec cette facilité. Quelques déclarations bien senties et quelques procédures disciplinaires seraient de nature à rétablir l’ordre. Et ramener à une saine discipline sans démobiliser. 

Ne rêvons pas.

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